Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie
Dans son roman Le Sagouin, l’Académicien et prix Nobel de littérature François Mauriac (1885-1970) écrivait : « La cuisine des Bordas était pareille à toutes les cuisines, avec la grande cheminée où pendait la marmite accrochée à la crémaillère » 1. Une crémaillère — le mot semble remonter à 1549 — est une tige de fer à crans que l’on suspendait dans une cheminée pour y accrocher une marmite. Alors voyons pourquoi le testicule n’est pas une marmite.
Joos Goemare (ca. 1573-1611), Le Christ chez Marthe et Marie (fragment, ca. 1600), (Musée de la Gourmandise, Hermalle-sous-Huy, Belgique)
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Un étrange petit muscle
Pendant sa migration de la cavité abdominale vers le scrotum, le testicule traverse le canal inguinal et, au passage, emmène avec lui quelques fibres des muscles oblique interne et transverse de l’abdomen. Galien, une fois n’est pas coutume, pouvait être suivi à la lettre quand il écrivait qu’un muscle de l’hypogastre « in masculis ad testiculos descendunt » (descend chez l’homme en direction du testicule); ce muscle, il le nomme Cremasteres 2. À quoi peut bien servir un muscle strié si grêle et si étrangement placé? Sa fonction nous est révélée par l’existence du réflexe crémastérien (élévation du testicule provoquée par stimulation de la face médiale de la cuisse), réflexe découvert par le neurologue américain Silas Weir Mitchell (1829-1914) 3 qui, huit années auparavant, avait par ailleurs créé le terme « membre fantôme » 4.
Cremaster ou crémaillère?
Nommée cremasculus en basse latinité 5, le terme « crémaillère » évoque un objet qui suspend un autre objet, ce que le grec va exprimer par krémastérios, « qui sert à suspendre ». Le crémaster suspend le testicule, tout comme la crémaillère suspend la marmite. La métaphore est bien vite intégrée dans le vocabulaire anatomique : en 1688, Léonard Tassin (1620-1687) parlait de « muscle suspensoir » 6, le Spiegel der Anatomie (1646) de « Aufflüpfer des Hodens » (qui soulève le testicule), et l’Onomatologia medica (1756) de « Gailenhängmuskel » (muscle suspenseur du testicule 7).
La contraction du muscle crémaster fait donc remonter le testicule en direction de l’anneau inguinal superficiel (mais contrairement à la marmite que l’on refroidit en la suspendant plus haut, c’est en étant suspendu plus bas que le testicule se trouve un peu plus au frais). Curieusement le Larousse du XXe siècle, habituellement d’une exactitude à laisser sans voix le lecteur d’aujourd’hui, explique que le crémaster « contribue à faire descendre le testicule » 8, ce qui serait attribuer au ligament scrotal un pouvoir qu’il n’a pas.
Une précision pour conclure. La femme, n’ayant pas de testicule à suspendre, a-t-elle tout de même muscle crémaster? Dans son Anthropographia de 1618, Jean Riolan (1577-1657) mentionna effectivement un Cremaster mulieris (crémaster de la femme) 9 constitué de fibres musculaires du ligament rond de l’utérus se terminant dans la portion antérieure de la grande lèvre. Mais ces fibres musculaires sont lisses, et non striées, ce qui rend caduque toute assimilation avec le crémaster masculin. Assurément plus exact est donc le terme de muscle inguino-pubien, créé par Louis Bernier 10 dans sa thèse de 1886.
Notes
1 Mauriac F. (1951) Le Sagouin. Ottawa, Le Cercle du Livre de France, p. 85.
2 Galenus (1821-1833) De semine. In : C.G. Kühn (Ed.) Operum omnium Galeni. Leipzig, Car. Cnoblochii, vol. 4, Lib. II, p. 635.
3 Mitchell S.W. (1879) The cremaster-reflex. Journal of Nervous and Mental Diseases 6: 577-586.
4 Mitchell S.W. (1871) Phantom Limbs. Lippincott’s Magazine Philadelphia 8 : 563-569.
5 Delfortrie E. (1878) Le ΚΡΕΜΑΣΤΗΡ des Massaliotes. Société archéologique de Bordeaux, vol. 5, fasc. 1, p. 106.
6 Tassin L. (1688) Les administrations anatomiques, et la myologie. Paris, Michel Vaugon, troisième édition, p. 165.
7 « Gailen » est un variant orthographique de l’allemand « Geilen », testicule. Voir Hyrtl J. (1884) Die alten deutschen Kunstworte der Anatomie. Wien, Wilhelm Braumüller, p. 58.
8 Augé P. (Ed.) (1929) Larousse du XXe siècle. Paris, Librairie Larousse, vol. 2, . 568.
9 Cité par Hyrtl J. (1880) Onomatologia Anatomica. Geschichte und Kritik der anatomischen Sprache der Gegenwart. Wien, Wilhelm Braumüller, p. 159.
10 Beurnier Louis (1886) Ligaments ronds de l’utérus. Anatomie, physiologie, médecine opératoire. Paris, Georges Steinheil, pp. 25, 26, et 105.
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