Une approche décloisonnée, c’est essentiellement une approche qui a son centre hors d’elle-même, au niveau de la personne et ses besoins. C’est une approche ouverte qui est façonnée par la contribution de plusieurs perspectives et expertises. C’est aussi une approche qui met en valeur la contribution des autres, dans une perspective d’interdépendance. Mais ce n’est pas une approche où les différentes perspectives et expertises sont fusionnées. Le décloisonnement n’est pas nécessairement un processus fusionnel où toutes les différences sont dissoutes dans une nouvelle identité. Une approche décloisonnée n’abolit pas forcément les distinctions entre les disciplines, les expertises et les perspectives organisationnelles; elle leur permet de travailler ensemble. Une approche décloisonnée, c’est une approche en dialogue.
Le décloisonnement, ce n’est pas l’éclatement. Il faut un centre de référence à partir duquel il est possible de s’ouvrir et d’intégrer la diversité. Ce centre se situe d’abord au niveau de la définition de la problématique visée. Pour décloisonner les services, il faut poser la situation de vie de la personne au centre de l’approche. Ainsi les différents problèmes de santé et diagnostics font partie de la situation de la personne, mais n’occupent pas le centre de l’approche. Ils peuvent ainsi s’intégrer naturellement, dans la mesure où les personnes peuvent avoir de multiples problématiques, incluant des problèmes de santé.
Les situations critiques de rupture sociale incluent de multiples problématiques de santé, notamment de santé mentale et de dépendance. On le sait. Mais si on base l’approche sur cette base, on réintroduit le cloisonnement des services et des disciplines au cœur de la pratique. On manque alors la cible qui est la situation critique de rupture sociale dans laquelle se trouve la personne. Il faut partir de là et intégrer autour de ce centre les différentes perspectives et expertises liées aux différents problèmes que peuvent vivre les individus. C’est la première balise : partir de la situation dans laquelle se trouvent les individus. Et leur état de santé fait partie de la situation dans laquelle ils se trouvent.
L’accompagnement psychosocial comme centre de l’approche
Au niveau de la pratique, c’est l’accompagnement psychosocial qu’il faut placer au centre de l’approche. L’accompagnement n’est pas une profession, rappelons-le : c’est un mode relationnel qui a pour visé le soutien de la personne, non la résolution de ses problèmes. Ce qui n’empêche évidemment pas de prendre en compte les différentes problématiques que peuvent vivre les personnes. Mais l’accompagnement n’est pas centré sur les problèmes. Il est centré sur la personne qui vit les problèmes. L’accompagnement place la personne avec ses besoins au centre de l’approche.
À partir de ce centre, les différentes professions et expertises peuvent facilement être mises à contribution dans le soutien et l’aide de la personne. L’accompagnement psychosocial ouvre un espace relationnel avec la personne qui structure la pratique autour de la personne et ses besoins. Autour de ce centre, les différentes perspectives et expertises de chacun peuvent être facilement mises à contribution dans une dynamique intégrée de complémentarité.
L’orientation vers la stabilisation hors de l’itinérance comme unité
Mais ce qui confère à la pratique son unité c’est l’orientation vers la stabilisation psychosociale hors de l’itinérance. L’approche est décloisonnée à l’égard des services et des programmes/clientèles, mais elle n’est pas tout et n’importe quoi. Ce qui lui confère son unité et permet de la situer à l’égard des autres services de proximité, c’est son orientation. L’approche de stabilisation psychosociale n’est pas une approche d’urgence ni de traitement et de réadaptation. Elle se situe en complémentarité et en continuité entre les deux.
Il s’agit de permettre à la personne d’atteindre une stabilité à partir de laquelle la vie en dehors de la survie soit possible. Le processus de stabilisation vise l’établissement des conditions suffisantes pour que la vie humaine puisse être vécue avec dignité au sein de la société. C’est la direction à suivre : partir d’une situation de désorganisation psychosociale critique et aller vers un niveau d’organisation suffisamment stable pour rendre la vie en société possible.
Ce tracé n’est pas un parcours en ligne droite. À vrai dire, il n’y a pas de parcours que l’on peut tracer d’avance et que la personne pourrait suivre avec assurance de se rendre à destination. Chaque personne suit un parcours différent qu’elle-même ne connait pas d’avance, affronte des épreuves différentes qu’il est bien difficile de prévoir et chemine à son propre rythme.
Le décloisonnement des structures ne passe pas nécessairement par la fusion des structures. Il est possible de créer des structures interorganisationnelles imputables de services intégrés. C’est le modèle qui est proposé ici. On l’a déjà vue, les situations critiques de rupture sociale se situent d’emblée dans un espace interorganisationnel. Mais c’est un espace non structuré à partir duquel les organisations apparaissent cloisonnées. C’est le défi qu’il faut relever : structurer cette espace interorganisationnel d’intervention. Le développement d’une structure interorganisationnelle est un processus coresponsable de décloisonnements. Au niveau structurel, décloisonner c’est entrer dans une zone de coresponsabilité où l’expertise et les ressources de chacun sont mises à contribution.
La structure interorganisationnelle n’abolit pas les frontières entre les organisations comme la fusion. Les organisations demeurent distinctes avec leur culture et leurs services propres, mais elles choisissent d’élargir leur responsabilité à une zone commune d’interdépendance où chacune ne peut agir seule. C’est une zone délimitée de coresponsabilité où chacune des organisations choisit de mettre en partage leurs ressources et leurs expertises. Au niveau structurel, le décloisonnement est la création d’un espace de coresponsabilité.