Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie
Nous nous sommes récemment portés à la défense de l’artiste médical Carlos A. G. Machado qui, bien qu’auteur de 78 (soit près de 15%) des 531 planches d’un trop célèbre atlas d’anatomie 1, n’en demeure encore pas moins absent de la première de couverture et de la page de titre 2. C’est aujourd’hui la cause d’un anatomiste du tournant des XVIe et XVIIe siècles, André Du Laurens, que nous allons plaider.
André Du Laurens
Fils du docteur Louis Du Laurens et de Louise de Castellan, André est né à Arles en décembre 1558. Il fit ses études de médecine à l’Université de Montpellier dont il obtint le diplôme de docteur en 1583. Il succéda ensuite à Laurent Joubert comme professeur de médecine (1586), se joignit à la cour du roi à Paris (1600), fut nommé chancelier de l’Université de Montpellier (1603), médecin de Marie de Médicis, puis du roi Henri IV (1606), fonction occupée jusqu’alors par un certain Michel Marescot. André Du Laurens décéda à Paris en août 1609 3, 4.
Les critiques se déchaînent
Le principal traité d’anatomie d’André Du Laurens 5 fut vertement critiqué, tant par certains de ses contemporains que depuis. Dans la préface à ses Adversaria de 1615, le médecin genevois Théodore Colladon considérait que cet ouvrage ne valait pas grand-chose 6. En 1852, Ludwig Choulant (1791-1861), spécialiste difficilement contestable de l’iconographie anatomique, en jugeait les illustrations « sans valeurs ni anatomiques ni artistiques » 7. Les grands biographes de la médecine se prononcèrent alors à leur tour : August Hirsch fit de Du Laurens un « anatomiste médiocre » 8, et Julius Leopold Pagel, enfonçant le clou dans le cercueil, qualifia le livre de « tissu de superstitions, indigeste, plein de contre-sens, sans la moindre référence aux grandes découvertes faites par ses prédécesseurs ou contemporains » 9.
Et pourtant… Une simple planche allait définitivement faire entrer André Du Laurens dans l’Histoire de l’anatomie et de la neurologie.
Planche extraite du Historia anatomica D’André Du Laurens (1600).
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Une planche on ne peut plus explicite
Une planche de son traité de 1600, ni numérotée ni même signée, représente la moelle épinière ainsi qu’une « vraie » queue de cheval 10 : la métaphore, née d’une gravure, est justifiée en ces termes : « medulla spinalis dispersio caudae equinae similis » (la moelle épinière se disperse de la même façon qu’une queue de cheval) 11. Même si certains historiens, à la suite de Benjamin Wolf Ginzburger en 1743, attribuent cette belle métaphore à la médecine talmudique 12, faisons nôtre l’assertion de Confucius selon laquelle une image vaut mille mots : André Du Laurens a bel et bien fait entrer la queue de cheval anatomique, ou cauda equina, dans la rhétorique médicale.
La recherche du terme Cauda equina sur le site PubMed fait état de 5516 publications. L’expression Cauda equina syndrome sur le site Wikipedia donne accès à environ 974 000 sites. Un succès qu’aucun des critiques d’André Du Laurens n’eût pu espérer approcher…
Notes
1 Netter F. H. (2015) Atlas d’anatomie humaine. Philadelphia, Paris, Elsevier Masson, 6ème édition.
2 Olry R. (2015) « Nettermania » and the Matthew Effect : It is Time to Plead for Carlos A. G. Machado. Clinical Anatomy 29 (2) : 132-133.
3 Chomel J. B. L. (1762) Essai historique sur la médecine en France. Paris, Lottin l’aîné, pp. 25-26.
4 Hagelin O. (1989) Rare and Important Medical Books in the Library of the Swedish Society of Medicine. Stockholm, Svenska Läkaresällskapet, pp. 51-53.
5 Du Laurens A. (1600) Historia anatomica humani corporis & singularum eius partium multis controversiis & observationibus novis illustrata. Parisiis, apud Marcum Orry.
6 Colladon T. (1615) Adversaria. S.l., Jacobi Stoer, vol. 1, p. 1.
7 Choulant L. (1852) Geschichte und Bibliographie der anatomischen Abbildung nach ihrer Beziehung auf anatomische Wissenschaft und bildende Kunst. Leipzig, Rudolph Weigel, p. 75.
8 Hirsch A. (1886) Biographisches Lexikon der hervorragenden Aerzte aller Zeiten und Völker. Wien und Leipzig, Urban & Schwarzenberg, vol. 3, p. 626.
9 Cité par Wolf-Heidegger G., Cetto A.M. (1967) Die anatomische Sektion in bildlicher Darstellung. Basel, New York, S. Karger, p. 231.
10 Albou P. (2013) La présence des mammifères dans le langage médical. Histoire des Sciences médicales 47 (3) : 285-295.
11 Du Laurens A. (1605) Historia anatomica, humani corporis partes. Lugduni, Apud Horatium Cardon, p. 274.
12 Preuss J. (2004) Biblic and Talmudic Medicine. Lanham, Maryland, Rowman & Littlefield, p. 131.
Suggestion de lecture
Olry R., Haines D.E. (2012) Between André Du Laurens’ Horse Tail and William Cadogan’s Pony Tail. Journal of the History of the Neurosciences 21 : 327-331.
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