Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie
Selon le titre d’un ouvrage publié en 1745 par l’inquisiteur du royaume de Sicile Francesco Emmanuelle Cangiamila (1702-1763) 1, l’embryologie peut être « sacrée ». L’adjectif, conservé dans la traduction française qu’en ont fait le prêtre Joseph-Antoine-Toussaint Dinouart (1716-1786) et le médecin Augustin Roux (1726-1776) 2, peut sembler inadéquat lorsqu’accolé à un terme d’obédience scientifique : l’embryologie relève de la science, ce qui est sacré y échappe. C’est peut-être la raison pour laquelle le grand libraire italien Leo S. Olschki, souhaitant ménager tant la chèvre que le chou, choisit de placer ce livre à la fois dans la rubrique « Médecine » et dans la rubrique « Sciences occultes » de son gigantesque catalogue rétrospectif 3.
Page de titre de la deuxième édition française de l’ « Embryologie sacrée ». |
Si l’embryologie est sacrée…
L’ouvrage de Cangiamila est « à la fois un ouvrage religieux, un traité d’hygiène privée et de médecine légale » 4. On y énumère toutes sortes de précautions à prendre — spirituelles incluses comme il se doit — pour que le développement embryonnaire et fœtal se fasse sans entrave ni mauvaise surprise. Car le développement d’un être humain — n’oublions pas que l’auteur est un ecclésiastique — est l’archétype absolu de la sacralité 5. Ce que confirme l’anatomiste Pierre Tarin (1725-1761) lorsqu’il nous rappelle que l’os sacrum est ainsi nommé « parce que les parties de la génération s’appuient sur cet os » 6. Ce qui est sacré ne saurait donc théoriquement mal se dérouler.
… alors pourquoi des monstres?
Le mot tératologie , littéralement « discours sur les monstres », est apparu sous la plume du naturaliste Isidore Geoffroy-Saint-Hilaire (1805-1861) dans les années 1830. Le monstre serait-il ainsi devenu « une faute de la nature » 7, l’erreur ne pouvant évidemment pas être d’origine divine? Mais alors, pourquoi la monstruosité serait-elle tolérée par l’éventuel Créateur?
La réponse se trouve dans cette corne d’abondance culturelle qu’est l’étymologie. Monstre dérive du latin monstrare, montrer, et par extension, avertissement. Mais qui montre quoi? C’est maintenant le grec qui va nous éclairer : tératologie dérive de téras, signe de la volonté des dieux. Un monstre se comprend dès lors comme la punition visible, en chair et en os, infligée à des parents pour ne pas avoir respecté certaines lois de l’Église… comme celle qui interdit toute relation sexuelle pendant les règles 8. Faute de quoi, l’enfant que l’on croyait alors avoir été conçu dans le sang devenait « menstrueux » 9, monstrueux à une voyelle près.
Notes
1 Cangiamila F.E. (1745) Embriologia sacra overo dell' uffizio de' sacerdoti, medici, e superiori, circa l'eterna salute de' bambini racchiusi nell' utero. Palermo, F. Valenza.
2 Cangiamlila F.E. (1762) Abrégé de l'embryologie sacrée ou traité du devoir des prêtres... sur le salut eternel des enfants qui sont dans le ventre de leur mère. Paris, 1762, Nyon.
3 Olschki L.S. (1907-1966) Choix de livres anciens rares et curieux. Florence, Leo S. Olschki, 13 vols, respectivement vol. 7, no. 8475 et vol. 9, no. 13182.
4 Brieux D., Drulhon J. (1998) Histoire des sciences et de la médecine. Catalogue de livres anciens, documentation, instruments et gravures. Paris, Alain Brieux, item no. 114.
5 Le Concile œcuménique Vatican II rappelait il n’y a pas si longtemps : « La vie doit donc être sauvegardée avec un soin extrême dès la conception » (Concile œcuménique Vatican II [1967] Paris, Éditions du Centurion, P. 2, c. 1, p. 280, §3.
6 Tarin P. (1753) Dictionnaire anatomique. Paris, Briasson, p. 79.
7 Hypothèse aristotélicienne, reprise entre autre dans le Dictionnaire d’Antoine Furetière (1619-1688) de 1690.
8 Loi fondée notamment sur le Lévitique et le Deutéronome.
9 Roux O. (2008) Monstres. Une histoire générale de la tératologie des origines à nos jours. Paris, CNRS Éditions, p. 158.
Suggestion de lecture
Ibrahim A. (Ed.) (2005) Qu’est-ce qu’un monstre? Paris, Presses Universitaires de France.
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