Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie
Les os qualifiés de wormiens, entre autres l’os épactal, auraient des vertus anti-épileptiques. D’où vient cette idée saugrenue?
Que sont les os dits wormiens?
Ole Worm — son prénom est le plus souvent latinisé en Olaüs — est né le 13 mai 1588 à Aarhus, ville portuaire du Danemark. Reçu docteur en médecine à Bâle en 1611, il succède à Caspar Bartholin dans la chaire de médecine de l’Université de Copenhague, ville dans laquelle il décède le 16 septembre 1654, à l’âge de 66 ans 1. Le nom d’Ole Worm reste attaché aux petits os surnuméraires que l’on peut parfois observer sur la voûte crânienne : les os dits wormiens dans le langage classique, suturaux dans la Terminologia Anatomica 2.
Worm a-t-il découvert ces osselets? Non. Le grand anatomiste Philibert-Constant Sappey écrit qu’Hippocrate les connaissait 3, et Johann Guenther von Andernach les aurait mentionnés dans son De veteri & nova medicina de 1571.
Worm a-t-il décrit ces osselets en 1611, comme la plupart des auteurs ont cru pouvoir l’affirmer? Non plus. Ole Worm fut certes reçu docteur en médecine cette année-là, mais il semble ne rien avoir publié avant 1634 4. Par contre, dans une lettre adressée à Thomas Bartholin le 4 avril 1643, il écrit « Anno 1628, cum frequenti auditorum coronae ossa sceleti humanji demonstrarem atque exponerem, in ipsa sutura lambdoidea ossicula sex inveni » 5, c’est donc en 1628 que Worm a observé des osselets dans la suture lambdoïde.
Un exemple d’os épactal asymétrique.
Qu’est-ce que l’os épactal?
L’adjectif « épactal » vient du nom commun « épacte » qui désigne l’âge de la lune au commencement de chaque année dans le calendrier grégorien (par exemple, si la nouvelle lune arrive le 25 décembre, la lune aura 6 jours au 1er janvier : l’épacte sera égale à 6). Il y a donc dans ce terme la notion de quelque chose d’intercalé : entre la nouvelle lune et le jour de l’An dans le comput ecclésiastique, entre les os pariétaux et occipital dans la nomenclature anatomique. L’os épactal — terme créé à Moscou par un certain Fischer en 1811 — est en effet un os surnuméraire qui occupe plus ou moins largement la région de la voûte crânienne où se situe le lambda 6. C’est assurément un os wormien car il dérive de deux points d’ossifications spécifiques, les pré-interpariétaux, qui fusionnent sur la ligne médiane mais demeurent parfois séparés de l’ébauche interpariétale.
L’os épactal a été gratifié de nombreux synonymes, le plus souvent mentionné étant celui d’os des Incas, terme soi-disant inspiré d’un ouvrage sur les antiquités péruviennes 7 : les auteurs mentionnent effectivement cette disposition, mais nulle part n’y avons-nous trouvé le terme d’os des Incas 8.
Des vertus anti-épileptiques?
Le médecin et théologien Albert le Grand (ca. 1200-1280), canonisé par Pie XI 9 et nommé patron des recherches scientifiques par Pie XII 10 écrivait : « [L]es os de l’homme ont une vertu cachée et merveilleuse pour guérir de l’épilepsie ou du haut mal, si après les avoir réduits en poudre on les fait boire dans ce que l’on voudra, à jeun, à celui qui sera atteint de ce mal. » 11. Croyance sans doute excusable au XIIIème siècle, mais notablement moins au XVIIIème! Or, de grands anatomistes continuent à mentionner cette propriété miraculeuse : Philip Verheyen en 1710 (« Hae parva ossa ab aliquibus specialiter commendantur ad curationem epilepsiae » 12), et Lorenz Heister en 1719 (« Quoe a quibusdam specifice contra epilepsiam praedicantur » 13).
En 1754, Alexander Monro fait la mise au point suivante : « On est revenu à présent du préjugé qui faisait regarder ces os comme un spécifique dans l’épilepsie. » 14. Il était temps!
Notes
1 Hirsch A. (1888) Biographisches Lexicon der hervorragenden Aerzte aller Zeiten und Völker. Wien und Leipzig, Urban & Schwarzenberg, vol. 6, pp. 329-330.
2 Le terme officiel « os suturaux » est par trop exhaustif, car il existe des os wormiens insulés qui n’interrompent aucune suture crânienne, par exemple l’osselet dit de Guenther von Andernach, situé en plein pariétal.
3 Sappey P.-C. (1867) Traité d’anatomie descriptive. Paris, Adrien Delahaye, 2ème édition, vol. 1, p. 161.
4 Haller A. von (1774) Bibliotheca anatomica. Tiguri, apud Orell, Gessner, Fuessli, et Socc., vol. 1, p. 380.
5 Lettre reproduite in extenso in : Olry R. (1988) L’os épactal. Étude historique et terminologique. Nancy, mémoire de Diplôme d’Université de morphologie cranio-cervico-faciale, pp. 21-22.
6 Jonction des sutures sagittale et lambdoïde.
7 Rivero M.E. de, Tschudi J.D. de (1859) Antiquité péruviennes. Paris, à l’administration de la revue.
8 Rivero et Tschudi ont étudié les Chincas, les Huancas et les Aymaraes. Certains auteurs (Anoutchine en 1880, Topinard en 1884 et Matthews en 1889) ont effectivement confirmé une certaine composante ethnique à cet os surnuméraire.
9 Taburet-Missoffe G. (1963) Dictionnaire des Saints. Paris, Librairie Générale Française, pp. 11-12.
10 Chabannes J. (1970) Les Saints. 2000 ans d’histoire. Paris, Librairie Académique Perrin, vol. 2, vol. 2, pp. 1211-1212.
11 Albertus (1971) Le Grand et le Petit Albert. Paris, Pierre Belfond, p. 144.
12 Heister L. (1719) Compendium anatomicum. Altorf et Norimbergae, in Bibliopolio Kohlesiano et Adolphiano, p. 19.
13 Verheyen P. (1710) Corporis humani anatomioe. Bruxellis, Fratres T’Serstevens, editio secunda, vol. 1, p. 289.
14 Monro A. (1754) Traité d’ostéologie. Paris, Guillaume Cavelier, p. 46.
Suggestions de lecture
Chambellan V. (1883) Étude anatomique et anthropologique sur les os wormiens. Paris, thèse de médecine.
Ranke J. (1899) Die überzähligen Hautknochen des menschlichen Schädeldachs. München, G. Franz.
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