La montre de Louis II de Bavière s’était arrêtée à six heures cinquante-quatre

   Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie 

Le système nerveux central comprend deux commissures dites de Gudden (l’une unit les corps géniculés médiaux aux collicules inférieurs contralatéraux ¹, l’autre est un synonyme de commissure grise postérieure de la moelle épinière ²), deux faisceaux dits de Gudden (l’un est un des trois tractus transverses de la face ventrale du mésencéphale ³, l’autre est synonyme de tractus mamillotegmental ⁴), et deux noyaux eux-aussi dits de Gudden (noyau interpédonculaire d’une part, noyau dorsal de la calotte d’autre part ⁵). Mais qui fut donc ce Gudden qui laissa trainer son nom partout?

Neuroanatomiste et psychiatre

Bernhard Aloys von Gudden, né à Kleve (Allemagne) le 7 juin 1824, étudia la médecine à Bonn, Berlin, puis Halle où il soutint en 1848 une thèse sur les mouvements du globe oculaire ⁶. Ayant opté pour une formation d’aliéniste — sous Maximilian Jacobi (1775-1858) à Siegburg puis Christian Friedrich Wilhelm Roller (1802-1878) à Illenau — il mena de front les carrières de psychiatrie (à Zurich en 1869, puis à Munich en 1872) et de chercheur en neuroanatomie ⁷. Ses œuvres furent publiées à titre posthume par son gendre Hubert Grashey en 1889 ⁸.

Bernhard Aloys von Gudden, vers 1870.

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Louis II de Bavière

Né  au château de Nymphenburg le 25 août 1845, Ludwig Otto Friedrich Wilhlem von Wittelsbach succéda le 25 mars 1864, sous le nom de Louis II, à son père Maximilien sur le trône de Bavière. Étrange et fascinant personnage que ce Louis II : bâtisseur de châteaux de légende (dont l’incroyable Neuschwanstein, devenu depuis le logo des productions Walt Disney), cousin de l’Impératrice Elisabeth d’Autriche (la célèbre Sissi), interlocuteur de Bismarck dans le processus d’unification allemande, protecteur de l’immense compositeur Richard Wagner, mais surtout… fou ^{9, 10}. C’est du moins ce qu’attestèrent, en date du 8 juin 1886 et sans l’avoir examiné ¹¹ — certains ne l’avaient même jamais vu! — quatre médecins aliénistes, dont Bernhard von Gudden, psychiatre officiel de Louis II. Le roi déclaré inapte fut dès lors assigné à résidence au château de Berg, au sud-ouest de Munich ¹².

Une double mort non élucidée

Le matin du dimanche 13 juin 1886, Louis II et Bernhard von Gudden allèrent se promener sur les berges du lac Starnberg, comme toujours accompagnés d’un policier et de deux infirmières. Le soir même, le roi demanda, et obtint, l’autorisation de refaire cette même promenade, mais cette fois seul à seul avec son psychiatre. Inquiets de ne pas les voir revenir au bout de deux heures, policiers, domestiques et infirmières se munirent alors de torches pour fouiller les environs; à 10 heures 30, les deux cadavres furent repêchés du lac, pas bien loin du rivage.

La montre du roi s’était arrêtée à 6 heures 54, celle du psychiatre à 8 heures. Suicide? Accident? Assassinat? Échec d’une tentative d’évasion? Et que s’est-il passé pendant les 66 minutes qui séparèrent l’arrêt des deux montres? Nul ne le sait. Le mystère fut englouti là même où une croix émerge du lac pour rappeler ce drame.

Notes

1 Dobson J. (1962) Anatomical Eponyms. Edinburgh and London, E. & S. Livingstone, second edition, p. 83.

2 Terra P. de (1913) Vademecum anatomicum. Jena, Gustav Fischer, p. 87.

3 Olry R. (1995) Dictionary of anatomical Eponyms. Stuttgart, Jena, New York, Gustav Fischer, p. 70.

4 Donáth T. (1960) Erläuterndes anatomisches Wörterbuch. Vergleichende Übersicht der Baseler, Jenaer und Pariser Nomenklaturen, gruppiert nach Organen. Terra Budapest, Verlag Medicina Budapest, p. 335.

5 Olry R. (1991) Dictionnaire critique des éponymes en anatomie. Faculté de médecine de Nancy, thèse, vol. 1, p. 404.

6 Gudden B.A. von (1848) Quaestiones de motu oculi humani. Halis Sax., typ. Schmidtianis.

7 Pagel J. (1901) Biographisches Lexikon hervorragender Ärzte des neunzehnten Jahrhunderts. Berlin, Wien, Urban & Schwarzenberg, cols. 649-650.

8 Gudden B.A. von (1889) Gesammelte und hinterlassene Abhandlungen. Wiesbaden, J.F. Bergmann.

9 Cars J. des (1997) Louis II de Bavière ou le roi foudroyé. Paris, Perrin.

10 Grunwald C. de (1967) Louis II le roi romantique. Paris, Éditions Hermès-Pierre Waleffe.

11 Diagnostic bien davantage « politique » — Louis II menaçait par ses projets l’équilibre des finances bavaroises — que médical. Le Dr von Schleiss et deux domestiques du roi (Wilhelm Rutz et Alphonse Welcker) contrediront fermement le diagnostic.

12 Ribadeau Dumas F. (1966) La folie au pouvoir. Paris, Les Productions de Paris, pp. 196-235.