Voilà un objectif qui peut sembler évident. Mais il ne l’est pas. L’expérience nous enseigne qu’il faut porter une attention particulière à la compréhension de ce point. Il y a différentes façons de comprendre l’aménagement d’un espace interorganisationnel et l’exercice de la coresponsabilité. L’une des façons possibles, en fait la plus courante, consiste à aménager un mécanisme de liaison entre les organismes ou les services. Ce mécanisme peut être plus ou moins élaboré et contraignant. Le mécanisme de liaison représente une avancée importante pour assurer la coordination de certains services, voire l’accès à certains services spécialisés. Mais on ne peut parler de formation d’une équipe d’intervention à ce niveau primaire d’intégration. Un autre niveau plus élaboré consiste à partager le même mandat entre des intervenants appartenant à des organisations différentes et à prévoir un mécanisme de concertation entre les intervenants, afin de mieux coordonner leurs actions. Chacun des intervenants conserve sa pratique d’origine. Le travailleur de rue conserve sa pratique de travail de rue. La travailleuse sociale de l’établissement conserve sa pratique. Ils se rencontrent et se concertent. Mais ils ne forment pas véritablement une équipe. Pour former une équipe, il faut plus qu’un mécanisme de liaison ou de concertation. Il faut une intégration. Le passage de la liaison et de la concertation à l’intégration est un saut qualitatif majeur. C’est ce saut qu’il faut être prêt à faire pour former une équipe interorganisationnelle.
L’aménagement de l’espace interorganisationnel est un processus d’intégration des ressources. Cet aménagement peut se limiter à la liaison et à la concertation entre les organisations. Chacune conservant son identité et son mode de fonctionnement propre. Mais il peut aussi donner naissance à une structure et une pratique différentes de chacune des organisations, tout en maintenant la liaison avec chacune des organisations. Mener à terme, le processus d’intégration ne reproduit pas les structures existantes. À moins qu’une des organisations dévore les autres. Lorsque les organisations ont atteint suffisamment de maturité pour vivre l’interdépendance, l’intégration est un processus innovant de coresponsabilité. Pour aménager la zone interorganisationnelle d’intervention, il ne suffit pas simplement de mettre en place une structure de coordination des services existants. Il faut aller plus loin que le statu quo. Il faut développer de nouvelles façons de faire, à l’intérieure desquelles le problème de la coordination des services ne se pose plus. Une des façons de le faire est la formation d’une équipe interorganisationnelle avec un mandat et une pratique propre, distincts des organisations partenaires. C’est le développement qui est visé ici.
Pour développer une identité d’équipe dans un cadre interorganisationnel, il ne suffit pas de réunir des intervenants provenant de différents horizons organisationnels et professionnels. Il faut leur fournir un cadre structurant qui puisse leur permettre de se situer entre eux et par rapport aux autres. Deux éléments se sont avérés essentiels dans le processus d’intégration d’une identité d’équipe : le développement d’un cadre de référence commun autour de l’accompagnement psychosocial et une même organisation des suivis. Ces deux éléments peuvent permettre aux intervenants de se construire une identité commune, tout en conservant leur expertise et leur affiliation d’origine propre. Ils leur permettent de se reconnaitre et de se situer à l’égard des autres équipes et services de proximité sur le territoire.
L’accompagnement n’est pas le suivi. Il ouvre un espace relationnel, alors que le suivi ouvre un espace organisationnel. L’espace relationnel doit être habité. Il renvoie au savoir-être de l’intervenant. Alors que le suivi doit être géré. Il renvoie au savoir-faire de l’intervenant, ainsi qu’aux normes et valeurs institutionnelles en arrière-plan de la pratique. Ces deux espaces structurent la pratique et permettent aux intervenants de développer une identité qui leur est propre et ouverte sur les autres services de proximité, tant communautaires que publics. Il ne s’agit pas de séparer et opposer l’accompagnent et le suivi, mais de les distinguer pour mieux les intégrer dans la pratique. Ou pour avoir une pratique mieux intégrée et adaptée à la complexité des situations.
Malheureusement, on confond généralement ces deux dimensions de l’intervention. Il est vrai que dans la pratique, les deux sont étroitement imbriqués. L’accompagnement n’est pas une activité séparée du suivi. Ce sont deux dimensions de la même activité d’intervention. Néanmoins, s’ils ne sont pas séparés, ils sont distincts. Ce n’est pas la même chose d’accompagner quelqu’un que d’assurer le suivi d’une intervention. Il est tout à fait possible de faire de l’accompagnement sans suivi, comme il est possible de faire du suivi sans accompagner la personne. La distinction entre les deux dimensions de l’intervention que sont l’accompagnement comme espace relationnel et le suivi comme espace organisationnel procure aux intervenants des balises pour mieux gérer les tensions au sein de leur pratique et avec les autres services de proximité.
La distinction et le développement de ces deux pôles au sein de la pratique permettent d’intégrer et de mettre en valeur des expertises et des couleurs organisationnelles différentes au sein de la même équipe. La place centrale accordée à l’accompagnement psychosocial permet la cohabitation complémentaire d’expertises différentes, dans la mesure où l’accompagnement est une pratique transversale qui peut accueillir toutes les disciplines et expertises particulières, sans les réduire. D’autre part, l’organisation des suivis structure la pratique autour d’un ensemble de règles, de procédures et de méthodes communes, auxquels les intervenants peuvent se référer comme à leur pratique.
L’intégration et le métissage des expertises professionnelles et des cultures organisationnelles se font en développant la pratique autour de ces deux pôles : l’accompagnement psychosocial et le suivi des processus d’intervention.
1486 Rue Brébeuf
Trois-Rivières, Québec
G8Z 2A1
Tél.: 819 371-1023
Courriel : secretariat@havre.qc.ca