Département d'anatomie
Anecdotes anatomiques

Fourchette, cuiller et couteau

Regis   Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie 

 

Fourchette, cuiller et couteau. Les couverts sont en place, il est donc temps de passer à table. Oui, mais à table… de dissection, car nous allons aujourd’hui chercher s’il existe, quelque part dans ce merveilleux corps humain, des organes que des métaphores du temps jadis auraient comparés à une fourchette, une cuiller ou un couteau.

Nous fûmes agréablement surpris de constater qu’effectivement, il en existe.

 

Fourchette

Le terme latin furcula, dérivé de furca (fourche), signifie petite fourche et donc, après ajout du classique suffixe diminutif, fourchette 1. Les anciens anatomistes nommaient furcula sterni (fourchette du sternum) l’ensemble constitué des deux clavicules. Mais plus récemment, c’est uniquement l’incisure jugulaire du sternum, c’est-à-dire l’échancrure concave de son bord supérieur, que l’on voit parfois encore nommée fourchette sternale 2,3.

 

Une autre fourchette appartient cette fois à l’anatomie gynéco-obstétricale, la commissure postérieure des petites lèvres de la vulve : « Vers le bas, elles [les petites lèvres] se réunissent en formant la fourchette » 4.

 

Nous voilà donc avec deux fourchettes.

  

231 Fourchette

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Cuiller

Il nous fut un peu plus difficile de trouver une formation anatomique comparée à une — et donc explicitement nommée — cuiller. Mais nous sommes parvenus à en dénicher une dans l’anatomie de l’os temporal. Il existe effectivement dans la caisse du tympan un petit relief que le chirurgien Pierre-Charles Huguier (1804-1873) a, probablement dans sa thèse de 1834 5, nommé bec de cuiller. De quoi s’agit-il? De l’extrémité postérieure du conduit du muscle tenseur du tympan, conduit parfois transformé en gouttière par déhiscence de sa paroi externe. Cette gouttière se termine alors au-dessus de la fenêtre du vestibule par une « lamelle osseuse étroite et saillante vers la cavité tympanique comme l’extrémité d’une cuiller » 6. Depuis l’introduction des nomenclatures anatomiques officielles en 1895, le bec de cuiller est devenu processus cochléariforme 7.

 

Couteau

Ce fut sans trop nous faire d’illusions que nous nous lançâmes à la recherche d’un organe du corps humain qui se serait appelé le couteau. Mais, une fois encore, le grand naturaliste Buffon avait raison en affirmant que « le génie n’est qu’une plus grande aptitude à la patience » 8. En l’occurrence, la patience a fini par payer! Au VIIème siècle de notre ère, un certain Theophilus Protospatharius rédigea un traité d’anatomie physiologique en 5 livres, traité que l’on retrouvera plus tard inclus dans les Anatomicarum institutionum de Joannes Andernacus (1505-1574) 9. Dans le deuxième livre, l’auteur mentionne les quatre lobes du foie et l’un d’entre eux se voit appelé le couteau. Malheureusement, nous ignorons quel lobe hépatique — le droit, le gauche, le carré, ou le caudé? — fut gratifié de ce si drôle de nom.

 

Drôle effectivement, tout comme les trois autres lobes que Theophilus Protospatharius nomma le foyer, la table, et le voiturier… Allez savoir pourquoi.

 

Notes

1 Hyrtl J. (1880) Onomatologia anatomica. Geschichte und Kritik der anatomischen Sprache der Gegenwart, mit besonderer Berücksichtigung ihrer Barbarismen, Widersinnigkeiten, Tropen, und grammatikalischen Fehler. Wien, Wilhelm Braumüller, pp. 226-227.

2 Rouvière H. (1978) Anatomie humaine. Descriptive, topographique et fonctionnelle. Paris, Masson, onzième édition, vol. 2, p. 29.

3 Manuila A., Manuila L., Nicole M., Lambert H. (1981) Dictionnaire français de médecine et de biologie. Paris, Masson, vol. 7, p. 246.

4 Robert H.G., Palmer R., Boury-Heyler C., Cohen J. (1979) Précis de gynécologie. Paris, Masson, deuxième édition, p. 29.

5 Huguier P.C. (1834) Dissertation sur quelques points d’anatomie, de physiologie et de pathologie. Paris, Thèse médecine.

6 Rouvière H., op. cit., vol. 1, p. 401.

7 Donáth T. (1960) Erläuterndes anatomisches Wörterbuch. Vergleichende Übersicht der Baseler, Jenaer und Pariser Nomenklaturen, gruppiert nach Organen. Terra Budapest, Verlag Medicina Budapest, p. 260.

8 Roger J. (1989) Buffon. Un philosophe au Jardin du Roi. Paris, Fayard, p. 20.

9 Guinterius J. (1541) Anatomicarum institutionum ex Galeni sententia… His accesserunt Theophili Protospatarii, De corporis humani fabrica, libri V. Lugduni, Apud Seb. Gryphium.

10 Lauth T. (1815) Histoire de l’Anatomie. Strasbourg, F.G. Levrault, vol. 1 (seul paru), p. 267.

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