La vente des petits pains des pensionnaires

 

Résumé :

Comment un couvent était transformé en boulangerie pendant deux jours par année ?

Référence :

Souvenirs personnels

Auteure :

Micheline Champoux

 

Depuis plusieurs années, chaque Vendredi-Saint, on voit des équipes de bénévoles, autant enfants qu'adultes,
offrir de maison en maison, le pain du Partage. Cette coutume m'en rappelle une autre ; la vente annuelle de
petits pains par les étudiantes de l'Institut familial de Plessisville.

C'était dans les années 1960. Chaque année, pendant la semaine sainte, les cours étaient suspendus pendant
deux jours pour permettre la fabrication de quelques milliers de petits pains. Nous étions environ 120 étudiantes,
pensionnaires ou externes. Pour toutes, c'était une fête.

La répartition des tâches et les horaires de travail étaient planifiés à l'avance ; pendant deux jours, le couvent
se transformait en boulangerie. Il y avait deux grandes salles où se donnaient les cours d'art culinaire. Dans chacune
de ces salles, 6 ou 7 équipes de deux étudiantes préparaient la pâte en mêlant le lait, la graisse, la farine, le sel et
la levure.

Puis, les bols remplis de pâte étaient transportés dans une pièce très chaude afin que la pâte soit légère et bien
levée. Dès que les premières miches atteignaient le double de leur volume initial, c'était à qui donnerait le coup de
poing dans la miche afin d'enlever le surplus d'air. Vite, la grosse miche était séparée en deux et l'opération de
pétrissage commençait.

Tourner, plier, pousser… C'étaient les trois mouvements-clés qui assuraient une belle pâte légère. Il n'était pas rare
d'entendre une douzaine de voix répétant en chœur et en cadence ces trois mots pendant qu'avec autant de rythme
on manipulait la pâte. Inévitablement, les blagues commençaient, les rires aussi. Pétrir du pain, c'est fatigant, mais
quelle occasion de plaisir !

Lorsque la pâte était bien pétrie, il fallait la découper en petits morceaux. Puis, avec un peu d'entraînement, on arrivait
à façonner en quelques secondes une boule parfaitement lisse en la tournant très vite dans nos mains placées en creux.

Les petites boules étaient placées sur de grandes plaques. Lorsqu'elles avaient doublé de volume, il fallait les mettre
au four. En plus des fours des salles d'art culinaire, on utilisait les grands fours des cuisines centrales. Ces
cuisines, sortes de sanctuaires inaccessibles aux étudiantes, ne nous étaient ouvertes qu'à cette seule occasion. Et
encore, seules les plus vieilles y avaient accès.

La fabrication du pain se poursuivait toute la nuit. Cette nuit-là, personne ne dormait plus de deux ou trois heures.
Qu'importe ! C'était un peu vivre une folle aventure que de se lever à deux heures de la nuit pour pétrir ou surveiller
une cuisson. Dans quelques cas, c'était même le début de nouvelles amitiés, car on travaillait avec des filles que nous
ne connaissions pas beaucoup.

Dès sept heures, le lendemain matin, des équipes s'affairaient à mettre le pain dans les boîtes. Vers neuf heures, les
premières équipes de vente partaient avec plusieurs boîtes de petits pains. La production cessait au milieu de l'avant-midi,
mais la vente se terminait rarement avant la fin de l'après-midi.

Le dimanche précédent, les curés des deux paroisses avaient annoncé l'événement à chaque messe. Dans chaque
classe de la ville, les enfants avaient apporté leur 25 ou leur 50 cents et, quelquefois, leur morceau de beurre. Dans
presque chaque maison, les gens attendaient avec plaisir la venue « des filles du couvent ».

Lorsque nous étions pensionnaires, il était permis de sortir seulement pour aller chez le médecin ou chez le dentiste.
Aussi, parcourir les rues de la ville au printemps constituait une très grande sortie. Nous avions l'impression de respirer
un air de liberté.

Les bénéfices de la vente de pain allaient aux bonnes œuvres. Pour nous, adolescentes de 14 à 19 ans, ces deux
journées étaient des occasions de plaisir et de joies. Nous étions aussi heureuses qu'épuisées. Tout compte fait,
« travailler aux bonnes œuvres » en faisant des petits pains ne constituait pas vraiment un sacrifice.

 

 

 

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