La pêche et la conservation de l'anguille

 

Résumé :

Les premiers habitants de la colonie pêchaient l'anguille sur le bord du Saint-Laurent. Ils avaient des techniques pour
la conserver tout l'hiver.

Référence :

MARTIN, Roger, L'anguille, Montréal, Éditions Léméac, 1980.

Auteure :

Micheline Champoux

 

As-tu déjà mangé de l'anguille ? À cette question, ta réponse serait probablement la même que celle de la plupart
des gens : non ! Quelques-uns ajouteraient même, avec une moue dédaigneuse : « De l'anguille ! Cela ce mange ?
Beuerk ! Cela à l'air répugnant ! » Pourtant, de nombreux gourmets, autant au Québec qu'en Europe et au Japon, font
leurs délices des anguilles pêchées dans le fleuve Saint-Laurent.

Les Européens pratiquent la pêche aux anguilles depuis des siècles. On sait qu'au 17e siècle, les Amérindiens
faisaient, chaque automne, leur provision d'anguilles pour l'hiver. Ils capturaient les anguilles avec des nasses, sorte
de panier ou de coffre qui pouvaient contenir de 500 à 600 anguilles.

Les Amérindiens plaçaient ces nasses sur la vase des rives. Pour guider les anguilles jusqu'aux paniers, ils dressaient
des petits murs de pierres qui se refermaient en V vers la nasse. Les Français, qui utilisaient des filets, avaient des
techniques tout aussi efficaces.

Il y a 300 ans, Pierre Boucher a écrit qu'à l'automne, la pêche d'anguilles « est si abondante que cela est incroyable à
ceux qui ne l'ont pas vue. (…) Un homme en a pris plus de cinquante milliers. Elles sont grosses et grandes et d'un
fort bon goût, meilleures qu'en France et de beaucoup. On en sale pour toute l'année. (…) Elles se conservent parfaitement,
elles font une excellente nourriture. »

Un autre auteur raconte qu'à la Rivière Ouelle, en 1870, « plus de cent mille anguilles ont été capturées en une
seule nuit à l'embouchure de la rivière. » Là, les grands vents d'automne poussent les anguilles dans les baies. On les
capturait à la marée baissante. Mais on pêchait aussi l'anguille à l'Île d'Orléans et sur les deux rives du fleuve.

Pour conserver les aliments à cette époque, pas de réfrigérateur, ni de congélateur. Les savants ne savaient pas encore
qu'on pouvait mettre des aliments en conserve. Il y avait trois moyens de conserver la viande et le poisson : le séchage,
le salage ou le fumage. Donc, pour conserver les anguilles, les pêcheurs mettaient beaucoup de sel dans un baril et
ils ajoutaient de l'eau pour faire une saumure.

Pour savoir si l'eau était assez salée pour conserver l'anguille, les pêcheurs envoyaient une pomme de terre dans le
baril ; lorsqu'elle flottait, cela signifiait que l'eau pouvait empêcher les poissons de pourrir. On conservait l'anguille dans
de la saumure jusqu'au moment de la vente.

Pour apprêter l'anguille salée avant l'expédition, les pêcheurs la lavaient dans de l'eau très chaude. Ensuite, ils
pressaient chaque anguille de manière à ce que deux caillots de sang sortent près des ouïes. Alors, l'anguille pouvait se
conserver sans danger. Pour vendre les anguilles, vers 1900, on les superposait dans des tonneaux : un rang d'anguilles,
un rang de sel.

Le tonneau rempli, on le scellait et on l'expédiait à l'acheteur par train. Une anguille apprêtée se vendait environ onze à
douze cents. Le carême était le meilleur temps pour les ventes, car à cette époque, il était défendu de manger de la
viande pendant les quarante jours que durait cette période de jeûne.

L'anguille pouvait se vendre séchée ou fumée. Avant de fumer l'anguille, on la faisait tremper dans de la saumure puis,
après l'avoir lavée, on lui ouvrait le ventre, on la vidait et on plaçait de petits bâtons de 5 cm afin que le ventre demeure
bien ouvert. On suspendait les anguilles au-dessus d'un haut baril et on allumait un petit feu dans le fond du baril.

Le feu était alimenté par du bran de scie de bois d'érable et par des cœurs d'épis de maïs, qu'on appelait « des cotons
de blé d'Inde sucré ». La fumée produite donnait un goût un peu sucré à la chair d'anguille. Après quelques jours
d'exposition à cette fumée, l'anguille pouvait se conserver longtemps.

Ces techniques de conservation de l'anguille ont permis aux premiers habitants de la colonie de ne pas mourir de faim
certains hivers où les provisions de céréales étaient épuisées. Ne serait-ce que pour cette raison, on peut dire que la
pêche à l'anguille représente une partie importante de la petite histoire du Québec.

 

 

 

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