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ACTE III
 
SCÈNE III (suite)
 
PHILIPIN
 
Mon bon Seigneur, vous êtes fils de bon père et de bonne mère, (à part) mais l'enfant ne vaut guères.  
Vous ne mentez jamais, (à part) si vous ne parlez, et si vous avez la conscience étroite (à part) comme la manche d'un Cordelier.  
Vous êtes fort libéral, (à part) vous ne mangeriez pas le diable que vous n'en donnassiez les cornes.  
Vous n'avez qu'un vice, c'est que vous êtes trop vaillant, que vous serez un jour Capitaine d'une grande réputation, (à part) on vous donnera le hausse-col en grève;  
Vous êtes aussi prudent que valeureux : (à part) quand vous avez été battu, vous n'en dites mot à personne.  
Vous faites des miracles en vos combats, (à part) ceux que vous avez tués se portent bien, grâce à Dieu;  
Vous serez heureux en vos rencontres, comme de coutume; (à part) on vous battra plus pour rien qu'un autre pour de l'argent.  
Vous ferez beaucoup plus que le preux et vaillant Achille : (à part) car il est mort par le talon, et les vôtres vous sauveront la vie en faisant vide aquam, l'eau bénite de Pâques.  
Vous êtes sans comparaison plus fort que Samson, qui tuait les lions, léopards, et autres bêtes;  
Car vous en avez tué de toutes les cochonnées et de plusieurs autres sans difficulté et à petit bruit, de peur d'effrayer leurs compagnons.  
 
ALAIGRE
En tiens-tu petit bonnet?  
FIERABRAS
 
Barre-là ma bonne amie, rayez cela de sur vos papiers, je n'eus jamais intention d'attraper mes ennemis en tapinois, car je leur fais la peur toute entière et puis le mal. Pour les autres choses susdites, c'est une autre paire de manches, je m'en rapporte au parchemin qui est plus fort que le papier. Mais pousse et achève.  
 
PHILIPIN
 
En aimant fort et ferme, vous perdez votre huile et votre temps : car vous aimez une fille qui est amoureuse comme un chardon. Cette ligne est bonne tant que vous aurez bon pied bon œil. Qui plus n'en sait plus n'en dit.  
 
FIERABRAS
 
Si ce que tu viens de me dire n'est vrai, le nez te puisse choir. Vrai ou faux, n'importe. Je t'en remercie comme de quelque chose de meilleur. Mais changeons un peu de batterie. Ma bonne mère, cette fille est-elle à vous? Elle ne vous revient point mal.  
 
PHILIPIN
 
Oui, mon bon seigneur, je l'ai faite et forgée.  
 
THESAURUS
 
Je donne au diable si elles ne se ressemblent comme un moine à un fagot. C'est une Bohémienne de Gonesse, ou bien elle a baisé le meunier, car elle est blanche comme farine.
FIERABRAS
 
Il faut que j'en dise un mot à cette brunette. Messieurs, n'en soyez pas si jaloux qu'un coquin de sa besace.  
LIDIAS
 
Vous ne tenez rien, mon camarade, vous êtes bien loin de votre compte, ce n'est pas chaussure à votre pied.  
 
ALAIGRE
 
Seigneur Capitan, vous pouvez bien manger votre potage à l'huile, il n'y a point de chair pour vous.  
 
FIERABRAS
 
N'ayez point peur, je ne la mangerai pas.  
 
ALAIGRE
(à part)
On ne mange pas de si grosses bêtes.  
 
FIERABRAS
 
Je ne lui dirai que deux mots, et puis la fin.  
 
ALAIGRE
 
Il vaut mieux le laisser faire que de gâter tout.  
 
LIDIAS
 
Faisons bonne mine, et mauvais jeu. S'il branle, je le tue.  
 
FIERABRAS
 
La belle fille, que je vous voie entre deux yeux. Vous ressemblez toute crachée à une beauté qui m'a donné dans la vue, cela fait que je vous chéris comme mon épée, outre que vous êtes plus mignonne qu'un petit loup, plus droite qu'un jonc et plus gentille qu'une poupée.  
 
FLORINDE
 
Monsieur, vos belles paroles me closent la bouche, je n'eus jamais tâche de beauté.  
 
FIERABRAS
 
Vos mépris vous servent de louange. Mais, mon petit cœur, une fille sans ami est un printemps sans rose.  
 
FLORINDE
 
Votre cœur est dans le ventre d'un veau, je suis une sainte qui ne vous guérirait jamais de rien, adressez ailleurs vos offrandes.  
 
FIERABRAS
 
Je te prie, baise-moi à la pincette.  
 
FLORINDE
 
Voyez-vous qu'il est gentil, on ne baise plus en ce temps ici. Je crois que vous êtes fils de boulanger, vous aimez bien la baisure.  
 
FIERABRAS
 
Mignonne, je t'en prie, tu n'obligeras pas un ingrat.  
 
ALAIGRE
 
Il se câline, ma foi il se goberge.  
 
LIDIAS
 
Courage, courage, nos gens reculent.  
 
FLORINDE
 
Vous n'avez pas lavé votre bec, et puis vous savez bien que baiser qui au cœur ne touche, ne fait rien qu'affadir la bouche.  
 
FIERABRAS
 
Dieu me sauve! Si tu me veux aimer, je te rendrai plus heureuse que le poisson dans l'eau.  
 
FLORINDE
 
Il faut connaître autant que d'aimer, à beau demandeur beau refuseur.  
 
FIERABRAS
 
Et quoi, tu m'es gracieuse comme une poignée d'ortie! Mais dis-moi : qu'as-tu caché là?  
 
FLORINDE
 
Je m'étonne comme vous êtes si gras, que vous avez tant d'affaire : laissez cela, ce n'est que du foin, sont les bêtes qui s'y amusent.  
 
FIERABRAS
 
Ne dites mot seulement, et me laissez faire, on me connaît bien.  
 
ALAIGRE
 
Et que diable, êtes-vous fol de vous faire tenir à quatre?  
 
PHILIPIN
 
Vous troublerez toute la fête.  
 
FLORINDE
 
Je crois que vous êtes boucher, vous aimez à tâter la chair, et là, là, vous ne m'achèterez pas, laissez-moi seulement, votre amie n'est pas si noire. Vraiment, vous êtes un gentil perroquet.  
 
FIERABRAS
 
Petite folle, tu ne sais pas que les plus illustres princesses de la terre tiennent à honneur mes caresses, et briguent incessamment la possession de la moindre de mes faveurs. Aime-moi, je te rendrai plus éclatante que la pierre en l'or.  
 
FLORINDE
 
Ne savez-vous pas qu'à laver la tête d'un âne, on y perd son temps et sa peine, et qu'on ne saurait faire boire un âne, s'il n'a soif. Vous grattez la Bastille avec les ongles et écrivez sur l'eau. Et ne me lanternez pas davantage.  
 
FIERABRAS
 
Ha! ventre! tu es plus farouche que n'est la biche au bois, Dieu me sauve! Tes persécutions me mettent à l'extrémité, je ne sais plus de quel côté me tourner. Le beau parler n'écorche pas la langue, aime-moi désormais, et me traite en ami! Tu ne me réponds rien, qui ne dit mot consent.  
 
FLORINDE
 
À sotte demande il ne faut point de réponse.  
 
FIERABRAS
 
Ah, ventre! si est-ce que je t'aurai, mauvaise, souviens-toi que je te mettrai à la raison.  
 
FLORINDE
 
Adieu panier, vendanges sont faites.  
 
ALAIGRE
 
Baisez mon cul, la paix est faite, et tirez vos chausses, Seigneur Croquand!  
 
FIERABRAS
 
Allons, gueux de l'ostière, et bandez vos voiles, et videz d'ici, autrement je vous estropierai.  
 
ALAIGRE
 
Maraud, si je m'étais mis en colère un demi-quart d'heure, je mettrais tes oreilles à la compote.  
 
FIERABRAS
 
Ha, ventre! coquin.  
 
ALAIGRE
 
Allons en garde, à vaillant homme courte épée, prend à la botte glissée.  
 
FIERABRAS
 
Le pendard! il fait Jaques déloge; il a raison, il vaut mieux êtres plus poltron, et vivre davantage.  
 
FLORINDE
 
Nous allons busquer fortune ailleurs.  
 
FIERABRAS
 
Adieu, mignonne, à la première vue chose nouvelle.  
 
ALAIGRE
 
Détalons, le marché se passe. Serviteur, visage.  
 
THESAURUS
 
Eh bien, Seigneur Capitan, des devins, que vous en semble ?  
 
FIERABRAS
 
Je ne sais que dire de peur qu'il n'arrive, ils m'ont conté mille lanterneries, qui ne valent pas un clou à soufflet. Qui ne le croira ne sera pas damné.  
 
MACÉE
 
Là, là, il ne faut de rien jurer. Pourquoi non? Ces Tabarins, qui sont des enchanteurs, ne pourraient-ils deviner? Mon mari, il ne faut pas ressembler Testu, être incrédule, car en peu d'heures Dieu labeure.  
 
THESAURUS
 
Ce n'est pas article de foi que ce qu'ils disent; mais pourtant je ne mettrai pas aux péchés oubliés les avertissements qu'ils m'ont donnés de ma fille, je les ai bien mis en ma caboche, ils ne sont pas tombés à terre. Mais vienne qui plante, je suis résolu comme Bartole à tout ce qui m'arrivera.  
 
FIERABRAS
 
C'est affaire à des niais de croire ces gens-là, ils sont devins comme des vaches, ils devinent tout ce qu'ils voient.  
 
THESAURUS
 
Si vous ne le voulez croire, ne le croyez pas. Pour moi, j'aime mieux le croire que d'y aller voir. C'est pourquoi je m'en vais attendre la grâce de Dieu. Il n'y a si bonne compagnie qu'elle ne se sépare. Adieu sias, me recommande, seigneur Capitaine.  
 
FIERABRAS
Contre fortune il faut avoir bon cœur.  
Une livre de mélancolie n'acquitte pas pour une once de dettes.  
Pour un perdu deux recouverts, un clou chasse l'autre.  
Depuis que j'ai vu cette petite Bohémienne, la perte de Florinde ne me touche plus tant au cœur.  
Changement de corbillon fait appétit d'oubli.  
Ma valeur abhorre trop la captivité et le lien de je ne sais quels mariages, que des têtes sans cervelles ont inventés.  
Je me veux ébaudir avec cette petite barbouillée.  
J'aimerais mieux qu'elle fut tombée dans mon lit que la grêle; je la trouverais plus facilement qu'une puce.  
Je la veux honorer d'une sérénade, il faut que je m'abaisse jusque-là.  
L'amour commence à me bander les yeux pour me faire faire banqueroute à l'honneur que je pourrais prétendre dans les caresses de quelque sultane, ou impératrice, qui s'estimerait trop heureuse de me baiser la contre-escarpe, ou Dieu me damne.  
 
.../SUITE SCÈNE IV  
 


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