Si nous plaçons le rapport d’exclusion au logement au centre de la définition de l’itinérance. Et que nous comprenons ce rapport comme le suggère la définition canadienne : « L’itinérance décrit la situation d’un individu ou d’une famille qui n’a pas de logement stable, permanent et adéquat, ou qui n’a pas de possibilité ou la capacité immédiate de s’en procurer un. » Nous pouvons construire rapidement une typologie des phénomènes collectifs d’itinérance basée sur les déclencheurs.
Au centre on place l’absence de chez soi. C’est ce que désigne le rapport d’exclusion au logement. Autour on place les déclencheurs. Ainsi on obtient quatre types de ruptures sociales selon la source : naturel, politique, économique et sociale.
Le 29 août 2005, l’ouragan Katrina frappe de plein fouet la côte est américaine avec des vents pouvant atteindre plus de 280 km/h. C’est la catastrophe. Le lendemain, La Nouvelle-Orléans est devenue une zone sinistrée. Des milliers de personnes sont abandonnées à elles-mêmes sans chez soi. Elles doivent s’arranger comme elles peuvent pour survivre.
Plus près de nous, on peut penser à la catastrophe du Lac-Mégantic qui, en plus de faire des morts, a littéralement fait voler en éclat la vie de centaines de personnes qui se sont retrouvées brutalement sans chez soi. Heureusement les secours sont arrivés rapidement. Mais elles ont dû apprendre durement et rapidement à survivre.
Au printemps 2011, c’est le printemps arabe en Syrie. Le 23 mars une centaine de manifestants sont tués à Deraa. La situation se détériore rapidement et les évènements se bousculent. Le 13 août, l’armée commence à bombarder Lattaquié, principal port du pays. Entre 5 000 et 10 000 personnes fuient la ville. La crise politique syrienne s’est enfoncée dans l’enfer de la guerre civile : 150 000 morts, des millions de déplacés et des centaines de milliers de « migrants » en fuite. La rupture sociale est brutale. Il n’y a plus de vie possible en Syrie pour ces fuyants. Ils sont plongés dans une itinérance à la recherche d’un lieu d’asile où la vie pourrait encore être possible.
Entre le 24 et le 29 octobre 1929, la bourse de New York s’effondre. C’est le déclenchement de la plus grande crise économique du XXe siècle. En 1933, la production industrielle des États-Unis avait baissé de moitié depuis 1929. Sans travail, sans revenu, des milliers de personnes sont littéralement jetées à la rue. À Montréal, le refuge Meurling déborde. En 1933, lorsque Roosevelt devient président, 24,9% de la population active est au chômage et deux millions d’Américains sont sans-abri. Pour des millions de personnes, c’est la rupture sociale. Elles n’ont plus de place à elles où vivre et elles n’ont pas de vie hors de la survie. C’est l’itinérance.
Entre 1990 et 2010, la population sans abri n’a cessé de croître et de se diversifier dans l’ensemble des sociétés occidentales contemporaines : des hommes, des femmes, des jeunes, des âgées et dans certaines régions des familles entières. D’abord concentré dans les grands centres urbains, le phénomène s’est généralisé surtout depuis le début des années 2000. On voit une croissance inquiétante et continue de personnes très vulnérables avec des problèmes graves de santé mentale et de santé physique errer dans les rues, sans soin, n’ayant nulle part où aller. Plusieurs voient leur vie littéralement sombrer dans le cauchemar des dépendances toxiques.
À Trois-Rivières, le nombre de demandes d’hébergement d’urgence est passé d’environ 200 par année au début des années 90, à plus de 1 200 en 2010. En septembre 2015, les villes américaines de Los Angeles et Portland ont décrété un état d’urgence relativement à la situation des sans-abri dans leur ville. 1 À New York des commentateurs parlent d’une épidémie de sans-abri dans la ville. Au mois de janvier 2014, près de 580 000 personnes étaient sans logement au cours d’une seule nuit aux États-Unis.(NAEH 2015) Au Canada, the Canadian Observatory of Homelessness estime qu’environ 235 000 personnes se sont retrouvées itinérantes au cours de l’année 2014. (Gaetz, et al. 2014) Nous pourrions aligner encore les chiffres qui illustrent le développement du phénomène social de l’itinérance dans les sociétés modernes contemporaines. Mais cela est suffisant pour notre propos. Ce qu’il faut remarquer et retenir, c’est que contrairement aux autres types, il n’est pas possible ici d’identifier un évènement déclencheur et une cause. La raison de cela est for simple. Le type de rupture sociale dont on observe la croissance depuis une vingtaine d’années n’est pas dû à une cause particulière et n’a pas été déclenché par un évènement; il est le produit des changements structurels qui transforment profondément et rapidement les sociétés modernes contemporaines depuis la sortie du XXe siècle. La solution à ce problème ne peut pas être unique et temporaire. Elle passe nécessairement par des actions qui ont une portée systémique et qui s’inscrivent dans une perspective de longue durée. Parce que la croissance du phénomène d’itinérance que l’on observe depuis plus de vingt ans est intimement liée à la dynamique de développement de nos sociétés.
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