Michel Simard
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Au-delà de l'accompagnement

Aussi central qu’il puisse être, l’accompagnement n’est pas suffisant pour intervenir avec les personnes en situation de rupture sociale. Il y a des situations et des problèmes qu’il faut prendre en charge, comme l’hébergement d’urgence, la sécurité alimentaire, la sécurité et la gestion financière, l’accès et le maintien en logement, les problèmes de santé, etc.. Pour bien situer l’accompagnement, il est important de comprendre ses limites. L’accompagnement n’est pas tout. C’est une stratégie de soutien des personnes, fondée sur la reconnaissance que dans une relation proprement humaine, je suis en relation avec quelqu’un, non avec quelque chose. L’accompagnement n’est pas centré sur les problèmes que peut vivent la personne, mais sur sa capacité de les résoudre.

Par contre, il y a des problèmes à résoudre et des obstacles à surmonter pour lesquels le soutien n’est pas suffisant, aussi important et nécessaire soit-il. Soutenir la capacité d’agir de la personne est nécessaire dans un monde fondé sur les droits humains, mais ce n’est pas suffisant. Encore faut-il qu’elle puisse agir. Qu’elle en ait les moyens. On ne peut accompagner les personnes dans un processus de stabilisation et de réaffiliation psychosociale sans tenir compte des limites de la personne et de l’environnement dans lequel elles se trouvent. Une approche de stabilisation et de réaffiliation des situations les plus critiques de rupture sociale ne peut s’appuyer uniquement sur l’accompagnement. Elle doit prendre en charge certaines réponses à des besoins essentiels qui autrement ne pourraient l’être. L’accompagnement est au cœur d’une stratégie de stabilisation et de réaffiliation hors de l’itinérance. Mais sans une aide concrète, une prise en charge de certains besoins que les personnes ne peuvent assumer ou entièrement assumer par elles-mêmes, l’accompagnement tourne en rond autour des problèmes de la personne. C’est notamment le cas pour la domiciliation de la personne.

Dans le contexte des situations de rupture sociale, l’accompagnement est une stratégie de soutien à la capacité d’agir de la personne. Mais pour accompagner quelqu’un, il faut aller quelque part. Or, la personne qui n’a aucune place à elle nulle part, qui ne possède que le linge qu’elle a sur le dos, qui est à la merci de tous et de tout, qui n’a aucun pouvoir sur le monde qui l’entoure, cette personne ne va nulle part. Elle n’est pas en développement. Elle est en survie. La domiciliation est une stratégie qui repose sur un principe très simple : pour aller quelque part, il faut commencer par être quelque part. Il faut commencer par-là : sortir de la survie. Et pour ça l’accompagnement seul n’est pas suffisant. Il faut des ressources qui rendent possible cette sortie de la survie. Autrement, l’accompagnement risque de tourner en rond longtemps. On ne peut aider les personnes à sortir des impasses de la rupture sociale en les laissant à la rue se débrouiller par elles-mêmes.