Une petite devinette

   Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie 

I

Une petite devinette pour terminer en beauté cette année 2017 : qu’est-ce qui a un bec, une crête, des ailes, des plumes, des ergots, et qui peut produire un œuf, tout en n’étant pas une poule?

 Réponse : Homo sapiens. Et voici pourquoi.

 Des becs

La terminologie anatomique classique ne comportait pas moins de 10 becs: le bec du corps calleux (extrémité effilée de son genou), le bec du sphénoïde (extrémité antérieure de la crête sphénoïdale inférieure), le bec de l’olécrâne (saille recourbée de son extrémité proximale), le bec du calamus (extrémité caudale du sillon médian du quatrième ventricule), et même un bec de cuiller ¹ dans l’oreille moyenne (extrémité postérieure incurvée du canal du muscle tenseur du tympan), auxquels le grand anatomiste Georges Paturet (1889-1959) avait ajouté des becs coronoïdien, de la patella, du cuboïde, du premier métacarpien, et du scaphoïde ².

Des crêtes

Les crêtes sont les plus nombreuses; le spécialiste en anatomie comparée Robert Barone (1918-2014) en dénombrait pas moins de 66 ³ dont, bien entendu, nous ne dresserons pas la liste ici. Il en est tout de même une qui mérite mention : la crista galli de l’éthmoïde — littéralement « crête de coq » mais toujours conservée sous sa forme latine —, terme créé semble-t-il par nul autre qu’André Vésale (1514-1564) ⁴.

Des ailes

Les ailes se déploient un peu partout dans le corps humain: ailes blanches externes ou internes (régions de la fosse rhomboïde de part et d’autre du sillon médian du quatrième ventricule), aile de l’ilium (segment supérieur de l’os coxal), ailes du sphénoïde (deux petites, anciennement apophyses d’Ingrassias, et deux grandes), ailes du lobule central (prolongements hémisphériques du lobule central vermien), ailes du sacrum (parties latérales), ailes du vomer (prolongements latéraux de son bord supérieur), et ailes du nez.

Des ergots

L’ergot fait exception car il est seul, caché dans la corne occipitale du ventricule latéral. Relief soulevé par le sillon calcarin, le chirurgien François-Sauveur Morand (1697-1773) y a vu, en 1744, la forme d’un ergot d’oiseau, d’où sa traduction latine « calcar avis ».

Des plumes

Eh oui, il y a effectivement quelques plumes dans le corps humain, et plus précisément au niveau de la fosse rhomboïde du quatrième ventricule. D’une part le « calamus scriptorius » (« plume à écrire »), ancien synonyme ⁵ du sillon médian du quatrième ventricule. D’autre part l’ « area plumiformis », baptisée ainsi en 1896 par le neuroanatomiste suédois Gustav Retzius (1842-1919) ⁶ pour attirer l’attention sur une région plissée de l’aile  blanche interne; quoi de plus naturel que de décrire des plumes sur une aile!

Et même des œufs!

C’est effectivement sous le nom d’ « œufs » que le médecin et anatomiste de Leipzig Martin Naboth (1675-1721) a décrit en 1707 ⁷ les petits kystes glandulaires de l’exocol, parfois du volume d’une cerise, et que les gynécologues appellent encore à ce jour les œufs de Naboth ⁸.

La Terminologia Anatomica, tel un renard introduit nuitamment dans un poulailler, a éliminé la majorité de ces attributs gallinacés. On en a la chair de poule…

Notes

1 Décrit par le gynécologue (!) Pierre-Charles Huguier (1804-1873), probablement dans sa thèse de 1834.

2 Paturet G. (1951) Traité d’anatomie humaine. II : membres supérieur et inférieur. Paris, Masson & Cie, p. 1100.

3 Barone R. (1977) Atlas d’Anatomie Humaine de Sobotta. Vol. 4: Nomenclature anatomique française. München, Urban & Schwarzenberg, Paris, Maloine S.A., pp. 284-285.

4 Voir Hyrtl J. (1880) Onomatologia Anatomica. Wien, Wilhelm Braumüller, p. 164.

5 Synonyme, ou à peu près: voir Olry R., Haines D.E. (2009) The Pen Nib and the Bolt: The Rhomboid Fossa of the Fourth Ventricle or the Symbol of the Censorship of the Press? Journal of the History of the Neurosciences 18: 76-79.

6 Cité par Mineff M. (1907) Le plancher du quatrième ventricule (Étude morphologique). Louvain, Imprimerie des Trois Rois, p. 14.

7 Naboth M. (1707) De sterilitate mulierum. Lipsiae, typ. A. Zeitleri (thèse d’un dénommé Johann Ernest Kruschio).

8 Robert H.-G., Palmer R., Boury-Heyler C., Cohen J. (1979) Précis de gynécologie. Paris, Masson, deuxième édition, p. 611.