Ça casse pas des briques !

Image-CasExemple

2023-05-11

Type de cas : Cas en économie circulaire

Les murs des immeubles et des maisons possèdent fréquemment un revêtement en briques. Or, avec le temps, les intempéries, les mouvements du sol et de la structure endommagent la maçonnerie extérieure. Certes, il est possible de réparer le mur après avoir nettoyé minutieusement les briques en bon état et remplacé celles qui sont fissurées ou éclatées.

Un briqueteur expérimenté peut aisément réaliser le travail, à condition toutefois qu’on parvienne à retrouver quelques briques fabriquées dix, vingt, ou trente ans auparavant! Comme il s’agit la plupart du temps d’un défi de taille, cela explique qu’il y ait bel et bien une demande sur le marché pour les briques usagées. Autrement dit, plusieurs entrepreneurs ont en fait besoin de réparer des briques!

L’entreprise RéparBrik se propose de recycler vos briques. Cependant, certaines contraintes nous incitent à nous demander s’il s’agit bien d’une opportunité circulaire.

Auteur(s)

Cécile Fonrouge cecile.fonrouge@uqtr.ca

Mots clés

  • maçonnerie
  • construction
  • recyclage
  • machine
  • Québec
  • rénovations
  • cycle de vie

Types d’organisation

  • PME

Discipline et thèmes

  • Innovation Circulaire
  • Production et ingénierie
  • autre exemple ici

Introduction du cas

Au Québec, les agrégats comme la brique, le béton ou le gravier comptent pour 40 à 60 % des déchets générés par les activités de construction, de rénovation et de démolition (CRD). Pourtant, en raison de la composition entièrement naturelle de la brique (schiste argileux), son cycle de vie semble infini. N’ayant subi que peu de transformations chimiques ou industrielles, une fois enfouie dans le sol, elle se désagrège et revient à son état premier sans provoquer trop d’émanations toxiques. Il reste que l’énergie dépensée en transport, en livraison, en déchargement, etc. dans la gestion de ce déchet serait mieux employée à le récupérer! D’autant plus que la production de briques est très coûteuse en énergie dite grise, soit l’énergie déployée pour la fabrication, le transport et l’élimination. On estime ainsi que près de la moitié du coût de fabrication d’une brique provient de la consommation d’énergie ayant servi à la produire. On ne parle pas encore de l’énergie pour la déplacer et l’enfouir!

L’entreprise Brampton Brick est le principal fabriquant de briques au Canada et approvisionne le marché québécois, le Québec ayant cessé de produire des briques en 2016. Le transport de ce matériau lourd est saisonnier, avec des pics au printemps et à l’automne.

La maçonnerie RéparBrik a été fondée en 2007 par deux amis d’enfance. Œuvrant dans le secteur de la construction, l’entreprise offre des services de maçonnerie destinés aux immeubles résidentiels, multi-logements et en copropriété. Elle se spécialise dans les services de restauration et réparation de maçonnerie. De plus, elle offre une gamme de produits de maçonnerie recyclée, constituée d’une quinzaine de pierres recyclées et d’une dizaine de briques recyclées.

L’entreprise souhaite encourager le remploi des briques afin de diminuer les impacts environnementaux de l’industrie. Mais est-il véritablement intéressant de réparer une brique par rapport à en acheter une neuve dans les provinces voisines? Comment minimiser les coûts de réparation afin de concurrencer des fabricants de briques neuves? Qu’est-ce que propose de vraiment nouveau l’entreprise RéparBrik? Sont-ils les « bons » porteurs du projet, au bon endroit et au bon moment? Sur quoi porte l’innovation appuyée par différents systèmes d’accompagnement? Quelle est réellement l’innovation circulaire et sur quoi porte-t-elle? Qu’est ce qui a convaincu les partenaires de l’entreprise?

Nous remercions les étudiants du cours de MBA-PME de l’UQTR pour avoir présenté cette entreprise au groupe et pour avoir fourni des éléments de rédaction.

Présentation de l’organisation

Située à Montréal, l’entreprise compte une soixantaine d’employés, partagés en deux équipes : l’administration, du ressort d’Elvis, et la production, gérée par Jonathan.

Elvis

Originaire de Sainte-Luce dans le Bas-Saint-Laurent, il se réoriente dans le domaine de la maçonnerie en 2001, à la suite d’études dans le domaine de l’aéronautique. En raison des événements du 11 septembre, le taux de placement dans ce secteur est faible. Elvis se tourne alors temporairement vers le métier de maçon sur la recommandation de son ami David. Après quelque temps, il décide d’en faire son métier; il démarrera son entreprise en 2007.

Jonathan

Également originaire de Sainte-Luce dans le Bas-Saint-Laurent, Jonathan possède une formation de maçon. Il est décrit comme une personne ingénieuse, brillante et débrouillarde.

Chaque année, le secteur de la construction (construction, rénovation et démolition) génère 2,5 M de tonnes de résidus. Les matériaux de construction représentent 30 % de ce qui se retrouve à l’enfouissement. Entre 2011 et 2020, les résidus de ce secteur ont augmenté de 40 %. En 2019, Elvis constate que, lors des travaux de restauration ou de réparation de maçonnerie, la majorité des briques sont encore utilisables et que ce sont principalement les ancrages d’acier qui doivent être remplacés. Pour nettoyer les briques, on utilise traditionnellement une méthode par impact qui se fait de façon manuelle. Cette méthode est coûteuse en temps et en argent; il est donc généralement plus avantageux de jeter les briques et de les remplacer.

À la suite de ce constat, Elvis s’est associé à différents partenaires, dont une entreprise spécialisée en robotisation et en automatisation œuvrant dans le secteur agricole. Avec l’appui de Recyc-Québec, de PME MTL, d’Investissement Québec, du ministère de l’Économie et de l’Innovation du Québec, de Synergie Montréal ainsi que le Programme d’aide à la recherche industrielle du Conseil national de recherches du Canada (PARI CNRC), ils ont travaillé pendant trois ans à développer une machine permettant de nettoyer une brique de ses résidus de mortier en sept secondes et de la réutiliser directement sur le chantier.

Cette machine est constituée d’une scie à diamant guidée par un système de laser. Le processus, qui n’affecte pas la brique, retire le mortier en générant très peu de poussière et de bruit. Elle se transporte facilement et permet de récupérer plus de 99 % des briques. En l’installant sur un échafaudage, il devient possible de retirer les briques, de les nettoyer sur place et de les réinstaller. Avec la méthode traditionnelle, la récupération d’un mur de 1000 pi² 1000 pi² ou ≈ 92 m² pouvait nécessiter 760 heures de chantiers; la machine permet de réduire ce temps à 440 heures. Maçonnerie Gratton détient un brevet du Bureau américain des brevets et des marques de commerce de même qu’une certification Développement durable de niveau 1 octroyée par ÉcoCert Canada pour la machine créée par RéparBrik.

Sa technologie est très récente (2021) et ne semble pas avoir de concurrente directe pour l’instant. De fait, les concurrents de son entreprise mère sont les entreprises de maçonnerie qui utilisent les méthodes traditionnelles de restauration. Bien que la machine ait été brevetée, il pourrait être tentant pour les concurrents de développer leur propre technologie.

Le marché pour ce type de machine est mondial. Au niveau provincial seulement, la Commission de la construction du Québec recensait en 2021 plus de 5000 briqueteurs-maçons répartis chez environ 1000 employeurs différents. Des entreprises de maçonnerie des autres provinces canadiennes et de l’Europe ont déjà montré de l’intérêt pour le dispositif. Les marchés nord-américain et européen semblent être ceux qui présentent à première vue le meilleur potentiel. Le parc immobilier est vieillissant dans plusieurs villes et beaucoup d’immeubles requièrent de la restauration. Les villes exigent souvent de conserver le cachet original des immeubles dans un souci de préservation du patrimoine, ce qui représente une opportunité pour l’entreprise. Actuellement, c’est la France qui témoigne du plus grand intérêt pour la machine conçue par RéparBrik en raison d’une pénurie de briques et de règlements plus stricts en matière de gestions des matières résiduelles. Une entreprise américaine aurait exprimé de l’intérêt pour distribuer la machine.

Les offres de substitution sont principalement les briques et les pierres neuves ou encore les autres matériaux de revêtement extérieur, comme le vinyle, l’aluminium, le bois ou encore le fibrociment. Toutefois, la brique et la pierre ont l’avantage de demander peu d’entretien et d’être durables. L’innovation que propose la machine de RéparBrik est intéressante dans un contexte d’économie circulaire et répond à différents défis et enjeux. Tout d’abord, en permettant la récupération de pratiquement la totalité des briques dans un projet de restauration, la machine permet d’éliminer une quantité importante de déchets. Aussi en réutilisant les briques déjà en place, elle réduit les activités d’extraction d’argile qui est la matière première de la brique et élimine les gaz à effet de serre gérés par la production et le transport de nouvelles briques. Finalement, en réduisant les coûts de récupération des briques, la machine rend l’option de récupération des briques plus attrayante aux yeux des consommateurs et plus attrayante pour les entreprises de maçonnerie qui sont aux prises avec une pénurie de main-d’œuvre. Le processus est aussi plus sécuritaire pour les employés, car il ne demande pas des gestes répétitifs et diminue ainsi les risques de blessure.

Problématique

Au Québec, l’enjeu du retraitement des briques est de taille. En 2006, les activités de CRD ont généré 4 569 000 tonnes de débris et de matériaux résiduels, ce qui représente près du tiers (35 %) du total des matières résiduelles générées dans la province, mais aussi près du tiers de toutes les matières résiduelles récupérées.

Que devient la brique endommagée? Que faire de ses briques en tant que particulier?

Variation de l’usage de la brique en fonction son état

Afin que les briques usagées toujours en bon état puissent être réutilisées dans une construction ou une rénovation, la déconstruction doit avoir été faite avec grande minutie et chaque brique doit avoir été parfaitement nettoyée. Ainsi, si on économise sur le coût des matériaux, le processus de récupération est fastidieux et exige un temps considérable, qui vient presque toujours contrecarrer la rentabilité de l’initiative. En outre, à défaut d’être réutilisées pour construire ou restaurer un bâtiment, les briques récupérées font merveille dans un aménagement paysager, que ce soit sous forme de sentier, de muret ou de patio.

Quant aux briques trop endommagées pour être réemployées, elles peuvent être concassées et transformées en agrégat ou en granulat. Une fois broyées en morceaux, elles redeviennent une matière qui sert notamment de remblai ou de pierre de drainage pour les fondations et les infrastructures de transport. Elle peut aussi être utilisée dans la fabrication de mortier, de béton ou d’enrobés bitumineux. Autrement dit, même si le concassage représente un procédé en apparence plus complexe, c’est en réalité un excellent moyen de rendre la brique utile dans de nombreux projets.

Valorisation de la brique

Les briques sont généralement concassées pour être transformées en granulats, tel que mentionné précédemment. On peut également opter pour le réemploi; en effet, selon certains critères, les briques pourront être réemployées dans une nouvelle construction ou dans des travaux de rénovation

Que l’on démolisse un bâtiment parce qu’il est arrivé en fin de vie ou que l’on change le revêtement extérieur d’une maison pour la remettre au goût du jour, les briques sont récupérables. Une fois bien nettoyées, on peut les réutiliser immédiatement, sans avoir recours à la moindre intervention ou transformation.

Les entreprises de revente de briques recyclées

La déconstruction sélective permet de retirer les composantes d’un bâtiment afin d’en récupérer les éléments réutilisables ou recyclables. C’est ainsi que certaines entreprises peuvent offrir à leur clientèle des matériaux recyclés qu’on ne trouve nulle part ailleurs. C’est le cas,notamment de Webster & Sons Ltd, dont l’inventaire comprend des briques de toutes les couleurs et de toutes les époques, certaines provenant d’édifices centenaires. L’entreprise de Montréal se spécialise notamment dans l’achat et la revente de briques recyclées. 

Revendre ses briques usagées par soi-même

Si l’on ne trouve pas d’entreprise près de chez soi qui soit intéressée à acheter ses briques, il est toujours possible de les mettre en vente dans des sites de petites annonces. Bien que la demande ne soit pas élevée, la rareté du produit fait en sorte que l’on a bien des chances de trouver preneur rapidement!

Les écocentres

La majorité des écocentres acceptent les matériaux de construction, dont la brique. Plusieurs des plus grandes villes du Québec ont leur propre écocentre, et ces sites de récupération des matières résiduelles sont accessibles aux citoyens. On note toutefois une résistance à accepter les poussières générées par les activités des CRD (Dufresne, 2023).

Dans ce contexte, l’entreprise faisant l’objet de ce cas propose une innovation. Équipée d’une scie en diamant guidée par un système de laser, la machine de RéparBrik permet d’économiser temps et argent. La machine retire le mortier et nettoie la brique en moins de sept secondes, et ce, sans faire de poussière. Au lieu de briser 15 % des briques, comme c’était le cas avec la méthode de nettoyage traditionnelle, elle en préserve plus de 99 %. Il s’agit d’éléments très positifs mentionnées par l’entreprise.

Fonctionnement de la machine

Le fonctionnement de la machine est simple : on dépose une brique sur un étau, puis on lance la commande en appuyant sur un simple bouton. La brique disparaît dans une boîte métallique et en ressort quelques secondes plus tard, polie et parfaitement nettoyée. Le vieux mortier récupéré servira à la fabrication de ciment, tandis que la brique permettra de reconstruire le mur d’où l’on vient à peine de l’extraire. Près d’une dizaine de briques peuvent ainsi être traitées de la même manière en quelques secondes à peine. La machine permet de recycler un mur de briques de 1000 pi² ou ≈ 92 m² en seulement 440 heures, alors que, selon l’entreprise, il en faudrait 600 pour le reconstruire avec des matériaux neufs.

Le recyclage de la brique à même le chantier

Jusqu’à tout récemment, il était plus facile et économique de transporter des briques neuves des États-Unis ou de l’Ontario que de nettoyer les anciennes pour ensuite les utiliser pour reconstruire le mur. Traditionnellement, récupérer la brique était un procédé tellement lent et coûteux qu’on préférait de loin gérer le casse-tête de faire entrer et sortir des matériaux des chantiers urbains. 

À la fois rapide, économique et écologique, la réutilisation des briques pour un mur de 1000 pi² ou ≈ 92 m² éviterait l’émission de 5,9 tonnes de gaz à effet de serre. Ce calcul tient compte de la fabrication de nouvelles briques, de leur transport, de la construction et de l’élimination des anciennes briques. Facile à déplacer et à installer, la machine conçue par RéparBrik peut être utilisée dans des endroits restreints et même sur un échafaudage. Lorsque les briques sont nettoyées sur place en peu de temps et immédiatement réutilisées, il devient plus économique de les recycler que de les jeter. Ainsi, les projets de rénovation pourraient devenir être à la fois économiques et écologiques : une combinaison gagnante!

La technique mise au point par RéparBrik « évite beaucoup de gaspillage, explique Melissa Stoia. Chez Synergie Montréal, nous avons calculé le différentiel en carbone et avons démontré que pour 1000 pieds carrés de briques, cette technique permet de réduire de 5 tonnes le gaz carbonique produit » (source).

Les gouvernements tentent d’inciter les acteurs du secteur de la construction à recycler les matériaux et exigent des frais d’enfouissement de plus en plus élevés. La machine répond à plusieurs enjeux de l’économie circulaire et du développement durable en réduisant l’émission de gaz à effet de serre et en diminuant les déchets.

Questions et réponses associées au cas

Quel est le besoin auquel répond l’entreprise?

Les briques constituent un matériau dont la production, le transport et l’enfouissement se révèlent très coûteux en énergie et en émission de gaz à effet de serre. De nombreux immeubles cherchent à rénover leur parement de brique plutôt que de le changer pour un neuf. La demande semble exister.

Pourquoi et en quoi cette entreprise est bien positionnée pour répondre à ce besoin?

Cette entreprise œuvrait déjà dans le domaine de la maçonnerie. De plus, les fondateurs ont noué des partenariats pour construire leur machine de nettoyage de briques. Enfin, ils ont su s’entourer et se font accompagner dans leur innovation.

Sur quoi porte l’innovation et en quoi est-elle circulaire?

Il s’agit d’abord d’une innovation dite de procédé car elle concerne une opération en particulier, soit le nettoyage des briques sur le chantier, ce qui représente l’avantage d’éviter le transport d’un produit lourd et dont la production, le recyclage et l’enfouissement sont onéreux.

Il s’agit également d’une innovation de produit, car la machine permet de nettoyer la brique sur place.

Enfin, l’innovation est circulaire dans la mesure où l’on cherche à réduire la production de briques par sa rénovation.

 

Bibliographie

Ville de Montréal (2023, 25 avril). L’économie circulaire, un modèle économique d’avenirhttps://montreal.ca/articles/leconomie-circulaire-un-modele-economique-davenir-22003