Français autrefois

 
FRANÇOIS RABELAIS (1483 - 1553)
 
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Le texte écrit est emprunté à l'ouvrage: Rabelais, F. 1534. Gargantua, Texte établi et présenté par Jean Plattard, 3e édition revue et corrigée, Société des belles lettres, Paris, 1946.  
 
Il se peut que l'orthographe de cet extrait soit différente de l'orthographe utilisée dans d'autres éditions.  
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Rabelais, dans cet extrait de Gargantua (1533-1534 et 1535), fait le récit de la guerre Picrocholine: Frère Jean de Entommeures se bat contre des ennemis venus piller la vigne de son abbaye. C'est un récit littéraire qui témoigne des différents parlers de son temps: langue populaire, dialectes, langue savante et médicale.
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FRANÇOIS RABELAIS
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(1483 - 1553)
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    Le texte écrit est emprunté à l'ouvrage: Rabelais, F. 1534.
    Gargantua,
    Texte établi et présenté par Jean Plattard, 3e édition revue et corrigée, Société des belles lettres, Paris, 1946.
    Il se peut que l'orthographe de cet extrait soit différente de l'orthographe utilisée dans d'autres éditions.
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    Rabelais,
    dans cet extrait de
    Gargantua
    (1533-1534 et 1535), fait le récit de la guerre Picrocholine: Frère Jean de Entommeures se bat contre des ennemis venus piller la vigne de son abbaye. C'est un récit littéraire qui témoigne des différents parlers de son temps: langue populaire, dialectes, langue savante et médicale.
    […] En l'abbaye estoit pour lors un moyne claustrier, nommé Frère Jean des Entommeures, [ɑ̃ la.be.i e.tw͜e pur.lɔr œ̃ mw͜ε̃n kla͜w.tri.je nɔ̃.me frεr ʒɑ̃ de zɑ̃.to.mør]  
    Dans l'abbaye, il y avait pour lors un moine cloîtré, nommé Frère Jean des Entommeures,  
     
    jeune, guallant, frisque, de hayt, bien à bien à dextre, hardy, advantureux, délibéré, hault, maigre,  
    [ʒø̃n ga.lɑ̃ frisk dǝ ε bjε̃ na.dεstr ar.di a.vɑ̃.ty.rø de.li.be.re a͜w mεgr]  
    jeune, vaillant, alerte, ayant bon cœur, adroit, hardi, aventureux, décidé, fier, maigre,  
     
    bien fendu de gueule, bien advantaigé en nez, beau despescheur d'heures,  
    [bjε̃ fɑ̃.dy dǝ gœl bjε̃ na.vɑ̃.te.ʒe ɑ̃ ne bo de.pε.ʃœr dør]  
    bien fendu de gueule, bien avantagé en nez, capable d'expédier rapidement une tâche,  
     
    beau desbrideur de messes, beau descroteur de vigiles,  
    [bo de.bri.dør dǝ mεs bo de.krɔ.tør dǝ vi.ʒil]  
    capable de célébrer rapidement les messes, capable de réciter des vigiles,  
     
    pour tout dire sommairement vray moyne si oncques en feut  
    [pur tu dir sɔ̃.mεr.mɑ̃ vrε mw͜ε̃n si ɔ̃k zɑ̃ fy]  
    pour tout dire, sommairement, un vrai moine s'il en eut une fois  
     
    depuys que le monde moynant moyna de moynerie;  
    [dǝ.pɥi kǝ lǝ mɔ̃d mw͜ε̃.nɑ̃ mw͜ε̃.nɑ de mw͜ε̃.nǝ.ri.ǝ]  
    depuis que le monde moinant moina de moinerie  
     
    au reste clerc jusques ès dents en matiere de breviaire. (Chapitre XXVII, p. 97)  
    [o rεst klεr ʒys.kǝ zεs dɑ̃ ɑ̃ ma.tjεr dǝ bre.vjεr]  
    au reste, clerc jusqu'aux dents en matière de bréviaire.  
     
    […] il chocqua doncques si roidement sus eulx, sans dyre guare,  
    [il ʃɔ.kɑ dɔ̃ si rw͜ed.mɑ̃ sy zø sɑ̃ dir gar]  
    […] il attaqua donc si fermement sur eux, sans dire gare,  
     
    qu'il les renversoit comme porcs, frapant à tors et à travers, à vieille escrime.  
    [kil le rɑ̃.vεr.sw͜e kɔm pɔr fra.pɑ̃ a tɔr. ze atra.vεr a vjεj εs.krim]  
    qu'il les renversait comme des porcs, frappant à tort et à travers, à vieille escrime.  
     
    Es uns escarbouilloit la cervelle, es aultres rompoit bras et jambes,  
    [ε zœ̃ εs.kar.bu.lw͜e la sεr.vεl ε za͜wtr rɔ̃.pw͜e brɑ ze ʒɑ̃b]  
    Aux uns, il écrabouillait la cervelle; aux autres, il rompait bras et jambes;  
     
    es aultres deslochoit les spondyles du coul, es aultres demoulloit les reins,  
    [ε za͜wtr dε.lɔ.ʃw͜e le spɔ̃.dil dy ku ε za͜wtr de.mu.lw͜e le rε̃]  
    aux autres, il disloquait les spondyles du cou; aux autres, il disloquait les reins,  
     
    avalloit le nez, poschoit les yeulx, fendoit les mandibules,  
    [a.va.lw͜e lǝ ne pɔ.ʃw͜e le zjø fɑ̃.dw͜e le mɑ̃.di.byl]  
    il écrasait le nez, il pochait les yeux, il fendait les mandibules,  
     
    enfonçoit les dens en la gueule, descroulloit les omoplates, sphaceloit les greves,  
    [ɑ̃.fɔ̃.sw͜e le dɑ̃ zɑ̃ la gœl de.kru.lw͜e le zo.mo.plat sfa.se.lw͜e le grεv]  
    il enfonçait les dents en la gueule, il défonçait les omoplates, il meurtrissait les jambes,  
     
    desgondoit les ischies, debezilloit les fauciles.  
    [de.gɔ̃.dw͜e le zis.kij de.be.zi.lw͜e le fo.sil]  
    il déboîtait les os de la hanche, il mettait en pièces les os des membres.  
     
    Si quelq'un se vouloyt cascher entre les sepes plus espès,  
    [si kεl.kœ̃ sǝ vu.lw͜e ka.ʃe ɑ̃.trǝ le sεp ply ze.pε]  
    Si quelqu'un voulait se cacher entre les ceps de vigne plus épais,  
     
    à icelluy freussoit toute l'areste du douz et l'esrenoit comme un chien.  
    [a i.sǝ.lɥi frø.sw͜e tut la.rεt dy du e le.rε.nw͜e kɔm œ̃ ʃjε̃]  
    à celui-ci il brisait toute la colonne vertébrale et la lui arrachait comme à un chien.  
     
    Si aulcun saulver se vouloit en fuyant,  
    si a͜w.kœ̃ sa͜w.ve sǝ vu.lw͜e ɑ̃ fɥi.jɑ̃]  
    Si quelqu'un voulait se sauver en fuyant,  
     
    à icelluy faisoit voler la teste en pièces par la commissure lambdoïde.  
    [a i.sǝ.lɥi fǝ.zw͜e vɔ.le la tεt ɑ̃ pjεs par la kɔ.mi.syr lɑ̃.dɔ.id]  
    à celui-ci il faisait volet la tête en pièces par la commissure lambdoïde (base du crane).  
     
    Si quelq'un gravoit en une (un) arbre, pensant y estre en seureté,  
    [si kεl.kœ̃ gra.vw͜e tɑ̃ nœ̃ narbr pɑ̃.sɑ̃ ti εtr ɑ̃ syr.te]  
    Si quelqu'un montait dans un arbre, pensant y être en sécurité,  
     
    icelluy de son baston empaloit par le fondement.  
    [i.sǝ.lɥi dǝ sɔ̃ bɑ.tɔ̃ ɑ̃.pa.lw͜e par lǝ fɔ̃d.mɑ̃]  
    celui-ci, de son bâton, il empalait par l'anus.  
     
    Si quelq'un de sa vieille congnoissance luy crioit:  
    [si kεl.kœ̃ dǝ sa vjεj kɔ̃.nw͜e.sɑ̃s lɥi krij.w͜e]  
    Si quelqu'un de sa vieille connaissance lui criait:  
     
    ' Ha, Frere Jean, mon amy, Frere Jean, je me rend!  
    [ɑ frεr ʒɑ̃ mɔ̃ na.mi frεr ʒɑ̃ ʒǝ mǝ rɑ̃]  
    ' Ha, Frère Jean, mon ami, Frère Jean, je me rends!  
     
    - Il t'est (disoit il) bien force; mais ensemble tu rendras l'ame à tous les diables ».  
    [il tε di.zw͜ε til bjε̃ fɔrs mε zɑ̃.sɑ̃bl ty rɑ̃.drɑ lɑ̃:m a tu le djɑ:bl  
    - Tu es (disait-il) bien obligé; mais ensemble tu rendras l'âme à tous les diables ».  
     
    Et soubdain luy donnoit dronos. Et, si personnes tant feust esprins de temerité  
    [e su.dε̃ lɥi dɔ̃.nw͜e drɔ.nɔs e si pεr.sɔ̃n tɑ̃ fy te.prε̃ dǝ te.me.ri.te]  
    Et soudain il lui donnait des coups. Et, si quelqu'un tant fût saisi de témérité  
     
    qu'il luy voulust résister en face, là monstroit il la force de ses muscles,  
    [kil lɥi vu.ly re.zis.te rɑ̃ fas lɑ mɔ̃.tw͜e til la fɔrs de se myskl]  
    qu'il voulût lui résister en face, là montrait-il la force de ses muscles,  
     
    car il leurs transperçoit la poictrine par le mediastine et par le cueur.  
    [kar il lœr trɑ̃s.pεr.sw͜e la pw͜e.trin par lǝ me.djas.tin et par lǝ kœr]  
    car il leur transperçait la poitrine par le médiastin et par le cœur.  
     
    A d'aultres donnant suz la faulte des coustes, leurs subvertissoit l'estomach,  
    [a da͜wtr dɔ̃.nɑ̃ sy la fa͜wt de kut lœr syb.vεr.ti.sw͜e lεs.to.mak]  
    À d'autres donnant sous la faute des côtes, il leur renversait l'estomac,  
     
    et mouroient soubdainement. Es aultres tant fierement frappoit par le nombril  
    [e mu.rw͜ej su.dε̃n.mɑ̃ ε za͜wtr tɑ̃ fjεr.mɑ̃ fra.pw͜e par lǝ nɔ̃.briʎ]  
    et ils mouraient soudainement. Aux autres, frappait si férocement par le nombril  
     
    qu'il leurs faisoit sortir les tripes. Es aultres parmy les couillons persoit le boiau cullier.  
    [kil lœr fǝ.zw͜e sɔr.tir le trip ε za͜wtr par.mi le ku.ʎɔ̃ pεr.sw͜e lǝ bw͜e.jo ky.ʎe]  
    qu'il leur faisait sortir les tripes. Aux autres, parmi les couillons, il perçait le rectum.  
     
    Croiez que c'estoit le plus horrible spectacle qu'on veit oncques. ' (Chapitre XXVII, p. 99-110)  
    [krw͜e.je kǝ se.tw͜e lǝ ply zɔ.ri.blǝ spεk.takl kɔ̃ vi ɔ̃k]  
    Croyez que c'était le plus horrible spectacle qu'on ne vît jamais. '  
     
    * * * / / / * * *
    Site créé par Luc Ostiguy et André Bougaïeff  
    Université du Québec à Trois-Rivières (Québec, Canada)
    Mot Annotation
    […]
    En l'abbaye estoit pour lors un moyne
    claustrier, claustrier = cloîtré
    nommé nommé = nommé

    Dans l'ancienne langue, toute voyelle devant une consonne nasale, à savoir [n], [m] ou [ɲ], était nasalisée. C'est pourquoi, dans l'enregistrement, on entend [nɔ̃.me].

    À partir du XVIIe s., seule la voyelle dont la consonne nasale se trouvait dans la même syllabe (syllabe fermée) a conservé sa nasalisation: XIIe nommé [nɔ̃.me] › XVIIe nommé [nɔ.me] › fr. mod. nommé [nɔ.me]; XIIe bonne [bɔ̃.nǝ] › XVIIe bonne [bɔ.nǝ] › fr. mod. bonne [bɔn]. Mais: XIIe bon [bɔ̃n] › fr. mod. bon [bɔ̃].

    Frère Jean des Entommeures,
    [ɑ̃ la.be.i e.tw͜e pur.lɔr œ̃ mw͜ε̃n kla͜w.tri.je nɔ̃.me frεr ʒɑ̃ de zɑ̃.to.mør]
    Dans l'abbaye, il y avait pour lors un moine cloîtré, nommé Frère Jean des Entommeures,
    jeune, guallant,
    frisque, frisque = alerte, gai, vif, éveillé

    Peut-être d'origine germanique, le mot se présentait aussi avec les formes frische et frique.

    Ce mot a comme dérivé le mot frisquet, d'origine wallonne.

    de hayt, de hayt = de bon cœur

    Le mot hait, d'origine germanique, est attesté dès le XIIe s., avec des significations variées, toujours positives: joie, souhait, désir, bonne santé, courage, ardeur.

    La lettre y mise pour i viendrait d'une volonté des clercs de rendre plus lisibles les textes qu'ils rédigeaient à la main, parfois rapidement.

    Une lettre avec jambage est toujours plus déchiffrable que celle qui n'en a pas. Ce procédé de lisibilité s'observait déjà au Moyen Âge.

    bien à
    bien à dextre, bien à dextre = adroit

    Le mot était prononcé [dεstr], comme dans l'audio-fiction, ce dont témoigne la graphie concurrente destre. La lettre x a été substituée à s au courant du XVIe s. pour relier le mot à son étymon latin dexterum.

    hardy,
    advantureux, advantureux = aventureux

    1. Dès le XIIIe s., on préconisait, chaque fois que c'était possible, une correspondance stricte entre les graphies en usage pour le latin et celles du français.

    L'orthographe française a été fortement marquée par cette pratique qui consistait à habiller les mots avec une lettre muette empruntée à l'étymon latin.

    On observe encore aujourd'hui le résultat de cette pratique avec, entre autres, le mot doigt: lat. digitum › XIe doi, doie › XVIe doigt.

    La lettre muette d a été insérée par les clercs au courant du XVIe s. pour relier ce mot à son étymon latin aduenturam.

    2. À l'époque où ce mot était orthographié aduantureux, la lettre muette d avait aussi comme fonction diacritique de faire lire le graphème u comme le son [v]. En effet, la lettre u valait tant pour faire entendre [y] (u) que pour faire entendre [v]).

    Après l'adoption du graphème v, la lettre d a été supprimée dans première édition du Dictionnaire de l'Académie (1694).

    délibéré, délibéré = décidé, résolu à faire quelque chose

    Du latin deliberāre signifiant prendre une décision.

    hault, hault = fier, arrogant, hautain; noble, supérieur

    Au XVIe s., le graphème digramme au était prononcé en diphtongue [a͜w] (ao) et est devenu, vers le XVIIIe s., [ɔ:] long ou [o:] long selon la consonne qui suivait.

    Depuis le XIe s., la lettre l était muette. Les clercs du Moyen âge l'ont tout de même conservée dans la graphie pour que ce mot puisse être rattaché à son étymon latin altum.

    Au XVIe s., le grammairien Étienne a donné à cette lettre étymologique une valeur diacritique : elle était maintenue pour indiquer au lecteur que le graphème au devait être lu comme une seule voyelle (d'abord la diphtongue [a͜w], ensuite [ɔ] ou [o]) plutôt que comme deux voyelles successives bien distinctes [a] et [y] (u).

    maigre,
    [ʒø̃n ga.lɑ̃ frisk dǝ ε bjε̃ na.dεstr ar.di a.vɑ̃.ty.rø de.li.be.re a͜w mεgr]
    jeune, vaillant, alerte, ayant bon cœur, adroit, hardi, aventureux, décidé, fier, maigre,
    bien fendu de gueule, bien
    advantaigé advantaigé = avantagé

    À l'époque où ce mot était orthographié aduantaigé, la lettre muette d avait comme fonction diacritique de faire lire le graphème u comme le son [v] (u valait tant pour faire entendre [y] que pour faire entendre [v]).

    Après l'adoption du graphème v, la lettre d a été supprimée dans la première édition du Dictionnaire de l'Académie (1694).

    Dès le moyen français (XIVe et XVe s.), la voyelle [a] s'est fermée en [ε] (è) ou [e] (é) quand elle était suivie d'une consonne palatale, telle [ʒ] (avantage › avantaige; fromage › froumaige) ou [ɲ] (montagne › montaigne; Bretagne › Bretaigne).

    Ce phénomène a même touché Paris, et les grammairiens l'observaient encore au XVIe s.

    en nez, beau
    despescheur despescheur = celui qui expédie, qui se débarrasse rapidement de quelque chose, exterminateur

    La prononciation du graphème digramme eu, prononcé [ø] par Rabelais et ses contemporains, comme dans Entommeurs, descroteur, desbrideur, est devenue [œ] à partir du XVIIe s.

    Ce changement vocalique, touché par ladite loi de position, s'est produit lorsque la voyelle [ø] était en en syllabe fermée par [r], notamment à la finale des mots: -eur [ør] › [œr].

    d'heures,
    [bjε̃ fɑ̃.dy dǝ gœl bjε̃ na.vɑ̃.te.ʒe ɑ̃ ne bo de.pε.ʃœr dør]
    bien fendu de gueule, bien avantagé en nez, capable d'expédier rapidement une tâche,
    beau desbrideur de messes, beau
    descroteur descroteur = celui dont le métier est de nettoyer les vêtements et les chaussures; celui qui énonce, récite quelque chose avec rapidité (Rabelais)

    La prononciation du graphème digramme eu, prononcé [ø] par Rabelais et ses contemporains, comme dans Entommeurs, descroteur, desbrideur, est devenue [œ] à partir du XVIIe s.

    Ce changement vocalique, touché par ladite loi de position, s'est produit lorsque la voyelle [ø] était en en syllabe fermée par [r], notamment à la finale des mots: -eur [ør] › [œr].

    de
    vigiles, vigile = cérémonie religieuse célébrée la veille d'un événement important; ce que l'on chante à l'office des morts (lat. vigilia ' veille ').
    [bo de.bri.dør dǝ mεs bo de.krɔ.tør dǝ vi.ʒil]
    capable de célébrer rapidement les messes, capable de réciter des vigiles,
    pour tout dire sommairement vray moyne si
    oncques oncques = quelquefois; en certaines circonstances; un jour; jamais (ne … oncques).

    Depuis le XIIe s., la graphie oncque(s) coexistait avec onque(s) (lat. unquam).

    en feut
    [pur tu dir sɔ̃.mεr.mɑ̃ vrε mw͜ε̃n si ɔ̃k zɑ̃ fy]
    pour tout dire, sommairement, un vrai moine s'il en eut une fois
    depuys que le monde moynant moyna de moynerie;
    [dǝ.pɥi kǝ lǝ mɔ̃d mw͜ε̃.nɑ̃ mw͜ε̃.nɑ de mw͜ε̃.nǝ.ri.ǝ]
    depuis que le monde moinant moina de moinerie
    au reste clerc
    jusques jusques = jusque

    La lettre finale s de jusques n'est pas étymologique (lat. pop. inde iusque), mais s'est ajoutée en analogie avec de nombreux adverbes qui avaient une telle finale: toujours, mais, d'ores et dejà, plus, moins, oncques, pas, gueres ( › guère).

    Au XVIe s., la lettre s était prononcée, notamment lorsque le mot qui suivait débutait par une voyelle: jusques͜ ès dens [ʒys.kǝ.zεs.dɑ̃].

    ès ès = en les, dans les; aux

    Cette forme, dite enclise, est une contraction de la préposition en et du déterminant défini les.

    Elle est demeurée dans quelques syntagmes: baccalauréat ès Arts ou ès Sciences; docteur ès lettres.

    L'enclise date de l'ancien français (Xe-XIIe s.), et a donné lieu également aux déterminants définis contractés au (à le), aux (à les), du (de le).

    dents en matiere de breviaire. (Chapitre XXVII, p. 97)
    [o rεst klεr ʒys.kǝ zεs dɑ̃ ɑ̃ ma.tjεr dǝ bre.vjεr]
    au reste, clerc jusqu'aux dents en matière de bréviaire.
    […] il
    chocqua chocqua = attaqua, frappa

    La lettre c, superflue en première analyse, permettait, pour l'œil, de mettre en rapport le verbe avec le substantif choc, de même famille.

    Mais, ce ne serait pas là la seule raison: sa position finale de syllabe graphique (choc-quer) aurait eu, dans l'esprit de ceux qui ont conçu l'orthographe française, comme fonction de signaler que la voyelle o était brève, comme dans le cas de crocquer.

    doncques doncques = donc

    Depuis déjà le XIIe s., la graphie doncques coexistait avec donque. La forme donc s'est ajoutée lorsque la voyelle finale e [ǝ] a cessé d'être prononcée.

    si
    roidement roidement = fermement

    Depuis le XIIe s., le graphème digramme oi (ou oy), était prononcé [w͜e] (oé) ou [w͜ε] (oè).

    Dès le XVIe s., ce graphème était également prononcé [ε] (è), notamment dans les finales verbales (avoit, auroit) et dans quelques mots, telles que Anglois (Anglais), François (Français), connoître (connaître), roide (raide).

    C'est la prononciation [ε] qui s'est imposée dans ces derniers cas. La graphie ai pour [ε] a été officiellement admise avec la sixième édition du Dictionnaire de l'Académie (1835).

    sus sus = sur (préposition)

    Pendant la période du moyen français (XIVe et XVe s.), les consonnes finales des mots ont cessé d'être prononcées. Cette vague a touché surtout les mots se terminant par les consonnes [r] et [l]: lat. cūlum › cul [kyl] › [ky]; lat. supercīlium › sourcil [sur.sil] › [sur.si]; lat. cantāre › chanter [ʃɑ᷉.ter] › [ʃɑ᷉.te].

    Cette tendance n'a pas abouti tout à fait parce qu'elle a été freinée par l'action des grammairiens qui ont tenté de restaurer la prononciation des consonnes.

    Plusieurs consonnes ont alors été réintroduites dans l'usage des personnes lettrées: c'est le cas, notamment, des mots finissant par la consonne r, dont les verbes à l'infinitif, mis à part ceux du premier groupe en -er.

    La prononciation des lettres r et l a pu être restaurée puisque ces dernières avaient été conservées dans les graphies des mots affectés. On peut observer l'effet de cette restauration parfois incomplète en français moderne avec les mots à double prononciation, tels que baril [ba.ʁi] ~ [ba.ʁil], sourcil [sur.si] ~ [sur.sil].

    En français moderne, on trouve des indices de la prononciation sans [r] dans les dérivés de certains mots. Le verbe miroiter plutôt que miroirer rappelle que le premier a été construit à partir de la racine sans r à la finale: miroi. Le mot menteuse plutôt que menteure suggère l'existence d'une forme masculine menteu.

    Bien d'autres consonnes finales ont été affectées aussi, comme on peut le voir avec les mots nordè [nɔʁ.dɛ] (vent du nord-est) et noroît [nɔ.ʁwa] (vent du nord-ouest) dont le groupe de consonnes –st [st] final s'est amuï il y a bien longtemps.

    On constate aussi l'effet de cette règle ancienne en français québécois traditionnel, avec tout seu' (tout seul), quêteux (quêteur), mois d'avri' (avril), dans le su' (sud), j'vas aller quéri [kʁi] les vaches (quérir).

    eulx, XIe s., la lettre l était muette. Les clercs du Moyen Àge l'ont tout de même conservée dans la graphie pour que ce mot puisse être rattaché à son étymon latin illos.

    Au XVIe s., le grammairien Étienne a donné à cette lettre étymologique une valeur diacritique: elle était maintenue pour indiquer au lecteur que le graphème digramme eu devait être lu comme une seule voyelle, à savoir [ø], plutôt que comme deux voyelles successives bien distinctes [ǝ] (e) et [y] (u).

    2. Au Moyen Âge, les clercs utilisaient la lettre x pour transcrire le son [us] (ous). Ainsi trouvait-on chevax (chevaux), prononcé [ʃǝ.va͜ws], au côté de chevaus.

    Plus tard, la lettre x est devenue une façon graphique de transcrire le pluriel des mots se terminant avec les digraphes -au (aux, chevaux), -eu (eux, cheveux), -eau (bateaux, manteaux), -ou (poux, genoux).

    sans dyre guare,
    [il ʃɔ.kɑ dɔ̃ si rw͜ed.mɑ̃ sy zø sɑ̃ dir gar]
    […] il attaqua donc si fermement sur eux, sans dire gare,
    qu'il les renversoit comme porcs, frapant à tors et à travers, à
    vieille escrime. vieille escrime = Hors des règles de l'escrime enseignées par les maîtres italiens.
    [kil le rɑ̃.vεr.sw͜e kɔm pɔr fra.pɑ̃ a tɔr. ze atra.vεr a vjεj εs.krim]
    qu'il les renversait comme des porcs, frappant à tort et à travers, à vieille escrime.
    Es uns escarbouilloit la cervelle, es
    aultres aultres = autres

    1. Encore au XVIe s., le graphème digramme au était prononcé en diphtongue [a͜w] (ao) et est devenu, vers le XVIIIe s., [ɔ:] long ou [o:] long selon la consonne qui suivait.

    2. Depuis le XIe s., la lettre l était muette.

    Les clercs du Moyen Âge l'ont tout de même conservée dans la graphie pour que ce mot puisse être rattaché à son étymon latin alterum.

    Au XVIe s., le grammairien Étienne a donné à cette lettre muette étymologique une valeur diacritique: elle était maintenue pour indiquer au lecteur que le graphème au devait être lu comme une seule voyelle (d'abord la diphtongue [a͜w], ensuite [ɔ] ou [o]) plutôt que comme deux voyelles successives bien distinctes [a] et [y] (u).

    rompoit bras et jambes,
    [ε zœ̃ εs.kar.bu.lw͜e la sεr.vεl ε za͜wtr rɔ̃.pw͜e brɑ ze ʒɑ̃b]
    Aux uns, il écrabouillait la cervelle; aux autres, il rompait bras et jambes;
    es aultres deslochoit les spondyles du coul, es aultres
    demoulloit demoulloit = fracassait, brisait, démolissait.
    les reins,
    [ε za͜wtr dε.lɔ.ʃw͜e le spɔ̃.dil dy ku ε za͜wtr de.mu.lw͜e le rε̃]
    aux autres, il disloquait les spondyles du cou; aux autres, il disloquait les reins,
    avalloit avalloit = écrasait

    1. De l'ancien français avaller, signifiant descendre, tirer vers le bas (d'où, avaler une bouchée), faire tomber, abattre. En rapport avec aval.

    2. Depuis le XIIe s., le graphème digramme oi (ou oy), comme celui observé à la finale des verbes conjugués à l'imparfait ou au conditionnel présent, était prononcé [w͜e] (oé) ou [w͜ε] (oè).

    Au XVIe s., ce graphème était également prononcé [ε] (è), notamment dans les finales verbales et dans quelques mots, tels que Anglois (Anglais), François (Français), congnoistre~ connoître (connaître).

    C'est ce son [ε] qui s'est imposé dans ces derniers cas. La graphie ai pour [ε] a été officiellement admise avec la sixième édition du Dictionnaire de l'Académie (1835).

    le nez, poschoit les yeulx, fendoit les mandibules,
    [a.va.lw͜e lǝ ne pɔ.ʃw͜e le zjø fɑ̃.dw͜e le mɑ̃.di.byl]
    il écrasait le nez, il pochait les yeux, il fendait les mandibules,
    enfonçoit les
    dens dens = Avec la sixième édition du Dictionnaire de l'Académie (1835), il y adoption définitive de la même forme au singulier et au pluriel des noms et des adjectifs se terminant par -ant ou -ent: dens, enfans, présens, savans › dents, enfants, présents, savants.
    en la gueule,
    descroulloit descroulloit = faisait crouler; défonçait (Rabelais).
    les omoplates, sphaceloit les
    greves, greves = jambes

    Au XIIe s., le mot désignait la jambe et la partie de l'armure qui la protégeait.

    [ɑ̃.fɔ̃.sw͜e le dɑ̃ zɑ̃ la gœl de.kru.lw͜e le zo.mo.plat sfa.se.lw͜e le grεv]
    il enfonçait les dents en la gueule, il défonçait les omoplates, il meurtrissait les jambes,
    desgondoit desgondoit = déboîtait ou déboitait
    les ischies, ischies = les os de la hanche

    Ischion, os du bassin où s'emboîte le fémur.

    debezilloit debezilloit = disloquait

    De l'ancien français debesiller (origine incertaine).

    les fauciles. fauciles = les os des membres
    [de.gɔ̃.dw͜e le zis.kij de.be.zi.lw͜e le fo.sil]
    il déboîtait les os de la hanche, il mettait en pièces les os des membres.
    Si
    quelq'un quelq'un = quelqu'un

    Le mot a connu plusieurs graphies au courant des XVIe et XVIIe s.: quelqu'ung, quelq'un et quelqu'un, dont la lettre l n'était pas toujours prononcée dans les situations plus familières, d'où aussi la graphie quescun.

    En français québécois de registre familier, la prononciation sans l est encore bien vivante: [kɛ.kœ᷉].

    se vouloyt cascher se vouloyt cascher = voulait se cacher

    Encore au XVIe s., le pronom complément direct ou indirect d'un verbe infinitif précédé d'un semi-auxiliaire (vouloir, pouvoir, devoir, aller, faire) se plaçait normalement devant ce dernier.

    entre les sepes plus
    espès, espès = épais

    La graphie espes était déjà observée dans des textes du XIIe, en variation avec les graphies espois et espais.

    La graphie avec ai a été retenue dans la première édition du Dictionnaire de l'Académie française (1694).

    Dans les graphies anciennes, le son [e] (é) était souvent rendu par les lettres es-, dont le s, autrefois prononcé, est devenu muet à partir du XIIe s.

    On a conservé la graphie es- jusqu'au XVIIIe s., comme dans les mots espès (épais), estoit (était) et esté (été).

    [si kεl.kœ̃ sǝ vu.lw͜e ka.ʃe ɑ̃.trǝ le sεp ply ze.pε]
    Si quelqu'un voulait se cacher entre les ceps de vigne plus épais,
    à
    icelluy icelluy = celui-ci (pronom démonstratif masculin)

    La lettre y mise pour i proviendrait d'une volonté des clercs de rendre plus lisibles les textes qu'ils rédigeaient à la main, parfois rapidement.

    freussoit toute l'areste du
    douz douz = dos

    Au XVIe s., il y a eu une hésitation vocalique entre les prononciations [o] ~ [ɔ] et [u] (ou) pour plusieurs mots. Devait-on prononcer portrait ou pourtrait, chose ou chouse, soleil ou souleil, homme ou houmme, morue ou mourue?

    Le phénomène aurait été fréquent à l'ouest de Paris, notamment en Touraine où est né Rabelais.

    Certains grammairiens, dits les 'ouistes', acceptaient la fermeture de [o] ~ [ɔ] vers le [u], d'autres, dits les 'non-ouistes', la refusaient.

    Lisez d'autres détails sur ce phénomène dans Wikipédia.

    et l'esrenoit comme un chien.
    [a i.sǝ.lɥi frø.sw͜e tut la.rεt dy du e le.rε.nw͜e kɔm œ̃ ʃjε̃]
    à celui-ci il brisait toute la colonne vertébrale et la lui arrachait comme à un chien.
    Si
    aulcun aulcun = aucun

    1. Encore au XVIe s., le graphème digramme au était prononcé en diphtongue [a͜w] (ao) et est devenu, vers le XVIIIe s., [ɔ:] long ou [o:] long selon la consonne qui suivait.

    2. Depuis le XIe s., la lettre l était muette.

    Les clercs du Moyen Âge l'ont tout de même conservée dans la graphie pour que ce mot puisse être rattaché à son étymon latin aliquem unum devenu alcunus en latin tardif.

    Au XVIe s., le grammairien Étienne a donné à cette lettre muette étymologique une valeur diacritique: elle était maintenue pour indiquer au lecteur que le graphème digramme au devait être lu comme une seule voyelle (d'abord la diphtongue [a͜w], ensuite [ɔ] ou [o]) plutôt que comme deux voyelles successives bien distinctes [a] et [y] (u).

    saulver saulver = sauver

    Encore au XVIe s., le graphème au était prononcé [a͜w] (ao) et est devenu, vers le XVIIIe s., [ɔ:] long ou [o:] long selon la consonne qui suit.

    Depuis le XIe s., la lettre l était muette. Les clercs du Moyen âge l'ont tout de même conservée dans la graphie pour que ce mot puisse être rattaché à son étymon latin salvāre.

    Au XVIe s., le grammairien Étienne a donné à cette lettre muette étymologique une valeur diacritique: elle était maintenue pour indiquer au lecteur que le graphème au devait être lu comme une seule voyelle (d'abord la diphtongue [a͜w], ensuite [ɔ] ou [o]) plutôt que comme deux voyelles successives bien distinctes [a] et [y] (u).

    se vouloit en fuyant,
    si a͜w.kœ̃ sa͜w.ve sǝ vu.lw͜e ɑ̃ fɥi.jɑ̃]
    Si quelqu'un voulait se sauver en fuyant,
    à icelluy faisoit voler la
    teste teste = tête

    Dès le XIe s., la consonne [s] après une voyelle accentuée dans la même syllabe s'est désarticulée et, par effet compensatoire, a allongé cette dernière: lat. tardif testam › Xe teste [tεs.tǝ] › XIe teste [tε:.tǝ] › XVIIe teste [tε:t]; lat. pastam › Xe paste [pas.tǝ] › XIe paste [pa:.tǝ] › XVIIe paste [pɑ:t]; lat. costam › XIe coste [kos.tə] › XIe coste [ko:.tə] › XVIIe coste [ko:t].

    La lettre s a été conservée jusqu'au XVIIIe s. à la fois pour relier le mot à son étymon latin (testam, pastam, costam) et pour marquer la longueur de la voyelle.

    La lettre s a été supprimée dans la troisième édition du Dictionnaire de l'Académie (1740) et a été remplacée par un accent circonflexe ayant pour fonction phonographique d'évoquer sa durée: teste, paste, coste › tête, pâte, côte.

    La longueur des voyelles qui ont suivi cette évolution est encore existante en français québécois. Ces voyelles longues, dites étymologiques, ont même tendance à être diphtonguées: tête [tɛ:t] ~ [ta͜εt] (taéte), pâte [pɑ:t] ~ [pa͜wt] (paote), côte [ko:t] ~ [kɔ͜wt] (co-oute).

    en pièces par la commissure lambdoïde.
    [a i.sǝ.lɥi fǝ.zw͜e vɔ.le la tεt ɑ̃ pjεs par la kɔ.mi.syr lɑ̃.dɔ.id]
    à celui-ci il faisait volet la tête en pièces par la commissure lambdoïde (base du crane).
    Si quelq'un gravoit en
    une (un) arbre, une arbre = un arbre

    Encore au XVIe s., on observait un flottement touchant le genre de plusieurs mots.

    Ainsi disait-on de la poison (du poison), une grande amour (un grand amour), un alarme (une alarme), une art (une art), un gros horloge (une grosse horloge), une navire (un navire).

    C'est sans doute ce phénomène qui peut expliquer, chez Rabelais, l'usage de une arbre.

    Ce flottement s'observe encore de nos jours en français québécois parlé de registre familier:
    une avion (un avion)
    une belle habit (un bel habit)
    une belle endroit (un bel endroit)
    une exemple (un exemple).

    pensant y
    estre estre = être

    Dès le XIe s., la consonne [s] après une voyelle accentuée dans la même syllabe s'est désarticulée et, par effet compensatoire, a allongé cette dernière: lat. class. essere › lat. pop. estre › Xe estre [εs.trǝ] › XIe estre [ε:.trǝ] › XVIIe estre [ε:tr]; lat. pastam › Xe paste [pas.tǝ] › XIe paste [pa:.tǝ] › XVIIe paste [pɑ:t].

    La lettre s a été conservée jusqu'au XVIIIe s. à la fois pour relier le mot à son étymon latin et pour marquer la longueur de la voyelle. Les graphies être et pâte datent de la troisième édition du Dictionnaire de l'Académie (1740). Son concepteur, l'abbé d'Olivet, a supprimé le s marquant la longueur de la voyelle et l'a remplacé par un accent circonflexe servant la même fonction: estre, fenestre, paste, coste › être, fenêtre, pâte, côte.

    La longueur des voyelles qui ont suivi cette évolution est encore existante en français québécois. Ces voyelles longues, dites étymologiques, ont même tendance à être diphtonguées: être [ɛ:tʁ] ~ [a͜εtʁ] (aétre), pâte [pɑ:t] ~ [pa͜wt] (paote), côte [ko:t] ~ [kɔ͜wt] (co-outre).

    en
    seureté, seureté = sûreté ~ sureté

    Au XVIe s., la lettre e n'était plus prononcée.

    Au Moyen Âge, le mot seur (lat. secūrum), à partir duquel seureté a été construit, était prononcé [sə.yr] (se-ur) avant de devenir, au XIVe s., [sy:r] avec [y] devenu long par effet compensatoire de la disparition de la voyelle [ə] (e).

    L'Académie française (1740) a supprimé la lettre e et a ajouté l'accent circonflexe sur le u pour noter sa longueur et pour le distinguer de la préposition sur.

    [si kεl.kœ̃ gra.vw͜e tɑ̃ nœ̃ narbr pɑ̃.sɑ̃ ti εtr ɑ̃ syr.te]
    Si quelqu'un montait dans un arbre, pensant y être en sécurité,
    icelluy de son
    baston baston = bâton

    1. La lettre s a cessé d'être prononcée à partir du XIe s., mais elle a été conservée, entre autres, pour relier le mot à son étymon latin bastum. Lorsque le son [s] s'est amuï, la voyelle a s'est allongée de façon compensatoire.

    La lettre s a été supprimée dans la troisième édition du Dictionnaire de l'Académie (1740) et le graphème a a été coiffé d'un accent circonflexe ayant pour fonction d'évoquer sa durée.

    On entend encore cet allongement (noté par un deux-points dans une transcription phonétique) en français québécois: [bɑ:.tɔ̃].

    empaloit par le
    fondement. fondement = anus

    Ce mot a le sens médical anus depuis le bas latin. Depuis, le mot est devenu un euphémisme pour cul, derrière, fesses.

    [i.sǝ.lɥi dǝ sɔ̃ bɑ.tɔ̃ ɑ̃.pa.lw͜e par lǝ fɔ̃d.mɑ̃]
    celui-ci, de son bâton, il empalait par l'anus.
    Si quelq'un de sa vieille
    congnoissance congnoissance = connaissance

    Dès le XIIIe s., on préconisait, chaque fois que c'était possible, une correspondance stricte entre les graphies en usage pour le latin et celles du français.

    L'orthographe française a été fortement marquée par cette pratique qui consistait à habiller les mots avec une lettre muette empruntée à l'étymon latin.

    On observe encore aujourd'hui le résultat de cette pratique avec, entre autres, le mot doigt: lat. digitum › XIe doi, doie › XVIe doigt. La lettre g de congnoissance, muette, a été introduite par les clercs au XVIe s. pour relier ce mot au mot latin cognoscere signifiant connaître.

    Dans l'ancienne langue, toute voyelle devant une consonne nasale, à savoir [n], [m] ou [ɲ], était nasalisée: année était dit [ɑ̃.ne.ǝ]. C'est pourquoi, dans l'enregistrement, on entend congnoissance [kɔ̃.nw͜e.sɑ̃s] avec [kɔ̃] plutôt que [kɔ].

    3. Depuis le XIIe s., le graphème digramme oi (ou oy), comme celui observé à la finale des verbes conjugués à l'imparfait ou au conditionnel présent, était prononcé [w͜e] (oé) ou [w͜ε] (oè).

    Au XVIe s., ce graphème était également prononcé [ε], notamment dans les finales verbales et dans quelques mots, tels que Anglois (Anglais), François (Français), congnoistre~ connoître (connaître).

    C'est ce son [ε] qui s'est imposé dans ces derniers cas. La graphie ai pour [ε] a été officiellement admise avec la sixième édition du Dictionnaire de l'Académie (1835).

    luy crioit:
    [si kεl.kœ̃ dǝ sa vjεj kɔ̃.nw͜e.sɑ̃s lɥi krij.w͜e]
    Si quelqu'un de sa vieille connaissance lui criait:
    ' Ha,
    Frere Frere = Frère

    La graphie frére apparaît au XVIIIe s., frère, au XIXe s.

    L'accent grave a été introduit tardivement, pour différentes raisons: aux XVIe et XVIIe s., il était réservé pour opposer des mots de même graphie (des / dès); au XVIIe s., l'accent aigu notait à la fois les sons [e] (é) et [ε] (è).

    Jean, mon
    amy, amy = ami

    La lettre y mise pour i à la finale du mot viendrait d'une volonté des clercs de rendre plus lisible les textes qu'ils rédigeaient à la main, parfois rapidement.

    Une lettre avec jambage est toujours plus déchiffrable que celle qui n'en a pas. Ce procédé de lisibilité s'observait déjà au Moyen Âge.

    Frere Jean, je me rend!
    [ɑ frεr ʒɑ̃ mɔ̃ na.mi frεr ʒɑ̃ ʒǝ mǝ rɑ̃]
    ' Ha, Frère Jean, mon ami, Frère Jean, je me rends!
    - Il t'est (disoit il) bien
    force; force = être forcé à, de; être obligé de
    mais ensemble tu rendras l'ame à tous les diables ».
    [il tε di.zw͜ε til bjε̃ fɔrs mε zɑ̃.sɑ̃bl ty rɑ̃.drɑ lɑ̃:m a tu le djɑ:bl
    - Tu es (disait-il) bien obligé; mais ensemble tu rendras l'âme à tous les diables ».
    Et
    soubdain soubdain = soudain

    Au XVIe s., la graphie soubdainétait en concurrence avec soudain. La lettre b était muette et a été ajoutée par les clercs pour rappeler son étymon latin subitāneum.

    Elle aurait eu aussi comme fonction graphique de faire lire le graphème ou en un seul son, à savoir [u], plutôt qu'en deux sons successifs bien distincts [o] et [y] (u). La graphie soudain s'est imposée dès la fin du XVIIe s.

    luy donnoit
    dronos. dronos = coup

    Rabelais aimait bien faire usage de mots des dialectes en usage en son temps. Le mot dronos proviendrait de la région de la ville française de Toulouse.

    Et, si
    personnes personnes = Dans l'ancienne langue, toute voyelle devant une consonne nasale, à savoir [n], [m] ou [ɲ], était nasalisée.

    C'est pourquoi, dans l'enregistrement, on entend [per.sɔ̃.nǝ].

    À partir du XVIIe s., seule la voyelle dont la consonne nasale se trouvait dans la même syllabe (syllabe fermée) a conservé sa nasalisation: XIIe personne [pεr.sɔ̃.nǝ] › XVIIe personne [pεr.sɔ.nǝ] › fr. mod. personne [pεr.sɔn]; XIIe bonne [bɔ̃.nǝ] › XVIIe bonne [bɔ.nǝ] › fr. mod. bonne [bɔn]. Mais: XIIe bon [bɔ̃n] › fr. mod. bon [bɔ̃].

    tant
    feust esprins feust esprins = fût saisi

    Encore au XVIe s., le conditionnel passé 2e forme (qui est la même forme que le subjonctif plus-que-parfait, sans le que) s'utilisait dans les phrases enchâssées hypothétiques.

    Le participe passé esprins vient de l'ancien français esprendre (XIe s.), d'où la graphie avec la lettre n, et a toujours été en concurrence avec espris.

    3. Dans les graphies anciennes, le son [e] (é) était souvent rendu par les lettres es-, dont le s, autrefois prononcé, s'est désarticulé à partir du XIIe s.

    On a conservé la graphie es- jusqu'au XVIIIe s., comme dans les mots esprins~ espris (épris), estoit (était) et esté (été).

    de
    temerité temerité = témérité

    L'accent aigu pour noter le son [e] (é) à l'intérieur du mot est exceptionnel au XVIe et XVIIe s. Ce n'est qu'à partir de la 3e édition du Dictionnaire de l'Académie (1740) qu'il apparaît de façon systématique dans ce contexte.

    [e su.dε̃ lɥi dɔ̃.nw͜e drɔ.nɔs e si pεr.sɔ̃n tɑ̃ fy te.prε̃ dǝ te.me.ri.te]
    Et soudain il lui donnait des coups. Et, si quelqu'un tant fût saisi de témérité
    qu'il
    luy voulust résister luy voulust résister = voulût lui résister

    Encore au XVIe s., le pronom complément direct ou indirect d'un verbe infinitif précédé d'un semi-auxiliaire (vouloir, pouvoir, devoir, aller, faire) se plaçait normalement devant ce dernier.

    en face, là
    monstroit monstroit = montrait

    Au XVIe s., la lettre s était muette, mais elle a été conservée pour relier le mot à son étymon latin monstrāre. Cette lettre a été supprimée au XVIIIe s.

    il la force de ses muscles,
    [kil lɥi vu.ly re.zis.te rɑ̃ fas lɑ mɔ̃.tw͜e til la fɔrs de se myskl]
    qu'il voulût lui résister en face, là montrait-il la force de ses muscles,
    car il
    leurs leurs = leur (pronom personnel)

    La lettre s n'est pas étymologique (lat. illorum), mais s'est ajoutée par analogie avec les autres pronoms compléments préverbaux, tels que nous et vous.

    En français québécois familier, ce pronom est souvent prononcé comme si sa graphie avait un s: J'leur z-ai dit [ʒlœʁ.ze.dzi] ~ Je leu' z-ai dit [ʒlø.ze.dzi].

    transperçoit la
    poictrine poictrine = poitrine

    La lettre c était muette. En ancien français (XIe-XIIIe s.), on ne connaissait que les graphies peitrine et poitrine.

    La lettre c a été ajoutée par les clercs au courant du XIVe s. pour relier ce mot au latin pectorem devenu pectorinam.

    En effet, dès le XIIIe s., on préconisait, chaque fois que cela était possible, une correspondance stricte entre les graphies en usage pour le latin et celles du français.

    L'orthographe française a été fortement marquée par cette pratique qui consistait à habiller les mots avec une lettre muette empruntée à l'étymon latin.

    On observe encore aujourd'hui le résultat de cette pratique avec, entre autres, le mot doigt: lat. digitum › XIe doi, doie › XVIe doigt.

    Cette lettre avait aussi comme fonction, dans l'esprit des clercs, de relier poitrine aux mots de même famille, souvent savants, qui avaient été créés par francisation des mots latins, tel pectoral (1355), francisation du mot latin pectoralis.

    par le mediastine et par le cueur.
    [kar il lœr trɑ̃s.pεr.sw͜e la pw͜e.trin par lǝ me.djas.tin et par lǝ kœr]
    car il leur transperçait la poitrine par le médiastin et par le cœur.
    A d'aultres donnant suz la faulte des
    coustes, coustes = côtes

    Dès le XIe ., la consonne [s] après une voyelle accentuée dans la même syllabe s'est désarticulée et, par effet compensatoire, a allongé cette dernière : lat. costam › Xe coste [kos.tǝ] › XIe coste [ko:.tǝ] › XVIIe coste [ko:t]; lat. pastam › Xe paste [pas.tǝ] › XIe paste [pa:.tǝ] › XVIIe paste [pɑ:t].

    La lettre s a été conservée dans la graphie jusqu'au XVIIIe s. à la fois pour relier le mot à son étymon latin et pour marquer la longueur de la voyelle.

    Les graphies côte et pâte datent de la troisième édition du Dictionnaire de l'Académie (1740). Son concepteur, l'abbé d'Olivet, a supprimé le s marquant la longueur de la voyelle et l'a remplacé par un accent circonflexe servant la même fonction phonographique: estre, paste, coste › être, pâte, côte.

    La longueur des voyelles qui ont suivi cette évolution est encore existante en français québécois. Ces voyelles longues, dites étymologiques, ont même tendance à être diphtonguées: être [ɛ:tʁ] ~ [a͜εtʁ] (aètre), pâte [pɑ:t] ~ [pa͜wt] (paote), côte [ko:t] ~ [kɔ͜wt] (co-oute).

    Au XVIe s., il y a eu une hésitation vocalique entre les prononciations [o] ~ [ɔ] et [u] (ou) pour plusieurs mots. Devait-on prononcer portrait ou pourtrait, chose ou chouse, soleil ou souleil?

    Le phénomène aurait été fréquent à l'ouest de Paris, notamment en Touraine où est né Rabelais. Certains grammairiens, dits les 'ouistes', acceptaient la fermeture de [o] ~ [ɔ] vers le [u] (ou), d'autres, dits les 'non-ouistes', la refusaient.

    Lisez d'autres détails sur ce phénomène dans Wikipédia.

    leurs subvertissoit
    l'estomach, estomach = estomac

    Le mot a connu plusieurs graphies: estomaqe (XIe), estomac (XIIe), estomach (XVIe). La graphie ch est sans doute attribuable à la volonté des clercs de rappeler l'étymon latin stomachus, venu du grec stomakhos.

    Voir estomaqué signifiant aujourd'hui très étonné, très surpris.

    Au XVIe s., la consonne finale [k] était encore prononcée, bien que beaucoup la taisaient à la pause ou devant un mot commençant avec une consonne (estomach vide).

    [a da͜wtr dɔ̃.nɑ̃ sy la fa͜wt de kut lœr syb.vεr.ti.sw͜e lεs.to.mak]
    À d'autres donnant sous la faute des côtes, il leur renversait l'estomac,
    et mouroient soubdainement. Es aultres tant fierement frappoit par le nombril
    [e mu.rw͜ej su.dε̃n.mɑ̃ ε za͜wtr tɑ̃ fjεr.mɑ̃ fra.pw͜e par lǝ nɔ̃.briʎ]
    et ils mouraient soudainement. Aux autres, frappait si férocement par le nombril
    qu'il leurs faisoit sortir les tripes. Es aultres parmy les
    couillons couillons = homme mou, sans énergie

    Jusqu'au XVIIe s., les graphèmes ill ou il, prononcés aujourd'hui [j], étaient prononcé [ʎ], dit l palatalisé, mouillé, proche du son [lj].

    C'est pourquoi, dans l'audio-fiction, nous entendons [ku.ʎɔ̃] plutôt que [ku.jɔ̃].

    En italien, cette consonne [ʎ] existe toujours et elle est orthographiée gli (foglia).

    persoit le boiau cullier.
    [kil lœr fǝ.zw͜e sɔr.tir le trip ε za͜wtr par.mi le ku.ʎɔ̃ pεr.sw͜e lǝ bw͜e.jo ky.ʎe]
    qu'il leur faisait sortir les tripes. Aux autres, parmi les couillons, il perçait le rectum.
    Croiez que
    c'estoit c'estoit = c'était

    Dans les graphies anciennes, le son [e] était souvent rendu par les lettres es, dont le s, autrefois prononcé, s'est désarticulé à partir du XIIe s.

    On a conservé la graphie es- jusqu'au XVIIIe s., comme dans les mots espine (épine), estoit (était) et esté (été).

    le plus horrible spectacle qu'on veit oncques. ' (Chapitre XXVII, p. 99-110)
    [krw͜e.je kǝ se.tw͜e lǝ ply zɔ.ri.blǝ spεk.takl kɔ̃ vi ɔ̃k]
    Croyez que c'était le plus horrible spectacle qu'on ne vît jamais. '
    * * * / / / * * *
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