phonétique

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5. Des règles d'évolution phonétique progressives, temporaires et locales  
 
Les règles d'évolution phonétique que nous présentons sont des illustrations de lois phonétiques . On doit aux néogrammairiens (Leskien 1876; Osthoff et Brugmann 1898) le principe de la loi phonétique 'qui ne souffre, disaient-ils, pas d'exception', car l'évolution 's'accomplit selon des lois rigoureuses'.  
 
Ces règles phonétiques ont été progressives. Par exemple, le mot latin vītam est devenu vie en passant par différents stades, dont l'ordre et la datation ont pu être déduites par les philologues à partir d'un grands nombre d'observations:  
 
Latin classique  
vītam ['wi:.tam]  
 
Latin tardif (IIIe s.)  
vita ['vi.ta]  
 
Latin tardif (IVe s.)  
-- ['vi.da]  
 
Roman (VIIIe s.)  
-- ['vi.ðә] (VI-de)  
 
Ancien français (XIe s.)  
vie ['vi.ә] (VI-e)  
 
Français classique (XVIIIe s.)  
vie ['vi]  
 
Ces règles phonétiques ont été temporaires . Par exemple, la consonne t intervocalique de matūrum (comme celle de vītam , mūtāre ou sternūtāre ) a disparu en ancien français.  
 
Toutefois, le t des mots mature , maturer ou maturité , mots empruntés au latin entre le XIIIe et le XVe s. et francisés par des clercs cherchant à enrichir le vocabulaire du français, est parfaitement stable dans le français d'aujourd'hui. Donc, ce qui est arrivé à la consonne t entre voyelles au courant du premier millénaire ne s'est pas reproduit par la suite.  
 
Ces règles phonétiques ont été locales . En effet, les différentes langues romanes issues du latin n'ont pas été affectées par les mêmes règles phonétiques, ce qui explique pourquoi elles diffèrent les unes des autres en dépit d'une base latine parfois identique.  
 
Par exemple, le t intervocalique de matūrum a donné :  
 
catalan madur  
espagnol maduro  
français mûr  
italien maturo  
portugais maduro  
roumain matur  
 
Les différences s'observent aussi, bien sûr, avec des langues romanes comprises aujourd'hui dans un même espace national: la consonne c suivie de la voyelle a , comme celle du mot latin canem (chien), est devenue ch [ʃ] en français parlé sous l'effet de la règle dite de palatalisation en gallo-roman central (v. R 16), mais est demeuré c dans le domaine normano-picard.  
 
Aussi le mot chien se dit-il quien en dialecte, comme l'évoque si joliment Maupassant dans ses Contes normands et parisiens: ' Mais un petit chien, un petit freluquet de quin qui jappe.'  
 
Ce principe de l'absence d'exception des lois phonétiques qu'avaient posé les néogrammairiens ne tient pas compte, cependant, de certains faits que les dialectologues et les sociolinguistiques ont mis en évidence durant le XXe s.  
 
La règle phonétique n'affectait sans doute pas en même temps la parlure de tous les locuteurs d'une communauté donnée.  
 
Une règle phonétique en œuvre ne s'applique jamais de façon catégorique. On peut penser que la règle d'affaiblissement de t vers d s'est produite d'abord dans la parlure des membres de certains groupes sociaux. Elle peut n'être apparue que chez les plus jeunes, les plus âgés, plus conservateurs, ne l'appliquant pas.  
 
Aussi peut-on s'imaginer qu'en Gaule romaine du IIIe s., les aînés disaient encore vita , tandis que les plus jeunes autour d'eux prononçaient vida.  
 
Le changement phonétique mis en branle inconsciemment par les jeunes locuteurs aurait été ensuite transmis aux générations suivantes.  
 
On pourrait aussi imaginer que cette règle d'affaiblissement ait été d'abord le lot des locuteurs gallo-romains non scolarisés de la communauté, avant de devenir, progressivement, celui de tous les Gallo-Romains.  
 
De plus, on peut se tenir assuré que les Gallo-Romains ont dû, selon les circonstances de la situation, utiliser les deux formes vita et vida , du moins jusqu'au moment où la forme vida a, en langue parlée, supplanté définitivement vita dans toutes les situations et chez tous les locuteurs. Il est tout à fait vraisemblable également que la règle d'affaiblissement de la consonne t entre voyelles n'ait pas touché tous les mots concernés en même temps.  
 
Par exemple, il est douteux que la consonne t des mots vītam , mater , pater , frater , matūrum , mutāre , sternūtāre , etc., ait été affectée au courant d'une même génération. Sans doute le changement a-t-il touché d'abord quelques mots ayant un t entre voyelles pour ensuite atteindre les autres mots de ce type dans les générations qui ont immédiatement suivi.  
 
Bybee (2002), s'inspirant de Wang (1969) qui a élaboré une théorie de la diffusion lexicale, suggère que certains changements phonétiques touchent d'abord les mots les plus fréquents, les positions inaccentuées, les mots à fonction grammaticale et le vocabulaire appartenant à la langue familière.  
 
Il a pu arriver aussi que, au cours des âges, un changement ait pu reculer devant l'influence d'un parler plus prestigieux.  
 
'Tout changement est une variation linguistique qui a réussi' selon Marchello-Nizia (2014: 173).  
 
Dans la région parisienne du XVIes., la voyelle [ε] (è) suivi de [ʁ] (r) est devenue [a]  
(verte › varte, vierge › viarge, perche › parche). Mais, avec les siècles, elle est redevenue [ε] après que des grammairiens eurent critiqué cette nouvelle prononciation jugée vulgaire.  
 
La prononciation [a] est encore entendue en français nord-américain, notamment en français québécois et en français acadien traditionnels.  
 
De même, à la même époque, la consonne [r] entre deux voyelles a connu une mutation qui l'a amenée vers le son [z]: ainsi, mari se disait mazi , chaire se disait chaise .  
 
Cette mutation a perdu du terrain après avoir été fortement critiquée par les grammairiens. De cette mutation avortée nous est resté le mot chaise (chaire). Le mot chaise s'est maintenu non sans s'être différencié du mot chaire sur le plan du sens.  
 
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