Il y a quelques années, la vie de notre famille a basculé. En effet, nous perdions une personne qui nous était chère, la mère de mes enfants. C'est tout un choc! Qu'on soit enfant, conjoint, membre de la famille ou ami, lorsque ça arrive, on tombe de haut. La culpabilité et la honte sont omniprésentes et on se croit seul à vivre cette catastrophe. Dans cette grande souffrance certains proches, par leurs mots et leurs gestes, nous font porter le poids d'une décision qui n'est pas la nôtre. Personnellement, ma situation était très délicate. Cette personne si importante pour mes enfants, je venais tout juste de la quitter. Le jugement des autres est parfois gratuit, rapide et cruel. Coupable, je l'ai été aux yeux de bien des gens et je n'avais pas besoin des autres pour m'en convaincre. Lors d'un tel drame, l'estime de soi est tellement anéanti. Toutefois, je sais que mon histoire n'a rien d'exceptionnelle et que c'est souvent la dure et triste réalité des endeuillés par suicide.
Comme ma famille réside à l'extérieur, je ne pouvais compter que sur moi-même. Heureusement, j'ai de bons amis qui m'ont prêté une oreille attentive et je leur en suis très reconnaissant. C'est important de ventiler et de se changer les idées. De plus, j'ai la chance d'avoir trois enfants magnifiques. Souvent, je me dis que c'est grâce à eux si je me suis sorti rapidement et d'une assez bonne façon de ce calvaire. Lorsque tu es perdu dans tes pensées, les enfants te ramènent rapidement à la réalité avec leurs questions: «Papa, qu'est-ce qu'on mange pour dîner?» Ou encore, «T'as pas vu mon maillot de bain?» Ils sont ma fierté. Je les aime beaucoup. On fait toute une équipe!
Un soir du mois d'août 2004, moins d'un mois après le suicide de leur mère, j'étais seul pour souper avec mes deux gars. Nous devions faire quelques achats avant la rentrée scolaire. Nous décidâmes de faire les courses et ensuite d'aller au cinéma. Avant de quitter la maison, nous consultons les films à l'affiche sur le site internet de Ciné Entreprise. Mes fils de 10 et 12 ans, choisissent un drame. Mes gars aiment l'action et Blanche Neige.. c'est pas pour eux! Silencieusement, je lis les divers synopsis, le film choisi est classé «Général». Je suis rassuré, car il n'est nullement question de suicide, on parle même d'une histoire vécue! Alors, en fin de soirée, nous assistons à ce fameux film. À la dernière scène, nous sommes témoins d'un suicide. Mes enfants sont troublés… Tout probablement, le scripteur cherchait une fin qui aurait du «punch». Tel dans un ring de boxe, on a reçu un sacré coup. Ils ont visé juste en plein coeur. On banalise tellement le suicide! Par cette banalisation, quel message envoie-t-on aux enfants?
Ce fâcheux évènement a été pour moi le début d'un combat visant à faire modifier la classification des films au Québec. J'étais seul dans mes démarches. Bien sûr, certains organismes de prévention du suicide m'ont épaulé un peu, mais ils ont beaucoup de besogne. Ils avaient de la sympathie pour mes démarches, mais pas de temps à me consacrer. J'aurais tant souhaité être appuyé par une association d'endeuillés par suicide. Toutefois, ces démarches m'ont conduit à rencontrer des gens très humains, dont: M.Brian L. Mishara, directeur du CRISE à l'UQAM, M.Louis Lemay, directeur général de l'AQPS, Mme Lynda Lemay, auteure-compositeure-interprète, M. Michael Sheehan, juge à la cour du Québec et beaucoup d'autres personnes, qui, par leur empathie et leurs conseils, ont su alimenter ma motivation. Il est vrai que depuis, la classification des films n'a toujours pas changé! Ce projet se poursuit. Je demeure optimiste. Il y aura sûrement prochainement des résultats!
Oui, comme tout le monde j'ai eu mes moments de mélancolie. L'écriture fut pour moi un exutoire. À travers les mots, j'expiais ma douleur. Il en est de même pour ma fille. Quelques semaines après le décès de sa mère, elle se pointe dans ma chambre et me lance d'un ton assuré et direct: «Papa, j'ai qu'chose à t'lire». Après qu'elle se soit exécutée, elle s'est empressée de retourner dans sa chambre pour cacher son texte dans le fond d'un tiroir. Elle m'avait confié son secret. J'étais quelque peu bouleversé. Comment une enfant si jeune avait pu me transmettre sa douleur, son vide, par des mots si simples? J'étais sous le choc. Il fallait faire quelque chose avec tout ça, mais quoi, je n'en savais rien.
Dans l'année qui a suivi, j'ai participé à un groupe de deuil. Au fil des discussions, j'ai constaté que je n'étais pas le seul pour qui l'écriture apportait du réconfort. Pourquoi pas, regrouper nos énergies et notre talent pour réaliser un recueil collectif de textes?
Durant cette même année, mon questionnement s'est poursuivi: Comment répondre au besoin d'agir bien présent chez les endeuillés? N'est-ce pas dans l'action et par nos réalisations que nous bâtissons l'estime de nous-même? Comment donner un sens à tout ça? Comment y trouver un peu de positif? Avec le temps, en discutant avec des amis, l'idée d'une association d'endeuillés par suicide prend forme. Une association qui inviterait les endeuillés par suicide à passer à l'action, à se mobiliser autour de «leurs projets». Les témoignages de gens me confirment le besoin dans notre société, d'une telle organisation.
Avec le temps, nous espérons développer davantage notre partenariat avec les diverses organisations travaillant à la prévention du suicide. Sachant qu'elles disposent de moyens financiers limités, nous comprenons certaines de leurs craintes face à la venue d'une association comme la nôtre. Notre souhait le plus sincère est de travailler en étroite collaboration avec ces dernières, en complémentarité dans les services offerts aux endeuillés par suicide. La plupart de ces organisations font de l'excellent travail. Elles peuvent s'en réjouir, car les résultats sont là : certains de leurs endeuillés sont prêts à passer à l'action pour poursuivre leur guérison, animés du désir de se prendre en main!