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De l’or pour de l’arsenic : un échange qui tourne mal à Yellowknife

Par Julien Labrie, étudiant à la maîtrise sous la supervision de Maikel Rosabal à l'UQAM et la codirection de Marc Amyot (Université de Montréal).

Terrain

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Contempler les aurores boréales et des paysages dignes du Parc Jurassique, et élucider les mystères de la pollution à l’arsenic, voilà à quoi rimait l’aventure que j’ai vécue à Yellowknife lors de mon échantillonnage sur le terrain pour mon projet de maitrise à l’Université du Québec à Montréal.

En 2018 et 2019, mon directeur de recherche, Maikel Rosabal, mes collègues et moi étions partis récolter des amphipodes de l’espèce Hyalella azteca, des crustacés à l’allure de petites crevettes grises, qui sont très abondants dans la région. Leur présence est très étonnante puisque ces terres sauvages cachent un lourd passé : une exploitation de l’or s’étirant sur près de 50 ans a libéré de l’arsenic et d’autres métaux toxiques dans l’air et dans les écosystèmes aquatiques. Mon épopée à Yellowknife avait pour but de comprendre comment ces amphipodes étaient capables de gérer ces éléments néfastes encore présents dans leur environnement.

La vie trouve toujours un chemin

H.azteca

Dans des lacs autant pollués à l’arsenic, dépassant jusqu’à cinquante fois les normes gouvernementales (fixées à 10 microgrammes par litre) dans certains secteurs, on ne se serait pas attendu à y trouver ce type d'organismes vivants. Pour vous donner une idée, dans le lac le plus contaminé que nous avons échantillonné, le lac Handle, les concentrations d’arsenic dans l’eau équivalaient à 140 microgrammes par litre. Pas question de s’y baigner! Pourtant, on pouvait encore y retrouver des invertébrés aquatiques. À preuve, à peine arrivés au lac pour une journée de récolte, mes collègues et moi pouvions déjà voir les amphipodes grouiller, se nourrissant de feuilles mortes.

Mon échantillonnage consistait à choisir un endroit proche du rivage, idéalement dans des sédiments peu compacts où les Hyalella vivaient, et à donner des coups de filet. Après être resté sur place dans l’eau pendant 30 minutes, j’en suis sorti pour me rendre compte qu’une colonie d’amphipodes s’était agrippée à mes hautes bottes! À partir de cet instant, finis les coups de filet : il fallait tout simplement envoyer un volontaire (moi) et attendre dans la vase que ces crustacés s’accrochent aux bottes.

Une exploitation partie en vrille?

À première vue, ces amphipodes présents à foison ne donnaient pas l’impression que le site gardait encore des séquelles de l’exploitation minière. Toutefois, à quelques kilomètres de notre lieu d’échantillonnage, près de 237 000 tonnes d’arsenic ont été enfouies à la mine Giant, qui a été en activité entre 1948 et 2004. Malgré un projet d'assainissement mis en place afin de mieux gérer cet arsenic, il fallait se rendre à l’évidence que le mal était déjà fait. L’exploitation intensive de l’or avait en effet laissé un sillage amer, entre autres chez les communautés autochtones, car la pollution avait grandement diminué l’abondance de gibier comme les orignaux et les caribous. Ces terres indomptées de Yellowknife devenues hostiles ont même été le théâtre de meurtres découlant de la chute du prix de l’or et de conflits au cœur de la main-d’œuvre.

Résister aux ennemis métalliques

Envers et contre tous, les amphipodes ont pourtant survécu. Mais comment prospèrent-ils dans ces eaux devenues impropres pour nous? Voici une piste que j’ai explorée dans mon projet : il existe des défenseurs présents dans les cellules végétales et animales capables de séquestrer et d’excréter les métaux. Chez le règne animal, il s’agit principalement de deux structures capables de gérer les éléments métalliques : les granules et des protéines spéciales que l’on appelle métallothionéines. Ces deux éléments défendent la veuve et l’orphelin, soit les constituants de la cellule qui sont plus sensibles aux métaux tels que les mitochondries. En isolant les différents compartiments de la cellule, j’ai pu mesurer la présence de métaux et constater que l’arsenic s’accumulait principalement dans les granules, une preuve que les amphipodes de Yellowknife sont capables de bien gérer l’arsenic! Une adaptation cellulaire à une exposition prolongée à l’arsenic… voilà l’un des secrets du règne de ces petits crustacés maintenant révélé.

      

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Mis en ligne en décembre 2021

Menaces sur les lacs est un projet du GRIL financé par le Programme DIALOGUE des Fonds de recherche du Québec


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