EDUTIC : AKI - Société et territoires autochtones
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Protestation des chefs micmacs

En 1749, des chefs micmacs envoient une lettre au gouverneur anglais afin de protester contre le projet de construction d'un fort à Kchibouktouk (Halifax). Cette lettre présentée aux Anglais en micmac fut traduite en français par l'abbé Pierre-Antoine Maillard. Elle fut envoyée à Paris comme «curiosité» le 18 octobre 1749.

L'endroit où tu es, où tu fais des habitations, où tu bâtis un fort, où tu veux maintenant comme t'introniser, cette terre dont tu veux présentement te rendre maître absolu, cette terre m'appartient, j'en suis certes sorti comme l'herbe, c'est le propre lieu de ma naissance et de ma résidence, c'est ma terre à moi sauvage; oui, je le jure, c'est Dieu qui me l'a donnée pour être mon pays à perpétuité.

Que je te dise donc d'abord les dispositions de mon cœur à ton égard, car il ne se peut que ce que tu fais à Kchibouktouk ne m'alarme. Mon Roi et ton Roi ont fait entre eux le partage des terres; c'est ce qui fait qu'aujourd'hui ils sont en paix. mais moi il ne se peut que je fasse paix ou alliance avec toi. montre-moi où moi sauvage me logerai? Tu me chasses toi; où veux-tu donc que je me réfugie ? Tu t'es emparé de presque toute cette terre dans toute son étendue. Il ne me restait plus que Kchibouktouk. Tu m'envies encore ce morceau, jusque-là même que tu veux m'en chasser. Je connais par là que tu m'engages toi-même à ne cesser de nous faire la guerre, et à ne jamais faire alliance entre nous. Tu te glorifies de ton grand nombre, moi sauvage, en petit nombre, ne me glorifie en autre chose qu'en Dieu qui sait très bien tout ce dont il s'agit; un ver de terre sait regimber quand on l'attaque. Moi sauvage, il ne se peut que je ne crois valoir au moins un tant soit peu plus qu'un ver de terre, à plus forte raison, saurai-je me défendre si on m'attaque.

Ta résidence au Port-Royal ne me fait pas grand ombrage, car tu vois que depuis longtemps je t'y laisse tranquille, mais présentement tu me forces d'ouvrir la bouche par le vol considérable que tu me fais. J'irai bientôt te voir, peut-être recevras-tu bien ce que je te dirai; si tu m'écoutes et que tu me parles comme il faut. Et que tu exécutes tes belles paroles, je connaîtrai par là que tu ne cherches que le bien, de sorte que toutes choses prendront un bon tour; je ne t'en dis pas davantage pour ne te pas plus longtemps rompre la tête par mes discours.

Je te salue, Seigneur

Écrit au Port Toulouse cinq jours avant la Saint-Michel.

Source : Collection de manuscrits inédits sur le Canada et l'Amérique publiée par le Canada français, I, p. 17-19.