Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie
Position des planètes, marc de café, lignes de la main, cartes de tarot, boule de cristal, mancies en tous genres ne sont que les témoins du « prix que l’individu attache à sa propre destinée; l’inquiétude qui l’anime est à la source de toutes les pratiques divinatoires » 1. Deux structures anatomiques profondes — laissons aujourd’hui de côté les lignes de la main — furent jadis incluses dans cet imposant arsenal à vocation supposément divinatoire. Ces structures, surprenantes diseuses de bonne aventure anatomiques, furent le péritoine (plus précisément le grand omentum) et la scapula. Essayons de comprendre pourquoi.
Le grand omentum
Un omentum — anciennement épiploon 2 — est un double feuillet péritonéal reliant deux viscères abdominaux entre eux; il en existe un petit (gastro-hépatique, unissant le foie à la petite courbure gastrique) et un grand (gastrocolique, unissant le côlon transverse à la grande courbure gastrique). C’est celui-ci qui nous concerne aujourd’hui.
Le grand omentum (Paul-Jules Tillaux, Traité de chirurgie clinique. Paris, Asselin, 1897).
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L’écrivain d’origine tunisienne Arnobe (ca. 260-ca. 327), après sa tardive conversion au christianisme et la rédaction de son fameux Contre les païens, témoignait d’une relation entre sacrifice et péritoine en soulevant cette question : « À quel titre […] seulement l’intestin grêle, seulement la crépine (omen) doivent-ils être apportés au titre de morceaux offerts en sacrifice? » 3. En réalité bien plus qu’une simple relation car, parmi les copieuses controverses historiques et étymologiques entourant le terme omentum 4, 5, il en est une qui le fait dériver du latin omen, c’est à dire « présage ». Ajoutons incidemment que le terme, cette fois grec, ômèn, imparfait du verbe oiomai, peut se traduire par « avoir l’impression que, guider l’opinion, penser en assumant la pleine responsabilité de son jugement » 6, ce qui peut là aussi évoquer une notion de prédiction. Haruspices, prophètes, nécromanciens et devins de tout acabit avaient sous les yeux, dès l’ouverture sacrificielle de la paroi abdominale, ce grand omentum dans les particularités duquel ils pensaient pouvoir déceler le déroulement des événements futurs.
Et la scapula?
Le terme omoplate, ancien nom de la scapula, commence lui-aussi par « om »; existerait-il de nouveau un lien étymologique avec omen? Non car omoplate dérive en fait du grec ômos et platè, ce qui signifie tout simplement « le plat de l’épaule » 7, 8. Donc rien à voir avec d’éventuelles prédictions.
Quoi que… Dans une compilation de récits sur l’origine des îles japonaises — le Kojiki ou Chroniques des choses anciennes — rédigée vers l’an 710, on peut lire que « les kamis célestes, après avoir pratiqué une divination en brûlant des omoplates de daim », et un peu plus loin « [ils] extrayèrent l’omoplate des épaules d’un daim […] pour divination » 9.
Proximité folklorique donc, à défaut d’étymologie commune.
Notes
1 Bloch R. (1991) La divination. Essai sur l’avenir et son imaginaire. Paris, Fayard, pp. 189-190.
2 L’épiploon devint omentum dès la première version de la Nomina anatomica (1895). Notons toutefois que le terme « omentum » se trouvait déjà dans de plus anciens traités d’anatomie, tel celui d’Isbrand van Diemerbroeck en 1695.
3 Arnobe (2018) Le combat Contre les païens : Religion, mythologie et polémique au IIIe siècle ap. J.-C. Turnhout, Brepols, chapitre VII, paragraphes 24-25.
4 Castan P. (1992) L’anatomie masquée. Un essai sur la symbolique du langage anatomique. Montpellier, pp. 70-72 (épiploon).
5 Hyrtl J. (1880) Onomatologia anatomica. Geschichte und Kritik der anatomischen Sprache der Gegenwart, mit besonderer Berücksichtigung ihrer Barbarismen, Widersinnigkeiten, Tropen, und grammatikalischen Fehler. Wien, Wilhelm Braumüller, pp. 204-205 et 363-365.
6 Chantraine P. (2009) Dictionnaire étymologique de la langue grecque. Histoire des mots. S.l., Klincksieck, pp. 757-758.
7 Delaveau P. (1995) La Mémoire des Mots en Médecine, Pharmacie et Sciences. Paris, Éditions Louis Pariente, p. 185.
8 Froment A. (2013) Anatomie impertinente. Le corps humain et l’évolution. Paris, Odile Jacob, pp. 171-172.
9 Shibata M., Shibata M. (1969) Kojiki. Chronique des choses anciennes. Paris, Éditions G.-P. Maisonneuve et Larose, pp.67 et 84.
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