Le thème de ce texte est l'œil, la vue, le regard.
DANS L'ŒIL DU TIGRE parLouise Blais
Enfeuilletantle journal du quartier, j'aperçois la publicité du cinéma Teck annonçant la projection du film « Dans l'œil du tigre », prévu pour 20 heures. Je regarde ma montre, il est 19 h 30. Parfait! Je termine mon plat delentillesà la mexicaine, repère mon sac à dos, le saisis puis quitte mon logis.Je croise le concierge, qui medévisage.Sesbesiclesencadrent parfaitement ses yeux méfiants. Il lève la main gauche, replace sesbesicles et me fait un signe de la main. Je ne peux que contempler sonœil-de-chat.qui brille sur son annulaire. Quel drôle de personnage, comme il aimeraitavoir des yeux tout autour de la tête!Le matin il observe les départs des locataires derrièrel'œil de sa porte.Il a tellement les yeuxpochésque je le soupçonne même dene pas fermer l'œil de la nuitpourépierles allées et venues de chacun. Je le salue tout enlorgnantmon nouveau voisin qui entre à l'instant. Une espèce dem'as-tu-vuqui porterait très bien lebinocleque j'ai vu dans unebraderie.J'enfourchema bicyclette pour me rendre au cinéma, car monœil-de-perdrixme fait souffrir lorsque je marche. Je pourrais yaller les yeux fermés,mais je doisgarder l'œil ouvert,car la circulation est dense dans le boulevardBraille.Je suis toujours fascinée par la beauté del'œil-de-bœufqui orne la façade du bâtiment de la rue Bellevue qui abrite lacinémathèque.La caissière aux yeuxbridésme remet mon billet. Le portier me salue avec ceregard francqui le caractérise si bien. L'odeur du maïs sucré me guide. J'avance vers cettepièce aveugleoù je pourrai m'en procurer. J'observe ce magnifique décorentrompe-l'œil,on dirait presque que certaines célébrités viennent se procurer de quoi grignoter.Le client qui me précède ne semble pasavoir froid aux yeux.Il échange quelques propos avec la caissière, puis s'emporte dans unecolère aveugle.C'est alors qu'il se retourne vers moi, sonœil de verreà la main. Il n'en fallait pas plus pour que jetourne de l'œil.Je reprends conscience, j'ouvre les yeux. Leregard flou,Je crois dénombrer une dizaine de personnes. Aucunregard compatissantà mon endroit, il n'y a que desregards indolents.Jefixe du regardle mur, l'horloge indique 20 h 05. Hélas, ce n'était pas du tout l'œil du tigre auquel je m'attendais!