Par Sara Mercier-Blais, agente de recherche à la Chaire UNESCO sur les changements environnementaux à l’échelle du globe dirigée par Yves Prairie à l'Université du Québec à Montréal (UQAM) et par Alain Kilajian, spécialiste principal en durabilité à l'Association internationale de l'hydroélectricité (IHA).
La lutte contre les changements climatiques nécessite de réduire les émissions mondiales de carbone. Pour le secteur de l'énergie, cela signifie un passage rapide à des sources d’énergie renouvelables et à faible empreinte carbone - solaire, éolienne et hydroélectrique. En remplaçant les centrales thermiques au charbon et au gaz naturel par des alternatives à faibles émissions, nous pouvons réduire une grande partie - mais pas entièrement - les émissions vers l'atmosphère. Mais, d’où viennent ces émissions de gaz à effet de serre (GES) associées avec une production d'hydroélectricité? Les données scientifiques les plus récentes nous aident à démystifier les émissions de gaz à effet de serre (GES) des réservoirs hydroélectriques.
Faux. On a longtemps cru que les eaux intérieures (autrement dit, les rivières, les lacs et les réservoirs artificiels) n'émettaient pas de GES, mais qu'elles agissaient simplement comme un conduit transportant le carbone entre les milieux terrestres et l'océan. Cette absence d'émission de GES par les eaux intérieures nous faisait considérer l'hydroélectricité comme une énergie totalement « verte ».
Nous savons maintenant que les eaux intérieures sont en fait une source de GES. Les lacs et les rivières émettent collectivement autant de CO2 que les océans en absorbent. Au mètre carré, les lacs sont 80 fois plus actifs que les océans et 30 fois plus actifs que les paysages terrestres. Comme les réservoirs sont des lacs créés par les humains, ils sont également une source de GES.
Les émissions des réservoirs hydroélectriques proviennent principalement des processus microbiens qui décomposent la matière organique en GES. Cette transformation du carbone en GES dans les réservoirs peut toutefois fonctionner dans les deux sens, en émettant et en absorbant des émissions.
Vrai. L'intensité des émissions de toute source d'énergie est la quantité de GES émise par unité d'énergie produite (le plus souvent exprimée en gCO2-eq/kWh). Une étude de près de 500 réservoirs hydroélectriques mondiaux utilisant l'outil G-res a été publiée dans livre Water Security and Climate Change (2021), la valeur médiane pour l'hydroélectricité est de 23 gCO2-eq/kWh, ce qui correspond à la valeur actuelle du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) de 24 gCO2-eq/kWh.
Si l'on compare cette valeur avec d'autres sources d'énergie, seules l'énergie nucléaire et l'énergie éolienne présentent une intensité moyenne d'émissions de GES sur leur cycle de vie inférieure à celle de l'hydroélectricité, soit environ 12 gCO2-eq/kWh dans les deux cas. Pour l'énergie solaire, la valeur est de 48 gCO2-eq/kWh. Pour le gaz et le charbon, les valeurs sont respectivement de 490 et 820 gCO2-eq/kWh.
Bien entendu, il ne s'agit que d'une valeur médiane. Dans quelques cas extrêmes, il a été démontré que les réservoirs hydroélectriques produisent des émissions nettement plus élevées, tandis que d'autres ont des émissions proches de zéro (ou même négatives, c’est-à-dire qu’ils absorbent le CO2).
L'énergie hydroélectrique est donc la plupart du temps une énergie « verte », car elle émet une quantité similaire de GES par rapport aux autres sources d'énergie renouvelables. Mais les émissions sont très spécifiques à chaque site, d’où l’importance de développer des modèles qui permettent de déterminer quel site à une plus faible empreinte carbone ou serait mieux pour y construire un nouveau barrage hydroélectrique.
Vrai. La principale différence entre les centrales à réservoir et les centrales au fil de l'eau est la création d'un réservoir, comme le réservoir La Grande 2 d'Hydro-Québec dans la région de la Baie-James. L’avantage d’une centrale à réservoir est que l'eau peut être emmagasinée puis utilisée lorsque l'électricité est nécessaire, tandis qu'une centrale au fil de l'eau produit de l'énergie en utilisant le débit naturel d'une rivière et n'a pas ou peu d'accumulation d'eau.
Lorsqu'un réservoir est créé, un environnement terrestre est inondé et transformé en un environnement aquatique. Cette inondation a de multiples effets sur les émissions de GES du système.
Premièrement, lorsque de nouvelles terres sont inondées, davantage de carbone, provenant principalement du sol inondé, est disponible pour être transformé en émissions de GES. Ensuite, lorsque l'eau ralentit et commence à s'accumuler dans le réservoir, les bactéries aquatiques ont plus de temps pour transformer le carbone disponible en émissions de GES. Plus de carbone et plus de temps, cela signifie aussi plus d'émissions.
Enfin, plus l'eau reste longtemps dans le réservoir (c'est-à-dire son temps de séjour), plus elle a tendance à se réchauffer à la surface, mais à rester froide près du fond. Au milieu de ce gradient de température, il peut se créer ce que l'on appelle une thermocline qui agit comme une barrière physique pour les petites molécules comme le CO2 et le CH4. Au-dessus de la thermocline, vous aurez une eau bien oxygénée où le carbone peut se mélanger à l'oxygène de l'atmosphère pour créer du CO2. En dessous de la thermocline, vous aurez un environnement anoxique (pas d'oxygène) où le carbone est transformé en CH4. Parce que la thermocline agit comme une barrière, le CH4 produit dans les parties profondes du réservoir y reste. Ainsi, si la prise d'eau d'un projet est située sous la thermocline, le CH4 sera libéré en aval par la turbine - un processus que nous appelons dégazage.
Le dégazage est l'une des quatre voies d'émission associées aux réservoirs. Les trois autres sont le bullage du CH4, la diffusion du CO2 et la diffusion du CH4.
Bien qu’on puisse observer des émissions provenant de certaines centrales au fil de l'eau, elles auront toujours tendance à être plus faibles que les centrales à réservoir en raison du temps de séjour de l'eau plus faible de ces centrales et de la petite quantité de terres inondées.
Faux. Il est bien connu et documenté que les émissions de GES des réservoirs ont tendance à être plus élevées sous les tropiques en raison de la température moyenne annuelle plus élevée. Cela a créé le mythe que tous nos réservoirs boréaux ont des émissions faibles et tous les réservoirs tropicaux ont des émissions élevées.
La température n'est qu'un des nombreux éléments qui influencent l'empreinte carbone des réservoirs. Le temps que l'eau passe dans le réservoir, la quantité de carbone contenue dans le sol inondé et la superficie des zones peu profonde du réservoir contribuent tous au profil d'émissions de GES des réservoirs hydroélectriques.
Par exemple, un réservoir de grande taille, mais très profond situé dans les tropiques et produisant une grande quantité d'énergie aura très probablement une plus faible empreinte carbone par unité d'énergie produite alors qu’un réservoir en zone tempérée qui est très peu profond et inonde un très grand territoire pourrait avoir une empreinte beaucoup plus élevée.
Faux. Même si la plupart des gens pensent que les arbres et la végétation inondés sont la principale source de carbone d’un réservoir, ce n'est pas le cas. La majeure partie du carbone provient en fait du sol, et plus précisément des 10 premiers centimètres du sol.
Cela s’explique par le fait que le carbone provenant de la biomasse de surface est beaucoup plus difficile à décomposer par les bactéries que le carbone disponible dans le sol. Le réservoir de Petit Saut en Guyane française, où les arbres inondés sont exploités 30 ans après leur mise en eau, en est un bon exemple. Parfois, la forêt inondée peut même fournir des zones d'habitat importantes pour certaines espèces de poissons du réservoir.
Il a été prouvé que l’élimination de la végétation améliore la qualité de l'eau dans le réservoir. Toutefois, pour que le défrichage soit efficace, il faut éliminer tous les matériaux. Cela pose plusieurs problèmes, car le brûlage, l'option la plus souvent envisagée, a des impacts très importants et l'exportation de toute la biomasse n'est pas toujours réalisable, surtout pour les grands réservoirs.
Faux. Grâce à l’amélioration des connaissances scientifiques et de la disponibilité de données d’émissions de GES des réservoirs, nous disposons maintenant des connaissances nécessaires pour prévoir les émissions sans nous rendre directement sur place.
L'outil G-res (GHG Reservoir Tool) en est un exemple. L'outil G-res utilise un cadre conceptuel créé par des personnes expertes dans le domaine, qui intègre les données scientifiques les plus récentes dans une interface en ligne pour estimer les émissions de GES des réservoirs. Ces outils aident les personnes qui opèrent les centrales hydroélectriques ainsi que les chercheurs et chercheuses à estimer et à déclarer les émissions nettes de GES d'un réservoir sans avoir à mener de coûteuses campagnes d'échantillonnage sur le terrain. Ils sont particulièrement utiles au stade de la préfaisabilité comme outil de sélection pour éviter les projets à fortes émissions ou pour évaluer les émissions sur toute la durée de vie du réservoir.
Faux. Bien qu'il soit plus facile d’appliquer des mesures de réduction du carbone lors de la phase de conception d'un projet, il existe quelques moyens novateurs permettant de réduire les émissions des réservoirs même après leur construction.
En voici quelques exemples :
Vrai. L'action mondiale contre le changement climatique est centrée sur la nécessité de réduire les émissions de carbone. Pour le secteur de l'énergie, cela signifie un passage rapide à des sources d'électricité renouvelables et à faible teneur en carbone, telles que l'énergie solaire, l'énergie éolienne et l'hydroélectricité.
Beaucoup de gens pensent que les énergies solaire et éolienne sont meilleures pour l'environnement. Mais le problème avec ces énergies, c’est qu’elles ne sont pas toujours disponibles en raison d'un manque d'ensoleillement ou de vent. Aujourd'hui, la flexibilité et la capacité de stockage de l'hydroélectricité font partie intégrante de la solution, car elles peuvent contribuer à stabiliser la production d'énergie lorsqu'elles sont associées à des énergies renouvelables variables.
Faux. La Norme de durabilité de l'hydroélectricité, ainsi que les Directives sur les bonnes pratiques internationales de l'industrie, stipulent qu'un projet à faibles émissions doit avoir une intensité d'émissions inférieure à 100 gCO2e/kWh. Ce niveau d'émissions peut et doit guider le développement futur des nouvelles centrales hydroélectriques.
De même, la Climate Bonds Initiative stipule que les installations hydroélectriques en service avant 2020 peuvent bénéficier d'un financement si l'intensité de leurs émissions est inférieure à 100 gCO2e/kWh. Le critère correspondant pour les installations en exploitation après 2020 est de 50 gCO2e/kWh. Ces critères peuvent être estimés à l'aide de l'outil G-res ou d'une évaluation spécifique au site.
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Mis en ligne en octobre 2022
Menaces sur les lacs est un projet du GRIL financé par le Programme DIALOGUE des Fonds de recherche du Québec