L’habitation est certainement le premier domaine à l’intérieur duquel il est nécessaire de développer des stratégies efficaces. Il faut loger les personnes sans abri ou vivant dans des conditions inadéquates pour vivre humainement. C’est la première priorité. On peut discuter longtemps sur les meilleures stratégies d’habitation, mais on ne peut contourner la question : une approche de stabilisation hors de l’itinérance doit développer prioritairement des stratégies d’habitation.
L’expérience nous enseigne qu’il n’y pas une stratégie pour tout le monde et pour toutes les situations. Une approche de stabilisation psychosociale doit s’appuyer sur une diversité de stratégies qui correspondent aux besoins de l’ensemble de la population cible et à la diversité des situations. Voici quelques balises pour le développement de stratégies d’habitation intégrées.
Ces stratégies doivent cibler la participation du réseau privé et du réseau de logement social.
Elles doivent inclure des suppléments au loyer rattaché à la personne et géré par l’équipe ou l’intervenant responsable de l’offre de logements.
Elles doivent aussi prévoir un budget pour l’installation, les éventuelles réparations et réinstallations.
Et elles doivent intégrer l’accompagnement et le suivi des personnes. Rappelons-le, dans un cadre professionnel, l’accompagnement et le suivi des personnes en situation critique de rupture sociale devraient être intégrés. Mais ils ne le sont pas « automatiquement ». L’accompagnement peut se faire sans suivi. Et le suivi peut se faire sans accompagnement. L’intégration suppose au préalable la distinction.
Cette stratégie d’habitation correspond en gros au modèle Pathways to Housing développé par Sam Tsemberis à New York au début des années 90 et reprit par le projet pancanadien « Chez-Soi ».(Latimer, et al. 2014; Tsemberis 2010)
Mais pour répondre aux besoins des personnes et respecter leur choix, la stratégie du logement permanent subventionné, qu’il soit communautaire ou privé est nécessaire, mais insuffisant. L’expérience nous montre que nous avons besoin de stratégies plus variées et coordonnées. On peut ranger ces stratégies en trois groupes : l’hébergement d’urgence, l’hébergement de stabilisation et le logement de stabilisation. On peut représenter ce modèle de stratégies d’habitation intégrées par le schéma ci-contre.
Chacune de ces stratégies peut se subdiviser en sous-stratégies pour répondre à la diversité des besoins. Par exemple, le logement permanent peut se subdiviser en logement privé et logement social avec soutien communautaire. Ce sont deux sous-stratégies de la même stratégie de logement permanent.
Au Centre Le Havre, à Trois-Rivières, nous avons développé des stratégies d’hébergement de stabilisation. Une stratégie d’hébergement de stabilisation s’inscrit dans un parcours de sortie de l’itinérance. Mais ce sont des stratégies d’hébergement sans programme d’activités, de réinsertion ou de réadaptation obligatoire. Ce sont des environnements centrés sur la sécurité et le bien-être des résidents avec un encadrement souple et un accompagnement individualisé. La durée des séjours est modulée en fonction des besoins des personnes, non en fonction de la durée d’un programme. Elle peut être de quelques mois à quelques années, voire jusqu’à la fin de vie des personnes, lorsqu’aucune autre solution ne peut être envisagée. On peut évidemment développer des activités qui soutiennent le rétablissement des personnes. Mais dans l’approche de stabilisation centrée sur les personnes les plus vulnérables, ces activités ne sont pas obligatoires. Elles sont offertes en soutien aux personnes qui peuvent participer ou non, sans que leur séjour ne soit compromis. C’est ce qui distingue l’approche de stabilisation des approches de réadaptation classiques où les personnes sont admises dans un programme d’activités thérapeutiques préprogrammées. Dans une approche de stabilisation, il n’y a pas cette dimension de programme à suivre. C’est ce qui permet une très grande tolérance et souplesse au niveau de l’admission des personnes. L’approche d’intervention est totalement individualisée et s’adapte au parcours et à la condition des personnes. Ce qui n’empêche pas de développer et d’offrir des activités thérapeutiques. Mais ces activités ne sont pas obligatoires. L’intervention n’est pas centrée sur un programme d’activités que doivent suivre les personnes, mais sur l’accompagnement individualisé des personnes. C’est l’accompagnement qui est obligatoire.
À Trois-Rivières, nous avons développé deux types d’hébergement de stabilisation. Un premier type est un milieu de vie où les personnes peuvent consommer dans leur chambre. Nous pouvons ainsi accueillir des alcooliques chroniques dans un environnement sécurisant, sans qu’ils soient forcés d’arrêter de boire. Un second type est un environnement sans consommation qui répond aux besoins des personnes qui ne peuvent ou ne veulent vivre dans un environnement où il y a de la consommation.
Les hébergements de stabilisation ont plusieurs fonctions importantes. La première, c’est de répondre aux besoins des personnes qui ne veulent ou ne peuvent vivre seules en logement, même avec un suivi. Ils permettent aussi à certaines personnes plus fragiles de développer une plus grande autonomie avant de s’installer seules en logement. Ils permettent aussi le désengorgement de l’hébergement d’urgence qui autrement serait complètement débordé. Enfin, ils servent de tampon entre l’hébergement d’urgence et le logement permanent. Mais ce ne sont pas des stratégies conçues comme des étapes à franchir à l’intérieur d’un processus. Le logement permanent n’est pas l’aboutissement d’un processus. C’est un droit. Les personnes peuvent toujours y accéder directement. Mais pour certaines personnes, ce n’est pas leur préférence, pour d’autres ce choix est trop difficile et parfois, il n’y a pas de logement disponible. Elles n’ont pas le choix.
Le logement de stabilisation est un logement sans bail ou avec un bail à durée limitée qui permet à une personne de vivre seule en logement sur une période pouvant aller jusqu’à plusieurs années, dans un environnement plus protégé. À Trois-Rivières, nous avons un logement de stabilisation. C’est une formule souple et efficiente qui permet de répondre à des besoins spécifiques et qui permet à des personnes très vulnérables de sortir de l’itinérance d’une façon durable, en reconnaissant leurs besoins et en respectant leur rythme.
L’hébergement d’urgence joue un rôle essentiel dans les stratégies d’habitation et d’intervention d’une approche de stabilisation hors de l’itinérance.
À Centre le Havre, nous avons passé du paradigme de refuge centré uniquement sur l’accueil et la réponse aux besoins de base, à un paradigme d’hébergement d’urgence centré sur l’accompagnement des personnes et la sortie des impasses des situations d’itinérance. Bref, nous avons abandonné le modèle hôtelier pour indigents, pour adopter un modèle d’urgence centré sur la personne et ses besoins en lien avec la situation d’urgence sociale dans laquelle elle se trouve. Un modèle qui repose plus sur une équipe et une méthode d’intervention d’urgence sociale professionnelle, que sur une offre de lits et une gestion de la sécurité. Les résultats sont au rendez-vous : les durées de séjours chutent, la capacité d’accueil augmente sans augmenter le nombre de lits, la violence diminue et la sécurité augmente au sein de l’hébergement, les personnes plus désorganisées peuvent être accueillies dans des unités spécialisées, la réinstallation en logement est beaucoup plus rapide.
Au Centre le Havre nous avions 20 lits d’urgence au début des années 90. Nous pouvions gérer entre 200 et 300 demandes d’hébergement par année. La durée de séjour moyenne était plus de trente jours. En 2015, nous avons toujours 20 lits d’urgence. Mais nous gérons plus de 1 200 demandes par année. La durée moyenne des séjours est inférieure à 10 jours. Et 85% des personnes admises quittent avec une situation stabilisée et un logement.
L’hébergement d’urgence n’est évidemment pas « la solution » au problème de l’itinérance. Pas plus que l’urgence hospitalière est « la solution » aux problèmes de santé. Mais personne ne pense pour cette raison à fermer les urgences. L’enjeu ce n’est pas de fermer les refuges, mais de les désengorger. Et le désengorgement passe par un changement de paradigme.
L’approche de SHI que nous présentons se démarque du modèle américain Patways to Housing au moins sur trois points importants.
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