phonétique

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6. Double latinisation du français  
 
Le français est une langue romane, comme le sont le catalan , l' espagnol , l' italien , le portugais , le roumain , auxquels on pourrait ajouter les langues régionales, entre autres, le galicien (Espagne), le languedocien , le corse ou le picard (France), le monégasque (Monaco), le wallon (Belgique), le piémontais ou le sicilien (Italie), le rhéto-roman , ou romanche (Suisse).  
 
Plus de quatre mots français sur cinq sont d'origine latine (Huchon 2009 : 37). Toutefois, les mots actuels du français qui viennent du latin ne sont pas nécessairement des produits du latin du début du premier millénaire.  
 
Si les mots français armure et armature viennent du même étymon latin armatūram , le premier en est issu de façon naturelle, héréditaire pourrait-on dire, après un long voyage de près de quinze siècles au cours duquel il a subi moult transformations dans la bouche des ' Français '; quant au second, il est né plutôt de la traduction du latin au français à laquelle se sont adonnés les clercs au tournant du premier millénaire.  
 
En effet, armature est un emprunt savant au latin médiéval armatura désignant, en architecture au XIIe s., la charpente sur laquelle on construit une voûte.  
 
Les emprunts au latin sont particulièrement nombreux à la fin du Moyen Âge, avec les traductions des premiers humanistes qui ont transféré en français, en les francisant, des mots latins qu'ils trouvaient dans les livres et qui exprimaient de nouveaux concepts, ainsi qu'avec l'expansion de la littérature didactique en langue vernaculaire. De nombreux doublets, comme armure et armature , apparaissent alors.  
 
Au Moyen Âge, le latin était, dans la conscience collective, associé non seulement au sacré, mais aussi à l'expression du savoir. Mais, progressivement, s'est opérée, dans l'esprit des gens du temps, une dissociation entre la science et son expression systématique en latin.  
 
Le projet a été de traduire en français les œuvres rédigées en latin. Ce sont les rois de France eux-mêmes qui ont demandé des traductions en français, pour permettre à ceux qui ne connaissaient pas le latin, d'avoir accès aux connaissances ; comme c'est le cas de Charles V (1364-1380) qui a mis en place la librairie du Louvre, avec le projet de ' matérialiser l'union, au plus haut sommet de l'état, des qualités et du savoir propres au clerc avec les qualités et le savoir spécifiques du chevalier. ' (Rey et autres 2007: 313).  
 
Les œuvres traduites portaient, entre autres, sur l'histoire antique, le droit, la médecine, la météorologie. Si les textes en droit échappaient au latin parce qu'ils étaient déjà constitués du vocabulaire français du droit coutumier par souci de clarté, les textes traduits concernant l'histoire antique et la médecine avaient à la base des mots d'origine savante, latins et grecs.  
 
Ainsi, pour réaliser ce projet de rendre accessible le savoir en français, il a fallu donner à la langue française tous les moyens linguistiques pour exprimer ce que le latin parvenait à faire si bien. Il y a eu alors, entre autres, création de néologismes par la francisation de mots latins empruntés qui n'avaient pas d'équivalents en français, par ex. iniquité de iniquitas , rédemption de redemptio par la relatinisation formelle ou externe de mots français héréditaires qui ont été corrigés à partir de la forme de leurs étymons latins : essemple devient exemple (exemplum) ; norreture , nourriture (nutritūram) ; mont, monde (mondus).  
 
Les emprunts au latin ont entraîné un nombre important de doublets, c'est-à-dire deux mots ayant le même étymon latin, mais dont l'un a suivi l'évolution phonétique normale, tandis que le second a été emprunté directement au latin, moyennant une petite adaptation.  
 
Étymon acer  
Forme héréditaire aigre  
Emprunt francisé âcre (XVIIIe s.)  
 
Étymon amygdalam  
Forme héréditaire amande  
Emprunt francisé amygdale (1503)  
 
Étymon calumniam  
Forme héréditaire challenge  
Emprunt francisé calomnie (XIVe s.)  
 
Étymon clavicula  
Forme héréditaire cheville (sens anatomique)  
Emprunt francisé clavicule (1541)  
 
Étymon fragilem  
Forme héréditaire frêle  
Emprunt francisé fragile (1361)  
 
Étymon legalitas  
Forme héréditaire loyauté (XIe s.)  
Emprunt francisé légalité (XIVe s.)  
 
Étymon ministerium  
Forme héréditaire métier  
Emprunt francisé ministère (XVe s.)  
 
Étymon respectum  
Forme héréditaire répit  
Emprunt francisé respect (XIVe s.)  
 
Étymon strictum  
Forme héréditaire étroit  
Emprunt francisé strict (XVIIIe s.)  
 
Le français est donc issu de deux latinisations : une première, héréditaire, une seconde, savante, grâce aux clercs qui ont voulu rendre le français capable de rivaliser avec le latin au chapitre de l'expression du savoir.  
 
La langue française est ressortie de leur activité de traduction et d'emprunt considérablement enrichie dans son vocabulaire et dans sa capacité à porter des raisonnements abstraits.  
 
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