Michel Simard
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La structure des suivis

L’intervention est un processus structuré. Cette structure se retrouve au niveau l’application utilisée par les intervenants pour gérer leurs suivis. Je ne reprendrai pas ici tous les éléments de cette structure. Je ne retiendrai que ceux qui sont le plus structurants au niveau de l’intervention.

L'orientation des suivis

Les suivis peuvent avoir trois orientations :

Le contact

Le contact désigne soit un processus d’apprivoisement ou de vigilance ou les deux à la fois. Ce qui est souvent le cas. Il s’agit dans le premier cas d’une personne plutôt méfiante qui n’est pas facile d’approche. Dans le deuxième cas, il s’agit souvent d’une personne aussi méfiante et difficile d’approche, mais dont la situation est très précaire, voire à la limite de la dangerosité.

La stabilisation

La stabilisation désigne un processus d’apaisement et d’amorce de développement ou au moins de sortie des conditions de survie et de désorganisation. La personne est engagée dans un processus de sortie de l’itinérance.

Le maintien

Le maintien se réfère aux personnes qui ont atteint une stabilité depuis plusieurs mois ou plus, mais dont la situation est encore très fragile et que les relais vers d’autres services ne suffisent pas ou ne peuvent s’actualiser.

L’orientation de l’intervention peut changer dans un sens ou un autre selon l’évolution de la situation de la personne au cours d’un même suivi.

Ces trois orientations ont pour but de respecter la diversité des parcours et des cheminements. Elles introduisent de la souplesse dans la structure des suivis.

Les types de suivi

Il y a trois types de suivi :

Les suivis réguliers

Les suivis réguliers sont sous la responsabilité d’un intervenant. La fréquence des rencontres peut varier selon la situation. Mais en règle générale les rencontres sont hebdomadaires et se déroulent à l’extérieur des bureaux de l’équipe : chez la personne, dans un organisme ou établissement ou dans un lieu public.

Les suivis en équipe

Les suivis en équipe sont sous la responsabilité de plus d’un intervenant, même si généralement un intervenant demeure répondant principal du suivi. La fréquence des rencontres peut varier beaucoup d’un suivi à l’autre et changer rapidement selon l’évolution de la situation. La fréquence des rencontres est généralement quotidienne, mais pas forcément.

Les suivis situationnels

Les suivis situationnels sont des interventions ponctuelles qui ne s’inscrivent ni dans un suivi régulier ni dans un suivi en équipe. Ces suivis n’ont pas d’intervenant attitré en permanence. L’intervention se fait selon la disponibilité des intervenants. Ce qui demande aux intervenants de prévoir un espace de disponibilité dans leur agenda ou de flexibilité pour s’adapter aux évènements difficilement prévisibles.

Les stratégies

Les stratégies sont à la fois des cibles et des moyens pour les atteindre. Les stratégies sont en lien avec les besoins des personnes. Elles peuvent répondre d’une manière plus ou moins satisfaisante aux besoins des personnes. Elles peuvent aussi ne pas y répondre. Les stratégies ne sont pas des besoins, mais de propositions de réponse aux besoins.

Les stratégies sont en lien avec les sphères de vie de la personne les plus significatives pour les suivis :

  • L'habitation;
  • Le revenu;
  • La santé;
  • La reliance.

Les stratégies peuvent varier selon le contexte et l’évolution de la situation. Il n’y a pas de bonne stratégie en soi. Une stratégie est bonne lorsqu’elle peut répondre au besoin de la personne. Par exemple, le logement permanent subventionné peut apparaitre comme la stratégie idéale pour répondre au besoin de la personne d’avoir une place à soi. Mais dans la réalité, cette stratégie peut ne pas donner de résultat pour une personne au moment où cette stratégie lui est proposée. Il faut alors revoir la stratégie. Peut-être l’hébergement de stabilisation serait-il plus approprié? Ou encore l’hébergement d’urgence?

Plus les situations sont chaotiques, plus l’intervention doit être bien structurée. Mais il ne faut pas confondre l’organisation avec la rigidité. Une organisation bien structurée est une organisation adaptée à la réalité dans laquelle elle se trouve. C’est une organisation qui est capable de souplesse, parce qu’elle peut se mettre au service des besoins des personnes, sans avoir à se remettre constamment en question et à négocier sa légitimité. Elle est adaptée à la réalité des besoins des personnes. Son organisation est développée, mais elle est discrète. Elle facilite l’intervention. Elle ne l’entrave pas.


Bien repérer et circonscrire la zone d’intervention est la clé maîtresse du développement d’une équipe interorganisationnelle. Il y a des situations critiques où des personnes très vulnérables sont littéralement abandonnées à elles-mêmes sans protection. Elles sont souvent exclues des services et n’ont nulle part où habiter. Il semble n’y avoir aucune issue pour elles hors de l’itinérance. Malgré leurs efforts, les intervenants se sentent démunis et impuissants devant ces situations sans issue de plus en plus nombreuses.

Or pour une large part, ces impasses sont d’ordre systémique. C’est-à-dire que le fonctionnement des institutions et des organismes n’est pas adapté à la complexité de ces situations. Pour sortir de cette impasse, il faut un changement au niveau systémique qui permet le décloisonnement des organisations, l’intégration et la coordination des services. Pour cela, il faut commencer par développer un espace de coresponsabilité communautaire et public, afin de sortir des clivages idéologiques et du cloisonnement de services. Cet espace rassemble des partenaires promoteurs et collaborateurs autour d’un projet d’intervention auprès de cette population.

Une des tâches importantes au point de départ est de bien placer la structure qui va permettre la gestion du projet. Cette structure interorganisationnelle peut prendre plusieurs formes, mais elle comporte deux niveaux : un comité de direction et une équipe d’intervention. Il faut se rappeler que la zone d’intervention ciblée est d’emblée une zone interorganisationnelle non structurée. Il s’agit essentiellement de développer une structure interorganisationnelle pour intervenir d’une manière intégrée et coordonnée dans cette zone.

Les approches et les stratégies d’intervention traditionnelles centrées sur l’urgence, le traitement et la réadaptation ne sont pas suffisantes et adaptées à la complexité des situations critiques de rupture sociale. Il faut plus qu’un changement de structure. Il faut aussi un changement de paradigme d’intervention. C’est ce changement de perspective qu’introduit l’approche de stabilisation psychosociale. En fait, placée entre les approches d’urgence, de traitement et de réadaptation, elle élargit le champ d’intervention, en continuité avec les autres approches. La stabilisation psychosociale n’est pas une alternative aux réponses d’urgence, au traitement et à la réadaptation. Elle vise les situations où ces réponses sont soit insuffisantes soit inadaptées. Bref, où elles ne fonctionnent pas. C’est le cas des situations critiques de rupture sociale.

Nous avons vu que pour être efficaces dans cette zone d’intervention, les stratégies doivent être diversifiées, intégrées et souples. Les stratégies d’habitation doivent être au centre de cette approche. Et ils doivent inclure une diversité de stratégies si elles veulent respecter le choix des personnes et répondre à leur besoin. Mais même si elles sont au centre, les stratégies d’habitation n’imposent pas un parcours obligé aux personnes. L’intervention n’est pas centrée sur une stratégie particulière, mais sur le besoin des personnes. D’où l’importance de la souplesse. Autour des stratégies d’habitation, d’autres stratégies d’intervention doivent être développées, notamment relativement au revenu, à la santé et à la reliance.

Il est important d’apporter une attention particulière à l’organisation de la pratique. Elle soulève des enjeux majeurs au niveau de l’intervention qu’on ne peut ignorer : le lieu, le travail en équipe, la tenue des dossiers, la gestion de l’information et la structuration des suivis. Tous ces éléments peuvent avoir un impact important sur l’intervention. Ils doivent être clarifiés le plus tôt possible.

Pour développer une équipe interorganisationnelle dédiée aux situations critiques de rupture sociale il faut relever ces cinq défis et enjeux : définir et circonscrire la zone d’intervention, développer un espace de coresponsabilité, développer une structure interorganisationnelle, baliser l’approche de stabilisation psychosociale, développer des stratégies d’intervention et organiser la pratique. Cette section avait pour visée de placer des repères les plus clairs possible pour relever chacun de ces défis et enjeux.