Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie
À la face postérieure du tronc cérébral, le tectum mésencéphalique présente quatre reliefs arrondis, les colliculus supérieurs et inférieurs, réunis classiquement sous le terme de tubercules quadrijumeaux. Un pluriel évidement fautif car, l’adjectif quadrijumeaux précisant déjà le nombre quatre, le mot tubercule devrait s’écrire au singulier, sous peine de faire passer le nombre de ces reliefs de quatre à huit 1. Erreur toutefois fréquemment retrouvée, comme chez le suisse Albrecht von Haller (1708-1777) (Eminentiae quadrigeminae), le français Joseph Lieutaud (1703-1780) (Tubercula quadrigemina), et l’italien Luigi Rolando (1773-1831) (Monticuli quadrigemini) 2. Une exception notable, l’allemand Johann Christoph Andreas Mayer (1747-1801) qui, en 1794, utilisa le terme Eminentia quadrigemina, donc au singulier 3.
Mais il y a bien plus surprenant au sujet de ces tubercules.
Vue postérieure du tronc cérébral. Les colliculus supérieurs et inférieurs portent les numéros 26 et 25.
(Planche extraite du Traité d’anatomie humaine de Léo Testut, édition de 1895, vol. 2).
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Des fesses et des testicules
Les anciens anatomistes eurent recourt à d’étonnantes métaphores latines pour désigner les colliculus : Nates (fesses) pour les supérieurs, Testes (testicules) pour les inférieurs, certains ─ et non des moindres! ─ ne précisant même pas si les Nates se situaient au-dessus ou au-dessous des Testes 4. Ces synonymes, malgré leur évidente étrangeté, se retrouvèrent traduits littéralement dans différentes langues, comme le fit par exemple Bernardo Santucci en portugais dans son traité d’anatomie de 1739 : Nates et Testes devinrent respectivement Nadegas et Testiculos 5. Curieusement, l’existence de fesses et de testicules dans le mésencéphale fut encore mentionnée à la fin du XIXe siècle par Philibert Constant Sappey (1810-1896) 6, et même jusqu’au début du XXe par Charles Debierre (né en 1853) 7.
D’où proviennent ces métaphores?
En 1695, l’anatomiste néerlandais Isbrand van Diemerbroeck (1609-1674) témoignait de son scepticisme en écrivant que ces protubérances (les colliculus supérieurs) furent « à raison de je ne sais quelle ressemblance, appelées Nates » 8. Quelques décennies plus tard, l’anatomiste et lexicographe français Pierre Tarin (ca. 1725-1761) esquissa l’explication suivante : « Ce sont [les Nates & les Testes] des éminences qu’on nomme ainsi à cause de leur figure & de leur situation à la partie postérieure du troisième ventricule » 9. Explication qui, avouons-le, n’en est pas vraiment une.
Quoique… Car Georges Paturet jette justement un peu de lumière sur ces « figure et situation » : les colliculus supérieurs, évidemment plus haut situés que les inférieurs, sont effectivement « plus volumineux [et] aussi plus écartés de la ligne médiane » 10.
Si, vus de l’arrière, on compare les fesses et les testicules, on constatera en effet que ces derniers sont plus bas, plus petits, et semblent (de par leur moindre largeur) plus proches de la ligne médiane.
Drôle de métaphore certes, mais donc pas totalement dénuée de sens…
Notes
1 La même remarque s’applique d’ailleurs au nerf trijumeau : Olry R., Haines D.E. (2015) Trigeminal Neuralgia : Pleonasm and Miscalculation. Journal of the History of the Neuroscience 24 : 303-309.
2 Cités par Hyrtl J. (1880) Onomatologia anatomica. Geschichte und Kritik der anatomischen Sprache der Gegenwart, mit besonderer Berücksichtigung ihrer Barbarismen, Widersinnigkeiten, Tropen, und grammatikalischen Fehler. Wien, Wilhelm Braumüller, p. 438.
3 J.C.A. Mayer (1794) Beschreibung des ganzen menschlichen Körpers. Berlin, Heinrich August Rottmann, vol. 6, p. 161.
4 Bartholin T. (1677) Anatome quartum renovata. Lugduni, Sumpt. Joan. Ant. Huguetan, & Soc., p. 493.
5 Santucci B. (1739) Anatomia do Corpo humano. Lisboa Occidental, Na Officina de Antonio Pedrozo Galram, p. 217.
6 Sappey P.C. (1872) Traité d’anatomie descriptive. Paris, Adrien Delahaye, deuxième édition, vol. 3, p. 128.
7 Debierre Ch (1907) Le cerveau et la moelle épinière, avec des applications physiologiques et médico-chirurgicales. Paris, Félix Alcan, p. 129.
8 Diemerbroeck I. van (1695) L’anatomie du corps humain. Lyon, Anisson & Posuel, vol. 2, p. 247.
9 Tarin P. (1753) Dictionnaire anatomique suivi d’une bibliothèque anatomique et physiologique. Paris, Briasson, p. 24.
10 Paturet G. (1964) Traité d’anatomie humaine. Tome IV. Système nerveux. Paris, Masson & Cie, p. 181.
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