On peut regrouper les besoins en itinérance autour de trois thèmes : avoir un abri, avoir une place à soi et avoir une vie. Le schéma ci-dessous illustre cette typologie. Il y a dans cette typologie des besoins une hiérarchie dans le même sens que la célèbre pyramide des besoins de Maslow. La personne qui n’a pas d’abri et n’a rien à manger peut difficilement consacrer ses énergies à développer son employabilité ou sa sociabilité. Ce qui ne veut pas dire qu’elle n’a pas besoin d’avoir une vie, au-delà de la survie. Mais qu’elle doit essayer de survivre avant toute chose. Les besoins non satisfaits sont tous présents simultanément. Mais certains sont à l’arrière-plan, alors que d’autres viennent à l’avant-plan. Les besoins liés à la survie, lorsqu’ils ne sont pas satisfaits, chassent les autres besoins à l’arrière-plan. Mais si on ne prend pas soin des autres besoins, il n’y a pas d’issue véritable à la survie. Car la vie ce n’est pas la survie. (Versini 2000), Mais pour qui doit essayer de survivre quotidiennement, la vie n’est pas un projet, mais un rêve.
Sous le thème « avoir un abri » se rangent les besoins liés à la survie dans la rupture sociale. C’est chercher un « abri » à son besoin. Besoin de nourriture. Besoin de vêtement. Besoin d’une place pour dormir, pour se protéger du froid. Besoin de repos. Besoin de protection. Bref, des besoins qui demeurent dans le voisinage immédiat de la survie et qui ne font pas nécessairement référence à un projet de vie hors de l’itinérance. Ce sont des besoins légitimes liés à la situation de survie des personnes.
Avoir une place à soi n’est pas un besoin lié à la survie, mais à la vie. Il ne s’agit pas de chercher une place pour se mettre à l’abri, mais d’avoir un chez-soi à partir duquel il peut être possible d’avoir une vie, d’être quelqu’un, quelque part, même modestement. Vouloir une place à soi, c’est autre chose que vouloir un abri: c’est déjà vouloir avoir une vie. Même si cette vie est moindre que ce qu’on aurait voulu et rêvée. Vouloir une place à soi, c’est choisir de vivre quelque part.
Pour plusieurs ce choix est très difficile. D’abord parce que ce choix peut soulever plusieurs questions troublantes : est-ce que je veux vraiment avoir une vie hors de l’itinérance? Est-ce que je veux vivre vraiment, vivre avec moi-même et les autres? Est-ce que je peux vraiment avoir une vie avec les autres hors de l’itinérance? Est-ce que je veux me ranger quelque part? Et pourquoi ici plutôt qu’ailleurs? Qu’est-ce qui me retient ici? Pourquoi je m’installerais ic ? Au-delà d’un abri, avoir une place à soi est l’amorce d’un projet de vie. De vie moindre si l’on veut. Mais un projet de vie tout de même. Un projet qui doit avoir du sens pour la personne. Cela peut être simplement ne plus vouloir vivre certaines réalités de l’itinérance. C’est suffisant pour amorcer un cheminement de stabilisation hors de l’itinérance : ne plus vouloir vivre exposé aux risques et aux difficultés de la survie. Vouloir avoir une place à soi, c’est déjà vouloir sortir de l’itinérance. Mais ce choix n’est pas facile pour plusieurs et leur motivation est très fragile.
Autour d’avoir une place à soi se concentre des besoins de sécurité, mais aussi et surtout de stabilité, de bien-être et, plus largement de sociabilité. Mais les besoins liés à la sécurité précèdent et débordent le besoin d’avoir une place à soi. Alors que les besoins autour de la sociabilité excèdent largement ce que peut offrir une place à soi, au sens d’un domicile.
Avoir une place à soi, c’est déjà une ouverture sur la vie hors de l’itinérance, mais ce n’est pas encore avoir une vie. Vouloir avoir une vie, c’est vouloir plus et autre chose qu’un lieu à soi où vivre. C’est vouloir avoir un travail ou au moins participer à quelque chose ou s’investir dans une activité significative. C’est vouloir avoir une vie relationnelle significative à l’intérieur de laquelle exister en tant que personne. Même si avoir une place à soi permet de sortir de l’itinérance et des conditions extrêmes de survie de la rupture sociale, ce n’est pas suffisant pour avoir une vie. Avoir une vie demande plus et autre chose qu’avoir une place.
Autour du thème avoir une vie, se concentrent les besoins liés à l’estime, à la reconnaissance, à l’autonomie et à tout ce que l’on peut ranger dans la thématique de la quête de sens. Nous sommes dans une sphère de besoins que la personne en situation de survie n’ignore pas. Mais elle demeure en arrière-plan. D’autres besoins sont plus criants. Et ils requièrent des actions immédiates. Pour la personne qui a un domicile assuré et qui n’est plus préoccupée par la survie quotidienne, les besoins liés à la sphère de la vie deviennent plus présents. Le fait d’avoir une place à soi pose les conditions où il devient plus possible d’y répondre. Mais ce n’est qu’une condition de possibilité. Ce n’est pas encore une réalisation. Avoir une place à soi est une condition pour saisir les opportunités de vie qui peuvent se présenter. Mais encore faut-il qu’elles se présentent. Un ami atteint de schizophrénie me disait que le plus difficile, ce n’était pas la schizophrénie, mais la vie avec la schizophrénie, une fois rétablie.
1486 Rue Brébeuf
Trois-Rivières, Québec
G8Z 2A1
Tél.: 819 371-1023
Courriel : secretariat@havre.qc.ca