EDUTIC : AKI - Société et territoires autochtones
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Un nouvel arrivé qui se plaît au Canada (1651)

Le Dieu très bon semble me donner une vigueur nouvelle pour travailler dans ce pays. En France, j'étais toujours malade et si faible que je pouvais à peine demeurer une heure sur pied; à présent, une journée entière ne suffit pas à me fatiguer. Je ne pouvais prendre qu'un peu de vin coupé d'eau; aujourd'hui, je bois le vin pur et l'eau-de-vie sans incommodité. Rien d'étonnant à cela, car tous jouissent d'une bonne santé semblable. Monsieur de Lauzon, notre gouverneur, qui ne sortait à Paris autrement qu'en calèche, marche ici bien à l'aise et il mange sans inconvénient de toute nourriture, malgré ses soixante-dix ans. Dans ce pays, on ne sait ce qu'est l'arthrite, la fièvre et le catarrhe. De médecins et de pharmaciens, nul besoin; pour toute la ville de Québec, un seul chirurgien suffit.

Ce n'est pas la seule bénédiction dont Dieu a favorisé ce pays. Il faut le voir pour le croire. Le sol est fertile et produit la meilleure qualité de blé. Les semailles se font en octobre et la récolte en août; ou encore on sème en mai et on moissonne en septembre. Les choux et les navets viennent ici à merveille; les citrouilles sont beaucoup plus savoureuses qu'en France. Les enfants les cuisent sous la cendre et s'en font un plat parfaitement délicieux. Tous les légumes croissent facilement. Le blé d'Inde, vendu aux Sauvages, rapporte un profit très élevé. Les pois et les fèves poussent ici en abondance. Les eaux sont des plus saines, mais la bière encore bien plus. Et je ne doute pas que le vin n'y soit aussi des meilleurs. J'ai vu des raisins blancs et noirs arriver à une maturité parfaite. Les melons sont bons pour la plupart; j'en ai quelquefois mangé d'exquis.

Le pays abonde en poissons, surtout en saumons, mais aussi en turbots, rougets et esturgeons. Les truites, de même que les anguilles, y foisonnent. D'aucuns saleront vingt ou trente barils d'anguilles pêchées devant leur porte. Ce poisson, dans ce pays, tient lieu de la viande de bœuf et l'on s'en nourrit toute l'année sans en être dégoûté. Il est excellent, frais ou salé. Il n'a pas besoin de beurre et donne une graisse abondante, qui sert à faire des sauces pleines de saveur et dont on ne se fatigue pas. Plusieurs préfèrent l'anguille à la chair des oiseaux que l'on prend ici en grand nombre.

En quelques îles et en quelques endroits, il y a telle abondance de ces oiseaux qu'on en remplit plusieurs barques, surtout d'oies blanches, d'outardes, de sarcelles, d'alouettes et de canards. Ils s' y posent en troupes si compactes et si nombreuses qu'ils couvrent des surfaces très étendues. Les tourtes y nichent en bandes durant tout l'été, tandis que les perdrix y abondent en hiver.

Le lièvre, le castor, l'ours, l'orignal se rencontrent partout. Près du port des Trois-Rivières broutent des troupeaux de vaches portant des bois au lieu de cornes, à la manière des cerfs. Les familles ont un nombre étonnant de bovins, de dindes et de poules.[...]

Source : Lucien Campeau, « Un témoignage de 1651 sur la Nouvelle-France », Revue d'histoire de l'Amérique française, 23 (4), 1970, p. 604-612.