Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie
L’évêque et astrologue italien Luca Gaurico (1476-1553) l’avait semble-t-il prédit dès 1552, et le célèbre Nostradamus (1503-1566) l’avait répété en 1555 1 : le roi de France Henri II devra redoubler de prudence lorsqu’il atteindra la quarantaine, c’est-à-dire en 1559.
Un tournoi tristement célèbre
Avertissements sans effet car, en ce 30 juin 1559, Henri II prend part à un tournoi rue Saint-Antoine à Paris, tournoi dans lequel il est dit « tenant », ce qui signifie qu’il doit briser la lance de trois adversaires successifs. Le premier est le duc de Savoie, le deuxième le duc de Guise. Le troisième se présente, c’est Gabriel de Lorges, comte de Montgomery. Mais il se fait tard et les proches du roi lui demandent d’en rester là. François de Scépeaux, futur maréchal de Vieilleville, exhorte son monarque à ne pas continuer en arguant d’un rêve dans lequel il avait vu le roi couvert de sang. Mais Henri II, n’en faisant qu’à sa royale tête, ne veut rien entendre, et repart si vite au galop qu’on n’a pas le temps de boucler la visière de son casque. Le choc est terrible, la lance brisée du comte de Montgomery soulève accidentellement le heaume du roi et lui traverse la tête par la région supra-orbitaire droite. Le roi s’écroule, on tente de le réanimer « avec de l’eau fraîche, de l’eau de roses et du vinaigre » 2, alors qu’un essaim de médecins et chirurgiens se précipitent auprès du blessé : Jean Chapelain, Nicole Lavernot, le chirurgien du duc d’Albe Denys Daza Chacon, et d’autres auxquels l’Histoire n’a pas ouvert ses portes. Les rapports crânio-encéphaliques ne sont pas encore bien connus. On décide donc de décapiter à la hâte quatre criminels enfermés à la Conciergerie du Palais et au Grand-Châtelet, et on enfonce des morceaux de lance dans ces pauvres têtes pour tenter, en reproduisant autant que possible l’accident, d’en déduire la localisation des lésions cérébrales : chirurgie stéréotaxique avant l’heure!
Mais retirer cinq à six éclats de bois est malheureusement tout ce que les chirurgiens parviennent à faire. Deux monuments de la chirurgie et de l’anatomie vont alors être appelés en ultime renfort : l’un d’eux est probablement déjà sur place, il s’appelle Ambroise Paré; l’autre est encore à Bruxelles, il se nomme André Vésale.
Le tournoi fatal à Henri II (peinture allemande du XVIe siècle). |
Deux monuments au chevet du roi
Ambroise Paré (1510-1590), fils d’un simple coffretier 3 de Bourg-Hersent, va devenir chirurgien de quatre rois de France : Henri II, François II, Charles IX, et Henri III. Mais il est également reconnu comme un grand anatomiste dont les ouvrages font date dans l’histoire de la médecine 4 : la Briefve Collection De Ladministration Anatomique 5 en 1549 et 1550, et l’Anatomie Universelle Du Corps humain 6 en 1561. Quant à André Vésale (1514-1564), fils d’un apothicaire de Charles Quint 7, il est sans doute l’anatomiste le plus célèbre de tous les temps : notre respect pour nos lecteurs nous évitera l’outrecuidance de devoir rappeler davantage qui il fut.
Mais les deux Esculape ne peuvent plus rien pour le roi, Henri II rend son âme à Dieu le 10 juillet 1559, à 13 heures. Paré fait l’autopsie, Vésale en rédige le compte-rendu en latin 8.
L’épouse du défunt, Catherine de Médicis, portera les vêtements de deuil jusqu’à sa mort, et changera son emblème : l’arc-en-ciel d’Iris fera dorénavant place à une lance brisée accompagnée de la devise « Lacrymae hinc, hinc dolor » (« C’est de là que viennent mes larmes et ma douleur ») 9.
Notes
1 Nostradamus a écrit en 1555 (35ème quatrain de la 1ère centurie) : « Le Lyon jeune le vieux surmontera / En champ bellique par singulier duelle / Dans cage d’or les yeux lui crèvera, / Deux classes une puis mourir mort cruelle », ce qui, en langage plus actuel, peut se traduire par « Le jeune lion l’emportera sur le vieux / Par un tournoi dans la lice. / Il lui crèvera l’œil dans le heaume doré, / Dans l’un des deux combats, puis il mourra de mort cruelle ». Pour ceux et celles qui se demanderaient pourquoi « Le jeune lion » : jeune car Gabriel de Montgomery n’avait que 29 ans, lion car ses armoiries en portaient un : « Écartelé: aux 1 et 4, d’argent, à la bande d’azur; aux 2 et 3, de gueules, au lion d’argent, au lambel de gueules en chef, brochant sur les deux premiers quartiers. »
2 Dumaître P. (1986) Ambroise Paré. Chirurgien de 4 rois de France. Paris, Perrin, p. 162.
3 D’autres biographes le disent valet de chambre-barbier du comte de Laval.
4 Hahn A. et al. (s.d.) Commentaires sur dix grands livres de la médecine française. S.l., Au Cercle du Livre précieux, pp. 35-52.
5 Doe J. (1976) Ambroise Paré. A Bibliography 1545-1940. Amsterdam, Gérard Th. Van Heusden, nos. 9 et 10, pp. 43-46.
6 Ibid., no. 11, pp. 46-49. Sur le marché du livre ancien, ce traité d’anatomie valait déjà 30 000 euros en 2009 (Catalogue nouvelle série no. 19, Précurseurs et Novateurs des librairies Thomas-Scheller et Alain Brieux, no. 155, pp. 207-208).
7 Vésale a d’ailleurs offert à Charles Quint un exemplaire dédicacé de la célèbre Fabrica, trésor qu’un bibliophile a acquis en 1998 pour la somme de 1 652 500 US$ lors de la vente de la collection Haskell F. Norman (The Haskell F. Norman Library of Science and Medicine. Part 1. New York, Christie’s, no. 213, pp. 208-214).
8 In : Ruble A. de (1881) Antoine de Bourbon et Jeanne d’Albret. Paris, Labitte, vol. 1, pp. 432-438.
9 Cloulas I. (1979) Catherine de Médicis. Paris, Fayard, pp. 121-122.
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