Définir les situations critiques de rupture social
Les situations critiques de rupture sociale sont des impasses systémiques largement dues au clivage et au cloisonnement entre les services et les organisations, ainsi qu’au décalage des approches traditionnelles avec la complexité de ces situations.
On peut caractériser la situation des personnes à partir de trois repères : l’exclusion du logement et des services, la vulnérabilité de la personne et l’impasse de la situation.
L’exclusion par rapport au logement et aux services caractérise les personnes dans cette zone d’intervention.
La vulnérabilité des personnes est liée à la situation de survie dans laquelle elles se trouvent, ainsi qu’à leur fragilité et aux multiples problèmes avec lesquels elles doivent composer.
L’impasse de la situation désigne deux choses :
l’impossibilité pour ces personnes de trouver une issue hors de l’itinérance ;
L’impuissance des intervenants lorsqu’il s’agit de trouver une issue hors de l’itinérance pour la personne.
L’itinérance de la plupart de ces personnes est récurrente. Elles sont dans une situation de rupture sociale souvent depuis plusieurs années. Mais elle n’a pas toujours et partout la même forme ni la même visibilité.
Certaines vivent carrément dehors et n’utilisent que très rarement les ressources d’hébergement d’urgence ;
D’autres vivent le plus souvent et le plus longtemps possible dans les refuges ;
Plusieurs, surtout dans les plus petites villes, vivent une instabilité résidentielle chronique, passant d’une chambre à l’autre, de l’hébergement à la rue, sans jamais se stabiliser nulle part.
Les situations critiques ne sont pas nécessairement des situations chroniques ou récurrentes. Mais les risques sont élevés qu’elles le deviennent, si rien n’est fait.
Circonscrire la zone d'intervention
L'ampleur du phénomène
Quelle est l’ampleur de cette zone d’intervention? Parmi l’ensemble de la population en situation d’itinérance à un moment donné, combien sont-ils dans cette zone plus critique?
Il n’y a pas de réponse exacte à cette question, mais il est possible de déterminer un ordre de grandeur.
On peut estimer qu’entre 15% et 20% de la population sans abri serait probablement dans cette zone plus critique de rupture sociale.
Replacées dans le champ de l’itinérance, les situations critiques correspondent au volume et chevauchent partiellement l’itinérance périodique et chronique.
Ce chevauchement n’est que partiel parce que la définition des situations critiques n’est pas basée uniquement sur la récurrence. Elle est basée sur des indices de gravité de la situation.
C’est une définition qui se prête moins bien aux mesures quantitatives et aux suivis de type épidémiologique que la typologie basée sur l’usage des refuges.
Mais elle fournit aux intervenants des repères plus souples et mieux accordés à la complexité de la réalité terrain.
Par contre, elle n’est pas une alternative à la typologie basée sur l’usage des refuges ni à la définition basée sur le logement. Elle ajoute à ces approches plus quantitatives, une dimension qualitative plus proche du terrain. Donc plus opérationnelle pour les intervenants.
L'évolution du phénomène
Nous ne disposons d’aucune étude permettant de suivre l’évolution des situations plus critiques de rupture sociale.
Par contre, l’expérience terrain à Trois-Rivières peut nous donner quelques indices.
Avant les années 2000, ces situations étaient exceptionnelles et plutôt marginales;
C’est seulement à partir de 2005 qu’elles sont devenues plus nombreuses et plus sérieuses.
Cela nous amène à la conclusion que ce qu’on nomme la rue a beaucoup changée depuis le début des années 2000, et particulièrement depuis une dizaine d’années. Nous seulement la population qui se retrouve en situation d’itinérance est-elle beaucoup plus nombreuse et diversifiée, les situations plus critiques se multiplient.
C’est cette évolution qui justifie le développement d’une approche interorganisationnelle de stabilisation et de réaffiliation dédiée aux situations les plus critiques; elles ne trouvent pas ou très peu d’issue ni dans les réseaux de services publics ou communautaires existants ni hors de l’itinérance.
Les situations critiques de rupture sociale sont en croissance depuis le début du XXIe siècle. Une des caractéristiques centrales de ces situations c’est l’impasse systémique dans laquelle se trouvent les intervenants lorsqu’ils veulent intervenir. Ce sont des situations complexes qui exigent la coordination de plusieurs organisations et services, tant communautaires que publics, dans un environnement où ces services et organisations sont cloisonnés. Pour dénouer cette impasse, il ne suffit pas de développer un programme, il est nécessaire d’inscrire ce programme dans un espace de coresponsabilité communautaire et public.