Louis MARCHILDON
Histoire du département de physique

Louis Marchildon

Histoire du département de physique de l’UQTR

Par Louis MARCHILDON, professeur émérite, Département de chimie, biochimie et physique

Texte original paru dans Physics in Canada, vol. 56, no. 1 (janvier/février 2000), 23-26.
Format adapté par Sylvain Robert (2019).

Fille de la Révolution tranquille, l'Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) a été fondée en 1969, comme l'UQAM (Montréal), l’UQAC (Chicoutimi) et le Centre d'études universitaires de Rimouski. Quatre institutions universitaires créées simultanément, telle était alors l'effervescence intellectuelle qui a si profondément marqué la société québécoise.

La physique était présente à l'UQTR dès ses débuts. Mais l’aventure universitaire avait commencé à Trois-Rivières plusieurs années auparavant. Dès 1956, des cours de la première année de sciences de l’Université Laval étaient dispensés dans les locaux du Séminaire St-Joseph. On avait recruté pour cela un jeune diplômé de Montréal et de Toronto, Christian Demers, qui allait consacrer quarante ans de carrière à la vie universitaire trifluvienne.

En 1961, le nombre de cours offerts était devenu suffisamment grand pour que se crée le Centre d'études universitaires, toujours rattaché à l'Université Laval. Des cours plus avancés, en physique comme dans l'ensemble des disciplines scientifiques, s'offrent peu à peu. Jean-Luc Dion et, plus tard, André Jacob, participent à l'enseignement de la physique. Ils seront éventuellement professeurs au département de génie électrique de l'UQTR. André-Guy Lacerte est engagé en 1968. C'est lui qui, avec Christian Demers (doyen des études de premier cycle de 1969 à 1975), mettra sur pied la section de physique (qui deviendra le département dès l'année suivante) à la création de l'Université.

Car il fallait faire vite! L'institution avait décidé d'offrir un programme complet de baccalauréat en physique dès l'ouverture. Sept nouveaux professeurs (en plus des deux déjà là) ont été engagés en 1969 et 1970 (tableau 1). Ils venaient de trois continents et de cultures si variées que d'aucuns disaient qu'on aurait pu ouvrir un département de langues modernes avec le même personnel...

LA PREMIÈRE DÉCENNIE

En 1969, une véritable tradition universitaire restait à établir à Trois-Rivières. Le département de physique, dirigé au fil des ans par six professeurs différents (tableau 2), y a contribué de façon majeure, par ses travaux de recherche et par le développement de programmes d'études de cycles supérieurs.

La plupart des professeurs engagés en 1969 et 1970 avaient terminé depuis quelques années à peine leurs études de doctorat. Ils se sont engagés dans des programmes de recherche que l'on peut regrouper sous trois thèmes principaux: les propriétés diélectriques, la biophysique et la physique mathématique.

L'établissement d'une vigoureuse tradition de recherche au département de physique a permis d'organiser, en 1973, ce qui fut sans doute le premier colloque d'envergure internationale à l'UQTR. Sous le thème « Optique et laser », cette rencontre accueillait, parmi d'autres scientifiques bien connus, les lauréats du prix Nobel Alfred Kastler et Gerhard Herzberg. Le laboratoire d'étude des propriétés diélectriques des matériaux a été mis sur pied par Tapan K. Bose (Ph. D. Louvain). Les premiers travaux ont consisté en des mesures précises du second coefficient du viriel du développement de la permittivité statique de gaz simples. Ces résultats ont permis de mieux connaître la nature des interactions moléculaires dans les gaz étudiés. Rapidement, Jean-Marie St-Arnaud s'est joint à Tapan pour l'étude de l'indice de réfraction des gaz, tandis qu'André Navon (Ph. D. Montréal) collaborait à l'élaboration de modèles de la permittivité. Le laboratoire allait éventuellement développer des méthodes de caractérisation diélectrique dans une large gamme de fréquences.

Kastler Herzberg Bose

Alfred Kastler et Gerhard Herzberg en compagnie de Tapan K. Bose, lors du colloque « Optique et laser »

Dès son arrivée, Gérald M. Lefebvre (Ph. D. Delaware) a monté un laboratoire de biophysique au département de physique. Les travaux de Gérald ont porté sur la germination de spores bactériennes, processus qu'il a d'ailleurs contribué à modéliser mathématiquement. Adel F. Antippa (Ph. D. Tufts), formé en physique des particules, s'est rapidement intéressé à la biophysique théorique. La collaboration de Gérald et d'Adel avec différents professeurs du département de chimie-biologie est à l'origine d'une importante tradition de recherche en biophysique à l'UQTR.

Dans le domaine de la physique mathématique, Adel Antippa a développé une méthode originale de solution d'équations différentielles par la théorie des graphes, obtenant une solution exacte du potentiel central linéaire en mécanique quantique. Il a également étudié les propriétés d'hypothétiques particules et référentiels supraluminaux. André Navon s'est attaché à l'étude des algèbres fermioniques et des représentations des groupes de Lie, tandis que John Miletic (Ph. D. Columbia) faisait l'investigation de différents problèmes en théorie de l’élasticité.

Parallèlement à ses travaux de recherche, le département élaborait en 1971 le premier programme de maîtrise en sciences naturelles de l'UQTR. La maîtrise en physique allait véritablement servir de catalyseur au développement de programmes de deuxième et troisième cycles. Conçu de manière large, le programme a permis la rédaction de mémoires dans plusieurs domaines connexes comme la chimie physique, la biophysique et l'instrumentation. Éventuellement, des programmes de maîtrise et de doctorat en biophysique, de maîtrise en électronique de puissance et de doctorat en génie électrique ont vu le jour à l'UQTR, et la maîtrise en chimie de l'UQAM a été étendue à l'UQTR. Plusieurs chercheurs oeuvrant dans ces domaines avaient auparavant supervisé des étudiants inscrits à la maîtrise en physique.

Dès 1971, une entente avec 1TNRS permettait à des chercheurs de l'UQTR de collaborer au programme de doctorat en sciences de l'énergie. Jean-Marie StArnaud s'y inscrivit sous la supervision de Tapan Bose et il obtint en 1980 le premier doctorat décerné à l'UQTR.

Il faut souligner aussi, à cette époque, la création du programme de baccalauréat en biophysique, unique au Québec, animé par le département de physique et le département de chimie-biologie. Du point de vue pédagogique, Félix de Forest (Ph. D. Wisconsin) et André-Guy Lacerte ont très tôt utilisé les ressources de l'informatique dans le cadre du système Platon. Félix a également collaboré aux programmes de la Télé-Université.

LES ANNÉES 80 ET 90

Les quinze dernières années ont vu, au Canada comme ailleurs, la recherche appliquée et les collaborations avec l'industrie prendre une importance marquée. Non sans discussions, le département de physique de l'UQTR s'est inscrit dans ce mouvement.

En 1981, l'Université reconnaissait la collaboration de Tapan Bose et Jean-Marie St-Arnaud en lui octroyant le statut de groupe de recherche. Louis Marchildon (Ph. D. Yale) s'était joint à eux à titre d'attaché de recherche CRSNG. Des échanges fructueux avec des chercheurs de l'Université de Hanovre révélèrent les possibilités d'application à l'industrie gazière de travaux antérieurs de Jean-Marie. Le groupe de recherche sur les diélectriques (GRD) élabora éventuellement plusieurs projets de collaboration avec des firmes gazières canadiennes et françaises.

La caractérisation de matériaux diélectriques restait néanmoins au coeur de la problématique du GRD. Avec le laboratoire de micro-ondes de l'École polytechnique de Montréal, sous la direction du professeur Renato G. Bosisio, le GRD obtint de 1986 à 1991 une importante subvention dans le cadre du programme d'actions structurantes du Gouvernement du Québec. Cette subvention a permis d'engager du personnel, et en particulier deux attachés de recherche: Richard Chahine (Ph. D. INRS) qui est devenu professeur au département de génie électrique de l'UQTR et Jacques Goyette (Ph. D. Harvard) qui , comme Louis Marchildon, est devenu professeur au département de physique. Les travaux de Jacques se rapportent aux polymères conducteurs, aux hydrures métalliques et aux essais non destructifs.

Dans les années 90, la composante gazière des travaux du GRD allait prendre particulièrement d'importance et se concentrer sur l'hydrogène. Une subvention importante des gouvernements fédéral et provincial permettait, en 1995, de relocaliser le GRD dans un bâtiment neuf. Le groupe devenait maintenant l'Institut de recherche sur l'hydrogène (IRH). Sous la direction de Tapan Bose, l'IRH réalise différents travaux sur le stockage, le transport, la sécurité et les utilisations de l'hydrogène. Il regroupe environ quarante personnes (incluant les étudiants de deuxième et troisième cycles) et reçoit des subventions et commandites annuelles dépassant le million de dollars.

Deux professeurs sous octroi ont récemment été engagés au département pour s'intégrer aux travaux de l'IRH. Formé en physique du solide, Pierre Bénard (Ph. D. Sherbrooke) était déjà chercheur à 1TRH depuis quelques années. Il travaille à la modélisation de la propagation de flammes d'hydrogène et à   l'adsorption sur charbon activé. Jean Hamelin (Ph. D. INRS) a fait un stage de deux ans au National Institute for Standards and Technology dans le domaine de l'instrumentation pour la mesure de la constante diélectrique de fluides. Il entreprend maintenant des travaux sur les systèmes à énergie renouvelable basés sur l'hydrogène.

Parallèlement à l'IRH, Adel Antippa poursuit des recherches en biophysique théorique sur l'organisation de monocouches de phospholipides, et en physique mathématique sur les équations aux différences finies. Louis Marchildon, après avoir travaillé à la modélisation de dispositifs micro-ondes et à différents problèmes de physique mathématique, se consacre à la question de l'interprétation de la mécanique quantique.

Du point de vue pédagogique, les professeurs du département participent aux programmes de premier cycle en physique, biophysique et enseignement secondaire, au programme de deuxième cycle en physique et aux programmes de troisième cycle en génie électrique et en sciences de l'énergie et des matériaux. Le baccalauréat en physique a été modifié de façon importante en 1994 pour faire une plus grande place à l'informatique. Depuis 1999 d'ailleurs, les étudiants peuvent réaliser en quatre ans le baccalauréat en physique et le baccalauréat en informatique.

Au cours des années 70, quelques professeurs de l'UQAM avaient collaboré au programme de maîtrise en physique de l'UQTR. Une entente plus formelle a été signée en 1992, et plus de trente étudiants, inscrits à la maîtrise en physique de l'UQTR, ont rédigé leur mémoire sous la supervision de professeurs de l'UQAM. Depuis 1998, le programme est formellement étendu de l'UQTR à l'UQAM.

Au fil des ans, plusieurs chargés de cours ont assumé d'importantes responsabilités d'enseignement, en particulier Joseph LeBrech, Christian Pepin et Paul Lafrance. Il faut souligner également la remarquable contribution du personnel de soutien du département, en particulier Mario Therrien, Aline Simoneau, Diane Hamelin, la regrettée Manon Ledoux et Ana Soto Fernandez.

CONCLUSION

Au moment où ces lignes sont écrites, le département de physique de l'UQTR a trente ans. La physique fait partie de l'histoire et de la culture de l'université trifluvienne, et a contribué de façon importante à sa tradition de recherche et à son rayonnement. Au seuil du XXIe siècle, le plus grand défi reste sans doute de communiquer à suffisamment de jeunes hommes et de jeunes femmes la passion du travail scientifique. Les orientations que le département a choisies leur permettront d'entreprendre une carrière fructueuse.

Je remercie mes collègues du département pour leurs suggestions et commentaires, ainsi que le service du personnel de l'UQTR.. Je suis particulièrement reconnaissant à Christian Demers et Adel Antippa d'avoir mis leurs notes personnelles à ma disposition.

 

 

TABLEAU 1 - Les professeurs de physique depuis les débuts de l'UQTR

Professeur

Période

Christian Demers

1969-96

André-Guy Lacerte

1969-88

Jean-Marie St-Arnaud

1969-

Tapan K. Bose

1969-

André Navon

1969-87

Adel F. Antippa

1970-

Félix de Forest

1970-97

Gérald M. Lefebvre

1970-97

John Miletic

1970-93

Louis Marchildon

1985-

Jacques Goyette

1992-

Pierre Bénard

1998-

Jean Hamelin

1999-

 

TABLEAU 2 - Les directeurs du département

Directeur

Période(s)

André-Guy Lacerte

1969-72

Tapan K. Bose

1972-75

Gérald M. Lefebvre

1975-80

 

1994-97

Christian Demers

1980-86

 

1991-94

Adel F. Antippa

1986-91

Louis Marchildon

1997-