Louis-Olivier Gamache, l'ami du diable

 

Résumé :

Première partie :

L'histoire de Louis-Olivier Gamache, un solitaire de l'Île d'Anticosti du 19e siècle, est devenue la légende d'un homme qui
avait le diable comme ami et défenseur.

Deuxième partie :

Quelques faits dans la vie de Gamache qui ont contribué à faire naître cette légende.

Référence :

GUAY, Mgr Charles, Lettres sur l'Île d'Anticosti, Montréal, Beauchemin, 1902.

POTVIN, Damase, Le Saint-Laurent et ses îles, Québec, Garneau, 1945.

Auteure :

Micheline Champoux

 

Première partie : la légende

Regarde bien la carte du Québec. À l'est, juste avant que le fleuve Saint-Laurent se transforme en golfe, il y a, au milieu,
l'Île d'Anticosti. Aujourd'hui, cette île est peu peuplée et couverte de forêts. C'est un paradis pour les chasseurs et les pêcheurs.

Cette île a aussi ses légendes. La plus célèbre est la légende de Louis-Olivier Gamache, moitié ogre, moitié loup-garou.
On disait de lui qu'il était protégé par le diable. Il faisait tellement peur que personne n'osait l'approcher.

On prétendait qu'il était l'ami intime du plus puissant des démons, et qu'une fois, à Rimouski, il avait donné un grand souper
où Satan était son invité. Une autre fois, il aurait crié au diable de lui donner du vent. L'instant d'après, la chaloupe était
partie, ses voiles gonflées par le vent, alors que la mer était lisse et que tous les autres bateaux ne bougeaient pas.

On racontait encore qu'il était un pirate protégé par le diable. Une fois, seul avec ses amis invisibles, les démons,
Gamache s'était emparé de toutes les marchandises d'un bateau. Il aurait alors été poursuivi par un bateau du Roi mais
« au moment où il allait être saisi, la goélette est disparue et il n'en est resté qu'une petite flamme bleue dansant sur les eaux. »

Ces exemples d'histoires ne sont qu'une partie des fables extraordinaires que tous les marins et les marchands de
Montréal se racontaient. On comprend donc facilement pourquoi les matelots avaient une peur affreuse de faire un jour
naufrage sur l'Île d'Anticosti.

Mais cette légende est en fait l'histoire un peu transformée d'un homme qui a réellement habité l'Île d'Anticosti de 1810
à 1854. C'est l'histoire d'un homme qui a été enterré dans la baie où il a vécu pendant 45 ans et qui porte aujourd'hui son
nom. L'histoire de Louis-Olivier Gamache est un peu longue mais elle est belle et plus intéressante que la légende. J'ai
donc plaisir à vous la raconter.

Deuxième partie : la vraie histoire

Louis-Olivier Gamache aimait la solitude, la chasse et la pêche. C'est pourquoi il avait choisi d'habiter l'Île d'Anticosti
en 1810. Si Gamache avait la réputation de parler avec le diable, il était en réalité un homme doux et bon qui riait des
moyens qu'il avait employés pour construire sa renommée.

Pourquoi Gamache voulait-il tant que les marins croient qu'il était capable de jeter les pires sorts aux personnes qu'il
rencontrait ? Parce qu'il n'avait pas de voisins et parce qu'à cette époque, des marins, qui jouaient aux pirates, s'amusaient
à piller les provisions et les marchandises que les trappeurs, sans défense, gardaient chez eux.

Gamache, en laissant croire qu'il était une sorte de diable, augmentait ses chances de ne pas être volé. Si on disait de
lui qu'il soupait avec le diable, c'est qu'un jour, il entra dans une auberge à Rimouski alors qu'il n'avait pas mangé de
la journée. Par plaisanterie, il demanda qu'on lui verse un souper pour deux personnes dans une chambre séparée.
L'hôtelière lui demanda : « Qui attendez-vous pour souper ?

Est-ce que cela vous regarde ? Vous serez bien payée, c'est assez. Retirez-vous et n'entrez point sans que je vous appelle. »
Gamache ferma soigneusement la porte et mangea seul le repas. Une fois le repas terminé, il appela l'hôtelière. Celle-ci
faillit perdre connaissance en voyant deux chaises autour de la table tout en croyant qu'un seul homme n'aurait pas pu
manger tout ce qu'elle avait servi.

Le lendemain matin, toute la région savait que Gamache avait passé la soirée avec le diable. Gamache riait en lui-même
et se disait « Eh bien, puisque vous êtes si bêtes, on va mettre une double charge à la peur. » Il demanda : « Madame,
ce soir, je veux encore un souper pour deux, entendez-vous ? » Le soir, à six heures, le souper était dans la chambre.

En entrant dans l'auberge, Gamache remarqua qu'un groupe de personnes s'était éloigné en le voyant. D'une voix forte,
il demanda à l'hôtelière :

-           « Est-il venu un monsieur habillé tout en noir ?

Pas vu, répondit celle-ci en tremblant.

N'importe, je vais l'attendre. Tenez ma porte fermée ! »

Les curieux surveillaient la porte en chuchotant. Tout à coup, ils virent la porte s'ouvrir et se fermer sans que personne
ne se montre. C'était Gamache qui, au moyen d'un bâton et d'une longue ficelle, avait ouvert la porte tout en demeurant
caché au fond de la pièce. Complètement apeurés, les curieux se précipitèrent hors de l'auberge.

Après cet événement, il n'y eut plus personne dans la région de Rimouski pour dire que le sorcier d'Anticosti n'avait pas
de rapport avec Satan.

De temps à autre, Gamache visitait les Montagnais sur la Côte-Nord. Pour se rendre chez ce peuple, il devait traverser
une zone dangereuse parce que les marchands de fourrures de la compagnie du Roi faisaient la chasse aux petits
bateaux qui s'aventuraient dans leur territoire.

Mais Gamache était frondeur. Il n'acceptait pas que quelques Anglais aient des privilèges et il croyait que les forêts
appartenaient à tous les habitants du pays. Gamache n'était pas hypocrite : il étalait ouvertement ses marchandises à
échanger. Il ne craignait pas les menaces des Anglais car il pouvait compter sur ses amis, les Amérindiens, pour le défendre.

Un jour, alors qu'il était à Mingan avec ses amis Montagnais, il aperçut un bateau armé qui venait vers lui. Il leva l'ancre
aussitôt et, en habile pilote, réussit à s'échapper. Pendant la nuit, Gamache attacha quelques bouts de planches pour former
un radeau. Il attacha un baril de goudron au radeau, déposa des tisons enflammés dans le goudron puis envoya le radeau
à la mer.

Il embarqua ensuite sur sa goélette et revint accoster au port de Mingan. Il croyait qu'après la chasse au baril de goudron
les Anglais ne reviendraient pas vérifier s'il était au port. Tel que prévu, les Anglais, en voyant au loin une sorte de lumière,
ont cru que c'était le bateau de Gamache et se sont lancés à sa poursuite.

Ils sont arrivés à un petit feu qui se mourait sur les eaux. Les marins anglais ont cru alors que Gamache et son bateau
étaient disparus sous forme de feu-follet. Un feu-follet, c'était, selon la croyance, le diable qui, tout à coup sortait de terre
sous forme de flamme. La flamme disparaissait aussi subitement qu'elle s'était allumée.

L'histoire se répandit si vite que le lendemain matin, les commis du port furent surpris de voir la goélette de Gamache
près du port, protégée par trois rangées de canots montagnais.

Malgré la légende, Gamache était très aimable avec les visiteurs qui ne lui voulaient aucun mal. Souvent, dans les
tempêtes, des bateaux faisaient naufrage dans la baie. Il secourait alors les naufragés mais ceux-ci, en voyant la
grande quantité d'armes dans la maison et connaissant généralement la réputation de Gamache, profitaient de son
hospitalité le moins longtemps possible.

Louis-Olivier Gamache est mort dans son lit en septembre 1854. Il habitait depuis quelques années avec un autre
aventurier qui se nommait Gaudreau. Gamache est enterré dans la Baie de Gamache sur l'Île d'Anticosti. On l'a enterré
à côté de deux épinettes qu'une de ses filles avait plantées en 1846, là où il avait lui-même enterré sa femme et une
de ses filles.

 

 

 

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