Par Geneviève D'Avignon, étudiante au doctorat sous la supervision d'Anthony Ricciardi à l'Université McGill
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Grâce aux mesures préventives de décontamination des embarcations à moteurs instaurées dans la MRC Memphrémagog, plusieurs lacs de l’Estrie ont échappé pendant plus d’une vingtaine d’années à un envahisseur de taille – même s’il est tout petit. Mais en 2017, la population a perdu le combat : des moules zébrées ont finalement réussi à prendre d’assaut le lac Memphrémagog. Heureusement, la MRC, des partenaires locaux et des citoyens gardent cet indésirable à l’œil.
La moule zébrée est un mollusque pouvant atteindre une taille jusqu’à 5 cm et elle est originaire de la mer Caspienne en Asie. Elle est arrivée chez nous par navires, cachées dans leurs eaux de ballast – réservoirs d’eau servant à augmenter la stabilité ou la flottaison des bateaux. Cette moule possède des filaments nommés byssus, qu’elle utilise pour s’accrocher aux surfaces solides. En plus, elle a l’étonnante capacité de survivre hors de l’eau pendant plusieurs jours. C’est donc en s’agrippant aux embarcations à moteurs ou aux remorques, et en survivant au transport d’un cours d’eau à un autre à l’insu des plaisanciers, que cette intruse a réussi à conquérir plusieurs lacs et rivières du Québec. Une fois arrivée dans un cours d’eau, une femelle peut produire un million d’œufs! Quelques individus peuvent donc créer rapidement une nouvelle population. Pas étonnant que ce mollusque soit considéré envahissant!
La moule zébrée s’incruste aux structures humaines et bloque les conduits et les prises d’eau potable. Au Québec, on estime que le coût annuel pour décontaminer ou restaurer les milieux infestés par cet envahisseur varie entre 50 à 100 milliers de dollars! La moule agit aussi comme un filtre de piscine. On pourrait croire qu’elle nous fait une faveur, mais il n’en est rien. En filtrant l’eau – 1 litre par jour par moule! –, ces mollusques indésirables réduisent rapidement la quantité de nourriture disponible pour les autres espèces, dont les poissons prisés par les pêcheurs. Leur filtration augmente également la transparence de l’eau et permet une plus grande pénétration des rayons solaires, favorisant notamment la croissance de plantes aquatiques dont certaines sont considérées de mauvaises herbes. Cette moule change ainsi l’écosystème du lac, entre autres l’habitat des poissons.
Au cours de l’été 2019, dans le cadre d’un stage étudiant du programme ÉcoLac du Groupe de recherche en limnologie (GRIL), j’ai été embauchée par la MRC Memphrémagog pour guider les troupes sur le terrain et réaliser des inventaires pour détecter la présence et les densités de moules dans plusieurs lacs et rivières de la région. En tant que doctorante dans le laboratoire du Professeur Anthony Ricciardi qui étudie les espèces aquatiques envahissantes, je connais bien ces intruses. Assistés par des étudiants du laboratoire et des partenaires locaux, nous avons fait le repérage visuel des moules en apnée et en plongée à une centaine de sites de la région.
Lorsqu’on trouve l’envahisseur, on compte le nombre d’individus par quadrat, un carré de 0.5 x 0.5 mètre. En répétant le décompte de plusieurs quadrats annuellement aux mêmes sites, il est possible de suivre le développement des populations. En comparant les données de 2019 à celles de 2018, on observe des densités de moules de 1 à 6 fois plus grandes qu’avant. On remarque aussi que le mollusque gagne du terrain, car on en retrouve à de nouveaux endroits.
Ensuite, pour établir le rythme de croissance des populations, nous avons mesuré chaque moule recueillie. Lorsque nous trouvons des spécimens de 10 mm ou moins, on sait que ce sont des juvéniles qui ont vu le jour au cours de l’été et, donc, que les adultes arrivent à se reproduire localement.
Heureusement, la population de moules zébrées au Lac Memphrémagog est encore faible; on essaie donc de ralentir l’infestation en retirant manuellement ces mollusques des sites les plus touchés. Avec une vingtaine de bénévoles, nous avons ainsi «pêché » 4497 moules dans la Baie de Magog! Eh oui! Lorena et moi les avons toutes comptées! Reste à voir si cette méthode réduit efficacement l’invasion…
Il faut en effet se rappeler, qu’une fois la moule zébrée établie quelque part, il est quasi impossible de l’en déloger complètement. Il vaut mieux la combattre en amont, c’est-à-dire avant qu’elle n’arrive dans le plan d’eau et cause des problèmes écologiques et socio-économiques importants. Les citoyens peuvent s’impliquer dans la lutte aux espèces exotiques envahissantes en nettoyant et en décontaminant le matériel nautique avant chaque visite dans un nouveau cours d’eau!
Comme les chercheurs sont peu nombreux, les partenariats avec les organismes locaux, les municipalités, les ministères et, surtout, les citoyens sont essentiels pour protéger les cours d’eau. Il faut agir ensemble pour limiter les dégâts!
Allez, soyez vigilants, bonne lutte et bonne baignade!
Liens :
Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs : Méthodes pour prévenir l’introduction et la propagation d’espèces exotiques envahissantes
Le rapport terrain lié au projet moules zébrées est disponible gratuitement sur Research Gate : Évaluation de la distribution et de la structure des populations de moule zébrées au lac Memphrémagog et ses environs
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Mis en ligne en novembre 2021
Menaces sur les lacs est un projet du GRIL financé par le Programme DIALOGUE des Fonds de recherche du Québec