L’accompagnement ouvre un espace relationnel de proximité humaine qui repose sur la confiance. L’ouverture de cet espace n’est possible que si la personne accompagnée peut sentir qu’elle peut être sans danger dans la relation en étant elle-même. Ce qui est loin d’être évident dans un contexte de rupture sociale. Cet espace relationnel possède certaines caractéristiques que l’on peut reconnaitre et développer. Mais c’est la rencontre qui ouvre cet espace de proximité humaine.
Ce qui ouvre l’espace relationnel de l’accompagnement c’est la rencontre. Trop souvent cette dimension proprement humaine est totalement ignorée. On passe rapidement à l’objet de la rencontre, au problème. Comme si la rencontre elle-même n’avait que peu ou pas d’importance en soi. En sommes, qu’une formalité à remplir avant de passer aux choses sérieuses. Or dans l’accompagnement la chose sérieuse c’est la rencontre. C’est ce qui ouvre l’espace relationnel. On n’est pas là pour prendre en charge des problèmes, mais pour soutenir la personne. Mais pour la soutenir, il faut être en relation avec elle. Et pour être en relation avec elle, il faut la rencontrer. Et pour la rencontrer, il faut l’accepter comme elle est, sans jugement. La rencontre n’est pas une relation avec quelque chose, mais avec quelqu’un. La modalité relationnelle de la rencontre avec quelqu’un n’est pas le savoir, mais l’éthique.(Lévinas 1974)
Une fois l’espace relationnel ouvert, nous devons l’habiter. Certains repères permettent de baliser cette habitation de l’espace relationnel de proximité humaine. Ce sont la présence, la distance, la hauteur, l’intérêt et l’intégrité. Ce sont des qualités humaines qui peuvent toutes être développées. Bien les reconnaitre et les intégrer dans la dynamique relationnelle est essentiel dans l’accompagnement des personnes.
Cela peut paraitre évident. Mais ça ne l’est pas du tout. Au contraire. La présence dans la relation humaine c’est souvent ce à quoi on porte le moins attention, mais c’est ce qui est qualitativement le plus important. La qualité de la présence fait une grande différence dans la relation entre deux personnes. C’est vrai dans la relation avec nos proches et c’est aussi vrai avec les personnes vulnérables et exclues avec qui nous sommes en relation. La qualité de présence est une habileté relationnelle avec soi et avec les autres que l’on peut apprendre à reconnaitre et à développer. Il ne s’agit pas d’apprendre à être toujours content et positif, mais à rester présent avec ce qui est dans la relation.
La distance dont il s’agit ici n’est pas la géographique, mais relationnelle. Elle est qualitative. La question peut se poser ainsi : qu’elle distance qualitative faut-il garder pour s’approcher de l’intimité d’une personne sans danger pour elle et pour soi ? La réponse est simple : absolue. Il ne doit y avoir aucune intrication dans la relation entre les émotions et les besoins de l’intervenant et ceux de la personne accompagnée. C’est la condition pour pouvoir s’approcher de ce que vit la personne sans risquer d’être ébranlée et confrontée par ce que vit la personne. Et lorsqu’on est ébranlé et confronté dans une relation, on ne peut rester présent très longtemps. On met en place un mécanisme défensif qui ferme rapidement l’espace relationnel. Pour rester présent, il est nécessaire de rester « chez soi » et de bien distinguer ce qui appartient à l’autre. Autrement, l’espace relationnel est toujours un terrain où il est dangereux de s’aventurer. On risque de se perdre dans les souliers de l’autre. Sans même s’en rendre compte, on marche dans ses pas. À notre insu on devient responsable des besoins de l’autre, tout en ignorant nos propres besoins dans la relation. Ce qui se présente comme du soutien devient de la prise en charge déguisée en soutien. La confusion est complète. La « désintrication » de l’espace relationnel est une condition de l’accompagnement professionnel. Cette condition n’est pas donnée simplement parce qu’on veut sincèrement aider les personnes vulnérables et exclues. Mais elle peut être développée.
Dans l’espace relationnel de proximité peut s’instaurer rapidement un rapport de pouvoir entre l’intervenant et la personne accompagnée. C’est ce que désigne « la hauteur ». Il ne s’agit pas encore ici d’une dimension géographique, mais d’une dimension relationnelle. Est-ce que j’exerce un pouvoir sur la personne ? À l’inverse, est-ce que la personne exerce un pouvoir sur moi ? Ou encore, est-ce que j’utilise mon pouvoir avec la personne ? Exercer son pouvoir avec la personne ne veut pas dire que l’on est en accord avec ce qu’elle veut ou ne veut pas. Mais qu’on renonce à la traiter comme « quelque chose » que l’on pourrait manipuler ou contraindre de quelques façons que ce soit à penser ou faire comme on pense qu’elle devrait. Cela veut aussi dire que l’on n’accepte pas que l’autre nous traite comme « quelque chose » qu’il peut manipuler ou contraindre de quelque façon que ce soit. Exercer son pouvoir avec quelqu’un et non sur ou sous, c’est introduire le dialogue au cœur de l’espace relationnel. S’entrainer au dialogue dans un contexte d’accompagnement, c’est s’entrainer à exercer son pouvoir avec la personne, en vue de contribuer à l’avancée de la personne dans son cheminement et dans la réponse à ses besoins.
L’espace relationnel peut être contaminé par toutes sortes d’intérêts qui viennent comme parasiter la relation et l’orienter. On peut être intéressé dans la relation parce qu’on a besoin de rehausser son estime comme intervenant. L’espace relationnel est alors intriqué. Donc risqué. Il ne s’agit pas ici de ce type d’intérêt. En fait, l’espace relationnel doit être le plus désintéressé possible dans ce sens. C’est ce que signifie la « désintrication » de l’espace relationnel. Ce dont il s’agit ici c’est l’intérêt que l’on porte à ce que vit la personne. Est-ce qu’on s’intéresse vraiment à ce que vit la personne ? Si je n’ai aucun ou peu d’intérêt pour ce qu’elle peut vivre, l’espace relationnel va devenir rapidement ennuyeux et lourd. De quoi peut-on parler si on ne s’intéresse pas à ce que vit la personne ? C’est la non-indifférence dont parle si bien et si fort Lévinas. (Lévinas, et al. 1995) Il ne s’agit pas ici d’une curiosité. De s’intéresser à son histoire, comme on s’intéresse aux personnages d’un film ou d’un roman. Mais de s’intéresser à quelqu’un, à ce qui lui arrive comme personne, derrière ce qu’elle raconte ou ce qu’elle préfère taire. On pourrait appeler cet intérêt pour ce que vit la personne compassion.
Il n’est jamais facile d’être entièrement intègre avec soi-même. Et il l’est encore moins dans les situations de survie, lorsque l’espace relationnel devient tendu et qu’aucune stratégie ne semble réaliste ou acceptable. Pourtant, l’intégrité est cruciale dans un espace relationnel de proximité humaine. On ne peut être avec quelqu’un sans être d’abord avec soi-même. L’intégrité avec soi-même est une habileté relationnelle qui peut se développer, comme l’écoute empathique, le dialogue, la bonne distance et la présence. Ces qualités sont toutes au cœur de l’espace relationnel de proximité qu’ouvre l’accompagnement des personnes fragiles et vulnérables.
Il faut se rappeler que l’accompagnement n’est pas une profession. Ce n’est pas parce qu’on a un titre professionnel ou qu’on exerce une fonction d’aide ou qu’on se sent proche des personnes vulnérables et exclues qu’on est accompagnant. L’accompagnement dans un contexte professionnel renvoie à un mode relationnel particulier qui repose sur un savoir-être particulier que l’on peut développer. Ce savoir-être n’est pas donné avec le titre, la fonction ou l’habileté naturelle seulement. Il doit être développé. À ce titre, il doit occuper une place importante dans la formation des intervenants.
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