EDUTIC : AKI - Société et territoires autochtones
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L'amérindianisation des Européens (1749)

Afin que nous puissions nous déplacer plus rapidement, le gouverneur général Gallissonnière a fait venir un des Sauvages de Lorette [Hurons-Wendats de Wendake]; il nous accompagne, nous montre le chemin et nous signale l'utilité des plantes; cet homme est d'origine anglaise, mais il a été fait prisonnier voilà trente ans par les Sauvages de Lorette alors qu'il était encore enfant et fut adopté par eux en remplacement de l'un des Sauvages tué par l'ennemi. Il est toujours resté chez eux depuis cette époque, a reçu l'instruction religieuse catholique, s'est marié avec une femme indigène du même village, s'habille maintenant comme les autres Sauvages et parle bien l'anglais, le français et, en outre, plusieurs langues indigènes. Il faut dire ici que c'est la coutume des Sauvages de l'Amérique du Nord d'adopter les prisonniers qu'ils font au cours d'une guerre en remplacement de ceux des leurs qu'ils ont perdus; les adoptés jouissent des mêmes privilèges que les morts qu'ils remplacent et sont considérés comme les parents les plus proches. Pendant la guerre qui opposa ici Français et Anglais, les Sauvages alliés aux Français ont fait de nombreux prisonniers parmi les colons anglais des deux sexes et les ont mariés avec les gens de leurs propres villages; [...]. Il est également remarquable que la plus grande partie des prisonniers européens qui, à l'occasion de la guerre, ont été pris ainsi mêlés aux Sauvages, surtout s'ils ont été pris dans leur jeune âge, n'ont jamais voulu revenir par la suite dans leur pays d'origine, bien que leurs père et mère ou leurs proches parents soient venus les voir pour tenter de les en persuader et qu'eux-mêmes aient eu toute la liberté de le faire. Mais ils ont trouvé le mode de vie indépendant propre aux Sauvages préférable à celui des Européens; ils ont adopté les vêtements indigènes et se sont conformés en tout aux Sauvages, au point qu'il est difficile de les distinguer, si ce n'est qu'ils ont la peau et le teint légèrement plus blancs. On connaît également plusieurs exemples de Français qui ont volontairement épousé des femmes indigènes et ont adopté leur mode de vie; par contre on n'a pas d'exemple qu'un Sauvage se soit uni à une Européenne et ait pris sa façon de vivre; [quelques cas] s'il lui arrive d'être fait prisonnier par les Européens au cours d'une guerre, il cherche toujours une occasion, au contraire, de retourner chez lui, même s'il a été retenu plusieurs années et a bénéficié de toutes les libertés dont un Européen peut jouir.

Source : Pehr Kalm, Voyage de Pehr Kalm au Canada en 1749, traduction annotée par Jacques Rousseau et Guy Béthune, Montréal, Pierre Tisseyre, 1977, p. 250-251.