Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie
La profession d’anatomiste peut parfois s’avérer dangereuse 1. Xavier Bichat, le « père juvénile de notre médecine moderne » 2 en fit la triste démonstration en décédant, le 22 juillet 1802, d’une infection — méningite tuberculeuse semble-t-il — contractée en manipulant sans précaution des fragments de cadavres aussi malodorants qu’en piteux état de conservation. Mort non enviable certes, mais sans aucune comparaison avec les affres de celle du médecin italien Gabriele Zerbi.
Gabriele Zerbi et son oeuvre
La biographie du médecin italien Gabriele Zerbi est assez mal connue 3, 4. Né à Vérone vers 1445, il étudia la médecine à l’Université de Padoue, s’installa à Bologne puis à Rome où il fut nommé médecin personnel du pape Innocent VIII.
Page de titre du Liber anathomie de Gabriele Zerbi (1502) |
Les deux principaux ouvrages publiés Gabriele Zerbi, un traité de gériatrie 5 et un traité d’anatomie 6, sont l’un comme l’autre d’une rareté légendaire : de tous les plus grands collectionneurs de livres médicaux anciens, seul le suédois Erik Waller (1875-1955) possédait ces deux raretés 7. Ni Sir William Osler (1849-1919), ni Harvey Cushing (1869-1939), ni Frederick Charles Pybus (1883-1975) ne purent s’enorgueillir d’en avoir ne fut-ce qu’un des deux, et la célèbre Army Medical Library doit se contenter d’un exemplaire incomplet du Gerentocomia auquel manquent les feuillets 135 et 136 8.
Une mort atroce
La mort de Zerbi, survenue en 1505, a fait l’objet de nombreuses controverses. C’est sa version classique, à défaut d’être indiscutable, que nous rapportons ici 9, 10.
Par l’intermédiaire du futur doge Andrea Gritti (1455-1538), les Vénitiens avaient reçu de Constantinople la demande d’un médecin réputé qui serait à même de soigner un des principaux princes de l’empire Ottoman. Gabriele Zerbi fut présenté comme le plus talentueux et, cédant à l’appât du gain, se rendit en Orient où il guérit apparemment le prélat. Malheureusement, celui-ci décéda tout de même quelques jours plus tard. Soupçonné alors d’avoir empoisonné le prince, Zerbi fut ramené manu militari en Turquie pour être, ainsi que son fils cadet, condamné à mort. Et quelle mort! L’un comme l’autre sciés en deux entre deux planches…
L’œuvre anatomique de Zerbi a été diversement appréciée : « ouvrage bien désagréable par les discussions fastidieuses qui tiennent la place des descriptions […] il n’est guère possible de soutenir la lecture d’un livre qui repousse par la forme autant que par le fond » pour Thomas Lauth 11, « not, as some have thought, a tiresome piece of scholasticism, but a verbal display of rationality and learning designed to accompany the visual display of the public anatomies » pour Roger French 12.
Faisons toutefois en sorte que ces controverses ne troublent pas le repos plus qu’amplement mérité de Gabriele Zerbi.
Notes
1 Voir par exemple Olry R. (1997) Homo Dissectus. Petites histoires de grands anatomistes. Trois-Rivières, Les Éditions du Bien Public, pp. 79-87.
2 Dobo N., Role A. (1989) Bichat. La vie fulgurante d’un génie. Paris, Perrin, p. 309.
3 Hirsch A. (1888) Biographisches Lexicon der hervorragenden Aerzte aller Zeiten und Völker. Wien und Leipzig, Urban & Schwarzenberg, vol. 6, p. 365.
4 De Santo N.G., Bisaccia C., De Santo R.M., Touwaide A. (2002) The Pre-Vesalian Kidney : Gabriele Zerbi, 1445-1505. American Journal of Nephrology 22: 164-171.
5 Zerbis G. de (1489) Gerentocomia. Rome, Eucharius Silber.
6 Zerbis G. de (1502) Liber anathomie corporis humani & singulorum membrorum illius. Venetiis, Per Bonetum Locatellum, expensis heredum Octaviani Scoti.
7 Sallander H. (1955) Bibliotheca Walleriana. The Books Illustrating the History of Medicine and Science Collected by Dr Erik Waller. Stockholm, Almqvist & Wiskell, vol. 1, pp. 19, item no. 150 et p. 460, item no. 10470.
8 Schullian D.M., Sommer F.E. (n.d.) A Catalogue of Incunabula and Manuscripts in the Army Medical Library. New York, Henry Schuman, p. 212, item no. 490.
9 Tiraboshi G. (1784) Histoire de la littérature d’Italie. Berne, sans nom d’éditeur, vol. 3, pp. 130-131.
10 Lauth T. (1815) Histoire de l’anatomie. Strasbourg, F.G. Levrault, vol. 1 (seul publié), pp. 309-311.
11 Ibid., p. 310.
12 French R. (1993) The Anatomical Tradition. In: W.F. Bynym and R. Porter (Eds.) Companion Encyclopedia of the History of Medicine. London and New Yory, Routledge, vol. 1, p. 86.
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