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Colloque interdisciplinaire, Trois-Rivières, 24-25 novembre 2016

L’art du divertissement au Canada du 18e siècle à nos jours :

pratique, performance, formation

24-25 novembre 2016, Musée Québécois de culture populaire, Trois-Rivières

 

Jeudi 24 novembre

Séance 1: Temps et pratiques distinctives des divertissements (18e-19siècles)

La colonisation de la nuit en milieu urbain; histoire de la nuit montréalaise au 19e siècle, par Gabriel Senneville (Sciences humaines, UQTR) 

Cette communication présentera l’état de mes recherches concernant l’histoire culturelle de la nuit montréalaise au XIXe siècle et spécialement sur l’appropriation culturelle de l’espace nocturne. Je tente de montrer en quoi l’arrivée d’un système d’éclairage artificiel dans les rues va engendrer de nouvelles formes de sociabilité ainsi que le prolongement des divertissements diurnes. La mise en place de ce système ainsi que d’une politique du guet et d’une police permanente favorisera une régulation sociale ainsi qu’un assainissement des moeurs de la population. L’augmentation du sentiment de sécurité lié à l’éclairage et à la police va permettre à une plus grande partie de la population montréalaise de prolonger leurs activités au-delà des heures de jour. À partir de l’étude des espaces publics tels que la rue, les parcs, les squares, les marchés, les tavernes et les théâtres, je vais analyser l’impact de la colonisation de la nuit sur ces lieux de sociabilité. Bref, il s'agira de mieux comprendre comment se mettent en place et se structurent des pratiques culturelles nocturnes dans une ville en voie de modernisation urbaine.

'Where Gentlemen and Ladies may depend upon good Entertainment' : débits de boisson, espace public et divertissement à la fin du 18e siècle au Québec, par Mathieu Perron (Sciences humaines, UQTR)

L’histoire de la sociabilité des débits de boisson et des établissements d’hébergement au Québec et en Amérique du Nord s’enracine profondément dans celle de l’hospitalité coutumière des cultures européennes. Cette narration reflète celle de la commercialisation croissante de ces sociétés au cours du 18e siècle. Elle concerne la monétarisation d’un service essentiel : l’offre du gîte et du couvert. Ainsi, elle rejoint à la fois l’hébergement improvisé «chez l’habitant», la commensalité privée (souper, fête, etc.) et publique (banquet, foire, cérémonie religieuse, etc.). Aussi, les divertissements que proposent les tenanciers positionnent socialement leur établissement. Les billards, présents dès le Régime français, sont nombreux dans les faubourgs de Québec, mais la mixité qu’ils mettent en scène soulève une certaine controverse au sein de l’élite. L’introduction de la taverns, du coffeehouse, du vauxhall («jardin de plaisirs») et des hôtels, conçus spécifiquement pour accueillir et divertir une clientèle issue des groupes mitoyens de la société, répond en partie à cette demande en délimitant un espace particulier dans le cadre urbain. Ainsi, dans ces établissements où morale et hiérarchie sociale sont préservées, les middles sorts peuvent se réunir, s’entraider, mener des affaires, discuter et se divertir. Bref, ils peuvent mieux se reconnaître. Dans ces lieux, hommes et femmes de bonne condition se côtoient librement sans crainte d’entacher leur réputation. Du moins se rencontrent-ils de manière ponctuelle et dans les taverns, à l’occasion d’événements organisés par les tenanciers ou leur épouse (assemblées dansantes, démonstrations scientifiques) ou dans des lieux précis et connus, pour se promener, pour prendre le thé et jouer aux cartes. En somme, cette communication se propose de tracer les frontières sociales et les modalités d’utilisation de ces différents espaces élitaires au Québec sous le Régime britannique.

Les messes à l'église paroissiale dans la vallée du Saint-Laurent : un moment propice aux rassemblements et aux débordements festifs (1760-1860), par Mikaël Dumont (Sciences humaines, UQTR)

L'historienne Marie-Aimée Cliche* rapporte que, déjà sous le Régime français, les habitants de la vallée du Saint-Laurent ont l'habitude de festoyer le jour où ils assistent à des messes célébrées à l'église paroissiale. Que ce soit à l'occasion des fêtes patronales ou de dévotion, de la veille de Noël, de la semaine sainte ou du jour du Seigneur, de nombreuses messes sont célébrées pour souligner ces évènements d'importance dans la religion catholique. Le jour où se déroulent ces messes, des assemblées ou des foires organisées autour de l'église, rassemblent non seulement les habitants de la paroisse, mais aussi ceux des paroisses voisines. Les propriétaires des cabarets et des auberges récoltent les fruits de ce grand achalandage, car les paroissiens boivent quelquefois en grande quantité. Lorsqu'ils consomment autant, plusieurs habitants s'enivrent rapidement et certains esprits s'échauffent et s'enflamment sous l'effet de l'alcool. Des querelles se forment au fil des discussions qui mènent parfois à des échauffourées. Ces débordements festifs, contraires aux valeurs de l'Église, se poursuivent pendant plusieurs décennies après la Conquête. Tout au long du 18e siècle, le clergé tente de les contrôler et de les empêcher, mais leur discours auprès de la population n'est guère couronné de succès. Vers la fin du siècle, ils décident alors de passer de la parole aux actes. Par exemple, l'évêque de Québec décide d'abolir plusieurs fêtes patronales dans certaines paroisses à la suite de la demande des curés. En réponse, les habitants offrent souvent une forte opposition en faisant signer des requêtes. L'objectif de cette communication sera d'observer l'évolution des comportements festifs des Canadiens lors des journées où des messes ont lieu à l'église et les causes de cette évolution. Pour ce faire, une attention particulière sera portée sur les raisons qui justifient la consommation de boisson des habitants ainsi que sur les effets et les conséquences de l'enivrement.

* Les pratiques de dévotion en Nouvelle-France. Comportements populaires et encadrement ecclésial dans le gouvernement de Québec, Québec, Presses de l'Université Laval, 1988, p. 23-25.

Séance 2: Aux sources de la danse pratiquée (18e-20siècles)

Le Livre de contredanses avec les figures du manuscrit de Trois-Rivières. Démarche de reconstitution, par Anne-Marie Gardette (Danse Cadence)

Le Livre de contredanses avec les figures est considéré omme le plus ancien recueil de danse connu au pays. Le petit manuscrit trouvé aux Archives du Séminaire de Trois-Rivières dans la collection Montarville Boucher De La Bruère, comporte 61 contredanses dont 27 sont décrites sommairement. Comment, à partir des notes manuscrites de ce petit cahier, a-t-il été possible de reconstituer les danses et leurs musiques d'accompagnement? C'est épaulée par Pierre Chartrand, danseur, câlleur et historien de la danse, et par Gilles Plante, musicien et directeur de l'ensemble Claude-Gervaise, que j'ai entrepris la reconstitution de ces danses. De plus, un petit groupe de danseurs a permis d'expérimenter directement les reconstitutions. Nous avons pu finalement remonter les 27 danses décrites ainsi que leur musique. D'après les descriptions, toutes les danses de ce recueil sont des contredanses dites «françaises», c'est-à-dire en formation de 4 couples en carré et quelques-unes d'entre elles ont des correspondances dans des publications françaises de la même époque. C'est ce type de danse qui domine sans conteste dans les feuillets et recueils de contredanses fort populaires dans la seconde moitié du 18e siècle en France. Nous présenterons ce fameux manuscrit, ce en quoi il consiste et d'où il vient. Nous ferons un résumé des recherches entreprises et des défis rencontrés. Nous expliquerons le déroulement de la démarche pour la reconstruction des danses. Une présentation vidéo de quelques-unes des danses du manuscrit viendra illustrer notre propos en faisant revivre les pas, les figures chorégraphiques et la musique de ces danses oubliées depuis plus de 200 ans.

La danse récréative à travers la littérature canadienne-française au 19e siècle: contextes, pratiques, performances, par Peggy Roquigny (Sciences humaines, UQTR et Histoire, UQAM)

La représentation de la pratique de la danse récréative au Canada-français renvoie spontanément à l’image du violon qui mène une assemblée de danseurs dans un cadre festif. Dans une société où le discours religieux catholique malmène plus souvent qu’autrement la pratique la danse, tout un pan de la littérature de fiction s’est souvent fait un devoir d’interrompre les soirées dansantes insérées dans les récits en faisant intervenir le diable sous une forme ou une autre, comme l’a si bien démontré Jean Du Berger. Mais au delà de ce rapport à la moralité, quels sont les autres éléments de la représentation de l’activité dansante dans la littérature canadienne-française du 19e siècle? Quels sont les contextes, les pratiques, les performances qui ressortent de ces textes? Certes, la fiction ne peut être considérée comme un témoignage pur et simple de la réalité; mais, écrite pour un public canadien-français, elle renvoie à des situations, des pratiques, des discours ou des valeurs qui lui sont familières. À partir d’un corpus limité, nous nous proposons de considérer l’apport de la littérature à la compréhension de l’histoire de la danse récréative au Canada, non seulement en ce qui concerne la formation, déjà en partie explorée, mais aussi en ce qui concerne la pratique et la performance.

La danse traditionnelle: entre collecte ethnographique, manuscrit ancien et tradition orale, par Pierre Chartrand (Mnémo)

La collecte ethnographique auprès de porteurs de traditions nous a donné, et nous donne encore, d'inestimables renseignements sur la danse traditionnelle pratiquée il y a quelques décennies au Québec. Plusieurs zones d'ombres subsistent cependant et c'est alors que les documents historiques viennent en aide à l'ethno-choréologue. Le trajet inverse est également fréquent: l'historien de la danse se trouve face à des descriptions lacunaires qu'il parviendra souvent à éclaircir grâce aux collectes ethnographiques plus ou moins récentes. Cela est d'autant plus vrai qu'il est fréquent que le document ethnographique ancien (datant de quelques décennies), devienne lentement document historique, l'ethnologue devenant ainsi créateur de document historique, fondant avec les historiens la pratique de l'ethnohistoire. Nous aborderons la question générale de la transmission du mouvement dansé via ces divers types de documents (écrits littéraires, vidéos, notations chorégraphiques, enregistrements audio), ainsi que la question de la transmission orale, encore prédominante pour certains types de danse traditionnelle (la gigue par exemple). Quelques cas types serviront à illustrer notre propos. Par exemple le Moneymusk dont la mélodie est toujours pratiquée, mais qui n'est plus associée à une danse particulière, bien que le Québec soit dépositaire d'une des plus vieilles descriptions chorégraphiques de cette danse (Hôpital général de Montréal, fin 18e siècle). Ou encore le cas du Quadrille de Chéticamp (Cap-Breton, Nouvelle-Écosse), qui provient essentiellement du Dick's quadrille caller book (Nouvelle-Angleterre) vendu par catalogue Eaton au tournant du siècle dernier. Finalement, nous abrderons le cas de la gigue, qui s'est transmise presque uniquement par tradition orale jusqu'à nos jours, la vidéo n'ayant pris le relais que fort tardivement, de même que les pièges ou défis que nous pose l'interprétation des documents anciens en ce qui regarde la danse, de même que ceux présentés par les collectes ethnographiques.

Séance 3: Pratiques, publics, spectacles (19e-20e siècles)

L’expérience du spectateur perçue à travers le prisme du patrimoine imprimé québécois: images, rhétorique, contextes, par Danielle Léger (Bibliothèque et Archives nationales du Québec)

Au fil de son travail quotidien de bibliothécaire responsable de collections, Danielle Léger a repéré diverses manifestations du spectateur qui émaillent  les collections patrimoniales conservées et diffusées par Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Images témoins, annotations griffonnées dans des programmes de soirée, messages publicitaires destinés au public, parcours inusité d’exemplaires singuliers: autant de traces, autant de phénomènes qui nous parlent, directement ou en oblique, du spectateur et de son expérience du spectacle. Les artefacts examinés ici sont liés à des évènements tenus au Québec aux 19e et 20e siècles. Des spectacles forains à l’opéra, sans oublier les compétitions sportives et les défilés, ces traces couvrent un large spectre. Elles seront analysées selon quatre paramètres, soit: 1) les représentations du spectateur diffusées par la carte postale, la photographie et la presse illustrée; 2) la rhétorique publicitaire déployée pour interpeller le public et mousser son désir d’assister au spectacle, principalement dans les affiches et les périodiques; 3) l’expérience du spectateur pendant et autour du spectacle, et la fonction souvenir du programme imprimé; 4) le contexte de réception des spectacles selon les lieux (salles de divers types, spectacles de rue) et les saisons (saisons culturelles, programmation d’été, divertissements hivernaux). En conclusion, madame Léger commentera le recours à ce type d’artefacts dans le développement d’un parcours web sur le théâtre à Montréal entre 1825 et 1930 mené en collaboration avec le Laboratoire d’histoire et de patrimoine de l’UQAM.

Entre le club privé, le spectacle sportif et la pratique individuelle: les premiers tours de roue d'une industrie naissante, par Ivan Carel (Sciences humaines, UQTR)

Né en 1865 quelque peu fortuitement d'un ajout de pédales sur la roue avant d'une draisienne, le vélocipède de l'artisan parisien Michaux allait provoquer des changements importants dans le monde des sports, des loisirs, et du divertissement. Très tôt dans les principales villes occidentales des groupes se forment, constitués d'une élite rompue aux techniques quasi-militaires des sorties en bataillons, couleurs hautement portées, à la hiérarchie bien définie et respectée; et strictement masculins, cela va de soi. Cependant, subrepticement, des écoles naissent dès la fin de la décennie pour apprendre à maîtriser ce cheval d'acier qui rue allègrement sur les pistes ensablées, au grand plaisir des badauds prêts à payer quelques sous pour cet étonnant spectacle qui en vaut bien d'autres plus scénarisés. Dans le cadre de cette communication, je présenterai ce moment transitoire ou, au Québec, et notamment à Montréal, en seulement vingt ans, la pratique du vélocipède est passée d'une activité hautement contrôlée par une élite qui en imposait ses codes, à une activité populaire, sportive, accessible, où le divertissement public et l'attrait de la performance prennent le pas sur l'activité de club social fermé. Illustration d'une transition par ailleurs de mieux en mieux connue dans l'historiographie relative au loisir de masse, cette communication prendra ses sources non seulement dans les premiers clubs cyclistes et l'élargissement de leur clientèle, mais en s'appuyant aussi sur les activités populaires qui émergent au tournant des années 1870: écoles de pratique ouvertes aux spectateurs, courses et joutes diverses s'appuyant sur la tradition équestre ou non, et mise en place d'une véritable industrie de la vente de matériel destiné notamment aux premiers cyclotouristes.

Sport et culture de masse à Montréal à la fin du 19e siècle, par Laurent Turcot (Chaire de recherche du Canada en histoire des loisirs et des divertissements, Sciences humaines, UQTR)

Les États-Unis ne sont pas les seuls à définir de nouvelles pratiques sportives. Montréal, au Canada, devient sans aucun doute le berceau de nombres de sports collectifs, notamment ceux pratiqués en hiver. Si plusieurs sports sont originaires de Scandinavie, comme le ski, la forte immigration norvégienne au cours du siècle va amener de l’autre côté de l’Atlantique des immigrants, comme les frères Hemmestveit qui déménagent aux États-Unis, qui diffusent leur savoir-faire et leur passion pour ces sports. À Montréal, la culture sportive se développe aussi vite qu’aux États-Unis. Dès 1841, la communauté anglophone se dote d’un Montreal Olympic Athletic Club, qui suscite la création de clubs de curling. Le Victoria Skating Rink (1862), une des premières patinoires intérieures permet de transformer l’hiver en un moment de sociabilité, on y accueille aussi bien les patineurs du dimanche que des bals masqués ou encore des matchs de hockey. L’Olympic Club, créé en 1842, encadre la tenue de jeux dits «olympiques» en 1844, la volonté de faire renaître les jeux antiques occupe de plus en plus les esprits des sportifs. Le hockey, sport national canadien, se développe rapidement. De grands espaces sont mis à la disposition du public comme l’aréna Westmount (1898) avec ses 5000 fauteuils et les entrées payantes. La professionnalisation devient aussi possible avec les ligues qui regroupent des équipes et suscitent la compétition. Dans ce milieu de l’organisation professionnelle du divertissement, du loisir et du sport, les anglophones dominent, mais le club marquant demeure le Canadien de Montréal équipe professionnelle francophone fondée en 1909. L’Amérique donne ainsi le ton à la manière de gérer, d’organiser et de structurer des ligues professionnelles qui se définissent par l’accessibilité au plus grand nombre, tant pour les sportifs que pour les spectateurs, le tout étant basé sur la notion de capitaliser et d’étendre le marché sans cesse. Tout est en place pour en faire un outil de sport-spectacle, ce que le 20e siècle ne manque de faire. Il importe, dans cette communication, de place Montréal comme épicentre des sports collectifs au cours de la seconde moitié du 19e siècle.

Séance 4: Être femme et artiste professionnelle au tournant fin 19e-début 20e siècle

Le passage entre la pratique et la performance: le cas Emma Lajeunesse dit Albani, par Louise Drapeau (Conseil des Montagnais de Natashquan)

Dans un contexte élitiste de sociabilité genrée, il est prévu que la jeune fille de bonne famille canadienne française du 19e siècle apprenne le piano et le chant. Ces habiletés servaient généralement à sa distinction. Cependant, les occasions d’entendre la jeune fille s’exécuter étaient plutôt restreintes. La préservation des bonnes mœurs interdisait d’associer toute forme de travail et de rémunération à la pratique musicale féminine. Une formation poussée, de haut niveau et dispensée hors Québec a contribué à élaborer un changement de posture en la matière: le  cas d'Emma Lajeunesse dit Albani.

Quatre grandes danseuses de la belle époque à Montréal (1908-1922), par Marie Beaulieu (Danse, UQAM et CRILCQ) 

Le début du 20e siècle s’inscrit dans le parcours de l’histoire de la danse comme une période de grande effervescence. L’Europe et les États Unis deviennent en même temps des foyers d'expérimentations susceptibles de questionner la fonction de la danse et le lieu où l'on sonde de nouvelles formes possibles. Des artistes intéressés au mouvement, en grande partie des femmes, inspirent le courant de l’Art Nouveau, moment charnière dans l’évolution artistique à la Belle Époque. Plusieurs danseuses emblématiques vont alors transiter à Montréal. Au début du siècle dernier, elle est la métropole économique du Canada et porte d’entrée privilégiée des tournées et spectacles sur le continent américain. Les différents publics y sont friands de nouveauté et de divertissement, si on en croit la couverture assidue qu’en font les quotidiens montréalais et les rapports d’assistance aux spectacles des critiques. Ainsi, il apparait intéressant de circonscrire la manière dont les journaux présentent les productions des grandes vedettes féminines de l’heure, composent avec les éléments plus sensibles de la pudeur et de la bienséance pour attirer le public, et comment ce même public réagit à la présentation d’esthétiques nouvelles et quelques fois déroutantes. À travers la couverture journalistique consentie à Loïe Fuller (1908), Ruth St-Denis (1914), Maud Allan (1916) et Anna Pavlova (1921-1922), nous verrons comment la danse artistique professionnelle du début du siècle dernier s’insère dans les moeurs et touche les coeurs des montréalais.

Gorgeous Girlies in Glittering Gyrations: Exotic Dance and Interwar Jazz, par Vanessa Blais-Tremblay (École de musique Schulich, Université McGill)

This paper considers the aesthetic relationship between exotic dance and interwar jazz. I draw on a previously unexplored collection of interviews with black women performers who participated in the so-called “golden age” of Montreal jazz (1925-1955). Given Montreal’s status as a “showtown,” the city is a particularly rich focal point for examining the constitutive relationship between exotic dance and interwar jazz. Specifically, these oral histories force a critical revision of the assumption that entertainers based their routines on a fixed and independent soundtrack provided by a jazz ensemble. In doing so, they shed light on the dynamic collaborative process that led to each live performance. The narratives articulated in these oral histories also allow us to move beyond questions of representation in scholarship on exotic dance to consider issues of subjecthood and agency. My presentation extends historical assessments of exotic jazz dancers by discussing two counter-mythologies that emerge from these women’s testimonies: 1) their deep affective attachment to their creative labor, an immensely important historical signpost of what bell hooks has called “re-thinking the nature of work” for black working-class women; and 2) a sophisticated critique of the gendered and classist constraints of black respectability discourse, where upward mobility could only come at the expense of the erotic potential of their bodies. The harnessing of erotic power to access work that provided both a way out of poverty and a temporary escape from societal subservience should be understood as a critical black feminist strategy.

 

Vendredi 25 novembre

Séance 5: Réseaux artistiques et rapports aux publics et aux divertis pendant l’entre-deux-guerres

Montréal 1930: dîner, discuter et se divertir au cœur du Quartier latin, par Lucie Robert (Études littéraires, UQAM et CRILCQ) et Joséane Beaulieu-April (Études littéraires, UQAM)

La présente proposition s’inscrit dans un programme de recherche dont l’objectif est de cartographier l’espace culturel montréalais du début du 20e siècle. Une telle démarche vise à la fois à étudier la façon dont l’activité artistique s’inscrit dans l’espace urbain, qui en détermine en la socialité, et à dessiner l’aire géographique des interactions possibles entre les divers arts et pratiques culturelles. Nous formulons ainsi l’hypothèse que la ville est le moteur de la culture plutôt qu’un réceptacle accidentel. À l’occasion du présent colloque, nous nous intéresserons à un édifice situé rue Saint-Denis à Montréal, à la jonction du quartier commercial et du Quartier latin, et qui abrita, circa 1925-1935, le restaurant Kerhulu et Odiau et, à l’étage, des cafés-théâtres comme le Matou botté et le Café Mon Paris. S’y retrouvent les notables francophones, les artistes du théâtre français, les étudiants et les touristes américains ainsi que les membres d’associations et organismes qui y tiennent (ou y terminent!) leurs réunions (l’École littéraire de Montréal, la Société historique de Montréal et le comité de rédaction de La Relève, entre autres). Ces rencontres débouchent sur des activités de loisirs, certes, mais aussi sur des spectacles qui présentent un caractère interdisciplinaire et réunissent les artistes des divers milieux ainsi intégrés, soit dans une programmation régulière de spectacles de variétés (sketch, folklore, musique), soit lors d’événements, tels le Dîner en musique (1935) de Victor Morin ou les Fêtes mondaines (1936), organisées par Berthe Dulude Simpson.L’édifice est ainsi le point de départ d’une réflexion qui se fonde d’abord sur la théorie des réseaux, puisqu’il s’agit de caractériser l’activité culturelle qui s’y déploie à chaque étage, mais en formulant l’hypothèse que les étages sont loin d’être étanches les uns aux autres et que la proximité géographique permet les rencontres et les interactions qui, à rebours, favorisent l’émergence d’un ethos, une posture, que les artistes et artisans transfèrent à leurs œuvres.

Quand la radio investit la presse: discours culturel et écriture médiatique dans quelques chroniques de Jean Despréz, par Adrien Rannaud (Lettres et communication, Université de Sherbrooke)

Portés par un développement massif des industries culturelles initié dès le début du 20e siècle, nombre de journalistes, de comédiens et d’écrivains multiplient les pratiques d’écritures et les tribunes afin de commenter et d’animer la vie culturelle, en pleine ébullition au tournant des années 1940. Un vaste système communicationnel se met en place par le biais de la presse (notamment les quotidiens, les revues mensuelles et les magazines) et de la radio, ce qui accélère la circulation et les transformations du discours sur la culture et s’inscrit dans une double tentative d’informer et de divertir le public. Au cœur de ce phénomène, la trajectoire de Jean Despréz (pseudonyme de Laurette Larocque Auger) illustre l’effervescence et les effets de résonance de ce système. C’est à partir des textes journalistiques de Despréz que ma communication entend réfléchir sur la vie culturelle canadienne-française et la notion de divertissement durant les premières années de la décennie 1940. Je m’appuierai sur deux chroniques tenues régulièrement par la journaliste et femme de théâtre: les «Lettres à Suzy», dans Radiomonde, et «Le courrier radiophonique» dans Le mois de Jovette.  Dans la foulée des travaux menés sur l’histoire de la culture de grande consommation et la classe moyenne, j’aborderai ces textes comme les prismes de réflexion sur la radio et la scène tels qu’ils sont offerts par Despréz dans le médium journalistique.

Trajectoires orchestrales et offre de divertissement radiophonique à Montréal de 1929 à 1939», par Sandria P. Bouliane (Musique, UQAM et CRILCQ)

Les orchestres états-uniens ont été nombreux à poser le pied à Montréal pendant la période de l’entre-deux-guerres. Parmi ceux qui ont traversé la frontière, certains étaient dirigés ou mettaient en vedette des musiciens renommés tels que Paul Whiteman, Rudy Vallée et Duke Ellington. Leur passage en ville, à la radio et en salle était une occasion de divertissement unique à laquelle le public pouvait se joindre comme spectateur, danseur ou auditeur.

À partir d’un corpus de formations orchestrales classiques et jazz sélectionnées pour avoir fait une prestation radiophonique en direct depuis Montréal, cette présentation vise à analyser et à comparer l’impact de leur performance. En considérant les orchestres comme des « objets en mouvements » (de Certeau), l’analyse prend en compte la trajectoire spatiale et temporelle des orchestres. Via les orchestres, nous verrons que les rencontres interculturelles, intermédiales ainsi que le croisement des langues viennent enrichir la vie culturelle montréalaise.

Séance 6: De la performance amateure au professionnalisme et vice versa

La Toile-mémoire de la danse au Québec: montrer des liens entre formation, pratique et contexte socio-économique, par Gabrielle Larocque (Regroupement québécois de la danse)

L’histoire culturelle du Québec englobe plusieurs disciplines artistiques qui produisent plus ou moins des témoins nécessaires à l’élaboration de leur histoire. Le médium vivant et intangible de la danse professionnelle de scène et de création pose un défi supplémentaire pour l’histoire. Le projet La toile-mémoire de la danse au Québec [1895-2000] développé par le Regroupement québécois de la danse, tente de retracer l’histoire de la discipline par ses composantes – ses individus, ses lieux d’enseignement, ses diffuseurs, ses compagnies - tout en cherchant à relever le défi lié au manque de témoins documentaires en faisant appel aux témoignages de la communauté toujours vivante. À partir de ce contenu, constitué de 315 fiches biographiques et iconographiques, certains constats peuvent être tirés. Par exemple, on observe une certaine transformation de la fonction des écoles associées aux compagnies qui procureront une formation de base aux professionnels jusqu’à l’éclosion des programmes reconnus par les instances gouvernementales dans les années 1980: dès lors, les cours offerts par les compagnies prennent la forme de stages de perfectionnement auxquels les professionnels accordent une place dans le développement de leur pratique. Également, l’offre de cours semble depuis toujours contribuer à la viabilité économique des compagnies grâce aux revenus qu’elle génère tant pour la compagnie que pour le danseur-enseignant. Le lien entre formation et pratique permet de tirer un autre constat, celui du rôle essentiel de la création chorégraphique en contexte pédagogique: interprètes comme chorégraphes affirment l’importance de ces créations dans le développement de leur pratique. Pratique, formation et contexte socioéconomique semblent donc étroitement liés.

Danser Joe, atelier hors-normes, par Lise Gagnon (Fondation Jean-Pierre Perreault)

La Fondation Jean-Pierre Perreaut occupe une place unique dans la réflexion et les actions collectives qui portent sur la transmission des patrimoines chorégraphiques contemporains québécois tant auprès du grand public que des professionnels de la danse. Danser Joe est un atelier de formation qui permet à des non-danseurs de se familiariser avec Joe, une œuvre phare du répertoire chorégraphique québécois créée par Jean-Pierre Perreault. Danser Joe sensibilise des amateurs ou non-danseurs au répertoire de la danse contemporaine mais, surtout, elle leur fait vivre autrement la danse. Ainsi, l’atelier redonne vie à Joe, et elle le fait à travers le corps des non-danseurs qui vont apprendre et danser des extraits de la pièce en revêtant les costumes emblématiques des interprètes professionnels (imperméable, chapeau et bottines). Cet atelier unique marque un virage important dans le mode de transmission d’une œuvre de répertoire où il s’agit de transmettre l’univers d’un chorégraphe à travers le corps même des participants. Les témoignages des participants à l’atelier sont souvent très touchants, plusieurs étant grandis ou bouleversés par l’expérience. La communication permettra de réfléchir tant à ce qui se joue chez les formatrices – qui ont dansé professionnellement la pièce – que chez les participants à l’atelier. Comment transmettre une œuvre de répertoire à des amateurs? Qu’est-ce qui est en jeu? Les mouvements? L’intention du chorégraphe? Le sens de l’oeuvre? Comment les participants vivent-ils cet atelier de formation? Est-ce que l’expérience change leur compréhension et perception de la danse? Est-ce que cela les invite à poursuivre l’expérience? Voilà les questions qui nous animent.

L'effet tango: danser en tandem pour mieux vivre, par France Joyal (Philosophie et Arts, UQTR)

Cette communication s'inscrit de prime abord au chapitre des pratiques; toutefois, elle permet de faire des liens avec le volet de la formation qui apparait ici comme une extension du divertissement. En 2009, l'UNESCO reconnaissait le tango comme élément du patrimoine immatériel de l'humanité. Parce qu'il rassemble la musique, la poésie et la danse, le phénomène tango touche un nombre sans cesse croissant d'adeptes à travers le monde. Au tournant du 20 siècle, le tango était dansé tant en Grèce, qu'en France, en Finlande ou autour du Rio de la Plata, fleuve qui sépare l'Argentine de l'Uruguay. Ce sont ces deux derniers pays qui lui ont donné les accents que l'on reconnaît aujourd'hui au tango dit "argentin": ses formes, ses codes et ses couleurs diffèrent totalement de ceux du tango traditionnel. Sa souplesse, sa chaleur et sa fluidité lui confèrent un caractère unique qui séduit, interpelle et ensorcelle. Très éloignée des attitudes stéréotypées du tango de scène, la pratique amateure du tango argentin s'est répandue autour du globe comme une trainée de poudre depuis les années 1980. Pratiquée au Canada comme partout ailleurs le tango amateur est tributaire de la communication établie au sein du tandem, mais plus encore de ce qui prend naissance dans l'intérité ou "inbetweenness", cet entre-nous qui permet à chacun de mieux se définir. De sa fonction de divertissement, le tango acquiert peu à peu un statut d'outil thérapeutique, voire même d'outil pédagogique, comme le montrent diverses études réalisées ces dernières années. Cette communication permettra de tracer un portrait du phénomène tango et d'en voir quelques  extensions

Séance 7: Pratiques modernes et loisirs traditionnels 

D'une modernité à l'autre. Survol réflexif de l'historiographie de la culture et des arts populaires au Québec, par Pierre Lavoie (Histoire, Université de Montréal)

Depuis la fin des années 1940, l'historiographie du Québec a été l'objet de débats riches, et parfois virulents, sur la façon d'interpréter les événements clés de l'histoire nationale (S. Parent, 2013). Des traditionnalistes aux modernistes – ou «révisionnistes» (R. Rudin, 1997) – en passant par les tenants d'une « nouvelle sensibilité historique », il semble que ces groupes se différencient principalement par les rapports qu'ils entretiennent avec la notion de modernité, et que la dualité tradition-modernité, liée symboliquement à la Révolution tranquille, soit constitutive des différents récits de la nation. Ce récit historique de la rupture, attaché dans l'espace et dans le temps à l’identité et au projet national québécois, aurait longtemps déterminé les limites du pensable (J. Létourneau, 1989) en histoire des arts et de la culture. Il aurait aussi permis la transmission d’amalgames conceptuels – ex. : entre modernisation et américanisation –  et de présupposés esthétiques eux-mêmes portés par la notion de modernité. Or, les histoires de la culture et des arts ont elles aussi un impact significatif sur la mise en récit de l’histoire nationale, au point de faire de certains artistes des pères fondateurs de la nation. Je proposerai, dans le cadre de cette communication, de réfléchir à l’influence réciproque de l’histoire nationale et de l’histoire de la culture et des arts populaires à partir de ce dénominateur commun de la dualité tradition-modernité. Pour y arriver, je présenterai une revue partielle des études historiques portant sur la chanson, le cinéma, le théâtre et la télévision témoignant des avancées récentes en histoire de la culture et des arts au niveau de la périodisation et de l’espace étudié. Ces avancées précèdent et permettent les ouvertures méthodologiques et conceptuelles qui s’offrent maintenant aux chercheurs – transferts culturels, gender studies, etc. J’avancerai pour ma part que les problématiques liées à la hiérarchisation artistique et culturelle (M. Thériault, 2015) s’avèrent encore l’une des avenues d’étude les plus fertiles pour l’historien. 

Les festivités de la Mi-Carême: un divertissement populaire réinventé, par Martine Roberge (Scienes historiques, Université Laval et CRILCQ)

D’origine française et médiévale, la Mi-Carême est fêtée avec quelques variantes dans toutes les régions de la province de Québec, particulièrement en Beauce, au Saguenay, en Charlevoix, sur la Côte-Nord, en Gaspésie et dans le Bas Saint-Laurent ainsi qu’en Acadie. Contrairement au carnaval auquel on l’associe et qui connaît des versions urbaines flamboyantes, la tradition de la Mi-Carême se vit davantage dans des petites communautés rurales. Bien qu’ayant trouvé son apogée dans le premier quart du 20e siècle, «casser son carême» par des réjouissances collectives ne s’avère plus nécessaire depuis le déclin de la pratique religieuse et l’assouplissement de cette période de privations à partir des années 1950. De nos jours, cette tradition est à peu près disparue, mais certaines formes de Mi-Carême actualisées ont survécu dans trois localités du Québec: à Fatima aux Iles-de-la-Madeleine, à Natashquan sur la Côte-Nord et à l’Isle-aux-Grues sur la Côte-Sud près de Montmagny. La situation géographique particulière, les voies d’accès à ces villages et leur isolement pendant la période hivernale peuvent-ils être des facteurs qui ont favorisé la conservation et la transmission d’une tradition festive comme celle de la Mi-Carême? Au demeurant, comment qualifier ce divertissement populaire s’il n’est plus lié à son sens premier et sa fonction de répit dans une période austère? Au regard des définitions habituelles de la fête, qu’ont de particulier les festivités de la Mi-Carême? Peut-on encore parler de fête traditionnelle au sens de fête-essence dans le contexte contemporain où elle se déroule?

Prétextes événementiels et sociabilités festives: une ethnographie des soirées thématiques à Québec, par Catherine Arseneault (Sciences historiques, Université Laval et CRILCQ)

Il est régulièrement avancé que l’on assiste dans nos sociétés à une multiplication des fêtes ainsi qu’à une diversification de ces formes d’expression. Ce mouvement de renouveau toucherait toutes les catégories de fêtes: des fêtes calendaires et populaires aux fêtes commerciales ou intimes. De plus, on documente le fait que les fêtes et festivals tendent à se confondre aujourd’hui dans la catégorie très polymorphe des activités de loisirs. Notre projet de thèse porte sur la dilution des fêtes au sein des loisirs, mais plus spécifiquement sur les soirées festives issues de la sphère privée, désignées par l'appellation de soirées thématiques. En accolant des thèmes issus de la culture populaire comme prétexte à leurs soirées, les amateurs cherchent à y infuser intensité, originalité et ambiance. Quel sens donner à ce jeu de thématisation? Est-il similaire au processus de personnalisation que connaissent les rites actuels? Basée sur les résultats d'une enquête de terrain ethnologique réalisée auprès de divers participants à des soirées thématiques de la ville de Québec (2010-2015), cette communication exposera les rapports qu’entretiennent les amateurs de soirées thématiques aux modèles proposés par l’industrie évènementielle. Dans quels contextes ces performances festives sont-elles pratiquées? Comment sont-elles perçues et représentées par les acteurs notamment en fonction de leurs loisirs avoisinants? Ce sera l'occasion pour l'ethnologue de réfléchir à la relation étroite qui existe entre les fête et divertissement, loisirs et événement, fête et évènementisation.

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