Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie
Le suisse Johann Jacob Scheuchzer (1672-1733) fut un étonnant personnage 1. Médecin, naturaliste, mathématicien à ses heures, il était constamment à l’affut d’une découverte archéologique qui prouverait que le terrible déluge, à l’époque de Noé, avait bel et bien emporté l’humanité pécheresse. Ce fossile, attestant de la colère divine, il affirma l’avoir trouvé, en 1708, près de Nuremberg 2. Scheuchzer donna alors à ces quelques ossements le nom de Homo diluvii testis 3, c'est-à-dire Homme témoin du déluge.
Ce qui nous amène à expliquer pourquoi le mot testis évoque à l’anatomiste bien autre chose qu’un témoin.
Johann Jacob Scheuchzer (1672-1733), eau-forte de Joseph Nutting |
Petits témoins
Le terme latin testis signifie effectivement « celui qui peut certifier une chose » 4, donc un témoin, d’où l’adage Testis unus, testis nullus dérivé du Deutéronome 19-15. Si on adjoint à testis le suffixe « ule » qui en fait un diminutif 5, on créé effectivement le mot « testicule », petit témoin; tout comme un canalicule est un petit canal, un ossicule un petit os, et une fébricule une petite fièvre. Les testicules sont donc des petits témoins 6. Mais témoins de quoi?
Mais témoins de quoi?
Du caractère mâle, bien sûr! Et pour qui ce caractère doit-il impérativement être confirmé? Pour être élu pape… Dans son édition commentée de l’anatomie de Mundino dei Luzzi, l’anatomiste italien Jacopo Berengario da Carpi (1460-1530) « rapporte un usage de la cour de Rome, d’après lequel les cardinaux touchent les testicules du nouveau pape pour s’assurer de son sexe » 7. Usage confirmé par le chroniqueur italien Bernardino Corio (1459-1519) qui, lors de l’élection de Rodrigo Borgia sous le nom d’Alexandre VI 8, pu — si on l’en croit — observer par lui-même cette épreuve « instituée, à ce que l’on disait, après le scandale de l’élection de la papesse Jeanne » 9.
Mais la papesse Jeanne, que le dominicain du XIIIe siècle Martin d’Opava avait placé sur le Saint-Siège dans le bref interlude entre le 17 juillet 855 (mort de Léon IV) et le 29 septembre 855 (élection de Benoit III) 10, n’a en réalité jamais existé. Cet interlude fut probablement occupé par l’antipape Anastase, dit le Bibliothécaire 11.
Notes
1 Ley W. (1987) Exotic Zoology. New York, Bonanza Books, pp. 129-131.
2 Selon d’autres sources, ce fut à Oeningen, près du lac de Constance, en 1726. Ce n’était en réalité qu’un squelette d’amphibien géant.
3 Broad W., Wade N. (1987) La souris truquée. Enquête sur la fraude scientifique. Paris, Éditions du Seuil, p. 146.
4 Quicherat L. (1962) Dictionnaire français-latin. Paris, Hachette, p. 1408.
5 Bossy J. (1999) La grande aventure du terme médical. Filiations et valeurs actuelles. Montpellier, Sauramps-Médical, p. 32.
6 Curieusement, la Terminologia Anatomica a opté pour le terme testis sans diminutif, ce qui en fait des témoins tout simplement (Terminologia Anatomica [1998] Stuttgart, New York, Thieme, p. 67, A09.3.01.001).
7 Lauth T. (1815) Histoire de l’anatomie. Strasbourg, F.G. Levrault, vol. 1 [seul paru], p. 339.
8 Alexandre VI aurait du en réalité porter le numéro V, car Pierre Philargis, élu pape le 26 juin 1409 sous le nom d’Alexandre V, était un antipape. Voir De Luz P. (1960) Histoire des papes. Paris, Albin Michel, vol. 1, p. 261.
9 Cloulas I. (1987) Les Borgia. Paris, Fayard, p. 99.
10 Kühner H. (1958) Dictionnaire des papes de Saint Pierre à Jean XXIII. Paris, Buchet-Chastel, p. 50.
11 Bastien C. (1981) Les 262 papes. Les Souverains Pontifes de l’Église catholique romaine et apostolique. Montréal, les Éditions Ville-Marie, p. 375.
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