Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie
Inachevée. C’est malheureusement sous ce nom que la 8ème symphonie 1 de Franz Schubert (1797-1828), ébauchée en 1822, est entrée dans la mémoire collective. Inachevée car elle ne comportait que deux mouvements, alors qu’il en eût fallu quatre. Mais Schubert souffrait alors non seulement de pauvreté mais aussi de syphilis 2; certains pensent que ceci pourrait expliquer cela.
Inachevé, le projet d’édition de la thèse d’une jeune historienne prometteuse de 25 ans, Renée Fuoc. Inachevé car elle fit, le 27 septembre 1955, une chute mortelle dans la région de l’Alpe d’Huez. Par bonheur, d’autres publieront le travail en hommage à sa mémoire 3.
Inachevée, l’excellente biographie de Louise de La Vallière écrite par cette jeune institutrice de 30 ans, Christiane Moyne. Inachevée car une foudroyante maladie l’arracha à son beau projet. Mais là aussi, la relève su se montrer présente 4.
Inachevées, les œuvres des anatomistes Thomas Lauth et Georges Paturet. Mais cette fois, les anges gardiens du Savoir semblent malheureusement avoir été occupés ailleurs.
Thomas Lauth
Thomas Lauth est né à Strasbourg le 29 août 1758. Admis à la Faculté de philosophie à l’âge de 14 ans, il étudia les langues anciennes, les mathématiques, les sciences naturelles, puis fut reçu docteur en médecine en 1781. Il compléta alors sa formation en Angleterre, en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne, pour finalement revenir à Strasbourg comme démonstrateur d’anatomie en 1784. Dès l’année suivante, il fut nommé professeur d’anatomie et de chirurgie. Thomas Lauth décéda subitement le 19 septembre 1826 5, 6. Parmi ses publications, un chef-d’œuvre de 606 pages sur l’histoire de l’anatomie 7, inégalé à ce jour, si ce n’est peut-être par les deux monographies de l’anatomiste manitobain T.V.N. Persaud 8. Mais l’ouvrage de Thomas Lauth était inachevé, seul le premier volume ayant été publié. Et pourtant, deux de ses fils — Gustave (1793-1817) et Ernest-Alexandre (1803-1837) —, tous deux anatomistes, étaient donc bien placés pour, piété filiale oblige, terminer le travail. Malheureusement, ce ne fut pas le cas.
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Page de titre du premier (et seul paru) volume de l’Histoire de l’Anatomie, Thomas Lauth, 1815 |
Georges Paturet
Georges Paturet est étrangement demeuré inconnu des historiens de l’anatomie; même le dictionnaire de Mihai Ionescu 9, malgré ses 2306 biographies d’anatomistes, ne comporte aucune entrée à ce nom. Les seules données biographiques que nous avons pu trouver se résument en peu de choses : Georges Paturet naquit en 1889, et fut chirurgien, professeur d’anatomie, et Doyen de l’École de Médecine de Clermont-Ferrand. Mais c’est son gigantesque traité d’anatomie qui nous intéresse ici : rien que pour l’appareil locomoteur, 2 volumes totalisant 2122 pages et 1329 figures! D’autres volumes parurent — anatomie cardiovasculaire, neuroanatomie — mais certains restèrent à l’état de projet, entre autres le tome consacré aux organes des sens. Et pourtant, Georges Paturet avait un fils Jean qui rédigea une thèse anatomique sur l’innervation des muscles pectoraux 10. Dans la dédicace à son père, il écrivit : « Sa vie faite de labeur continuel et pour laquelle j’ai toujours eu la plus grande admiration, restera pour moi le plus bel exemple dans l’avenir ». Exemple qu’il ne suivit malheureusement pas, car le chef-d’œuvre de Paturet père ne fut jamais complété par Paturet fils.
Blessé le 4 décembre 1793 lors du siège d’Angers, le général Jean-Fortuné Boüin de Marigny avait lancé à ses soldats cette supplique : « Chasseurs, achevez-moi » 11. Les ouvrages de Thomas Lauth et de Georges Paturet auraient du lancer aux fils respectifs de leurs auteurs : « Enfants d’anatomistes et anatomistes vous-mêmes, achevez-nous! ». Avec certes une tout autre signification à ce verbe.
Notes
1 Elle devrait en réalité porter le numéro 7. Son nom plus « technique » est la symphonie en si mineur D 759.
2 Cross M., Ewen D. (1962) Encyclopedia of the Great Composers and Their Music. Garden City, New York, Doubleday & Company, Inc., vol. 2, pp. 675-697.
3 Fuoc R. (1957) La réaction thermidorienne à Lyon (1795). Lyon, Éditions IAC. Cette publication fut rendue possible grâce à l’homme d’État Édouard Herriot (1872-1957), l’ethnologue André Leroi-Gourhan (1911-1986) et l’historien André Fugier (1896-1976).
4 Moyne C. (1978) Louise de La Vallière ou le Roi favori. Paris, Librairie Académique Perrin. L’agrégé mauriacien André Séailles (1917-2006) compléta le travail, et l’Académicien Alain Decaux (1925-2016) rédigea une élogieuse et émouvante préface.
5 Hirsch A. (1886) Biographisches Lexicon der hervorragenden Aerzte aller Zeiten und Völker. Wien und Leipzig, Urban & Schwarzenberg, vol. 3, pp. 627-628.
6 Dupont M. (1999) Dictionnaire historique des médecins dans et hors de la médecine. Paris, Larousse, p. 383.
7 Lauth T. (1815) Histoire de l’anatomie. Strasbourg, F.G. Levrault, vol. 1.
8 Persaud T.V.N. 1) (1984) Early History of Anatomy. Springfield, Illinois, Charles C. Thomas. 2) (1997) History of Anatomy. The Post-Vesalian Era. Springfield, Illinois, Charles C. Thomas.
9 Ionescu M. (1991) Dictionar de Anatomisti. Bucuresti, Editura Litera.
10 Paturet J. (1957) Les nerfs des muscles pectoraux. Paris, R. Foulon.
11 Deniau F. (1878) Histoire de la Vendée. Angers, Lachèse et Dolbeau, vol. 3, p. 326.
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