La hache ensorcelée

 

Résumé :

Légende québécoise selon laquelle certains bûcherons devaient vendre leur âme pour obtenir le pouvoir de bûcher
deux fois plus vite que les autres travailleurs.

Référence :

SÉGUIN, Robert-Lionel, Les aspects religieux des travaux d'agriculture et d'élevage, dans Les Cahiers des Dix, no 42,
Québec, 1979.

Auteure :

Micheline Champoux

 

Il y a moins de cent ans, les jeunes hommes et beaucoup de pères de famille avaient coutume de « monter aux chantiers »
à la fin de l'automne. Ils ne revenaient dans leur famille qu'à la fin de l'hiver. « Monter aux chantiers » signifiait qu'on montait
loin dans le nord, dans la région de la Tuque ou ailleurs, afin de couper du bois pour des compagnies de papier.

Au chantier, les bûcherons demeuraient dans un camp et ils travaillaient très dur car la scie mécanique n'existait pas encore.
La hache était le principal outil de travail.

Les bûcherons étaient très ambitieux et voulaient couper le plus de bois possible. Le meilleur bûcheron du camp devenait
vite populaire et il avait la réputation d'être un rude travailleur. Certains bûcherons possédaient des trucs pour travailler plus
vite que les autres, mais ils ne dévoilaient pas leur secret.

Leur performance était mystérieuse : elle intriguait et inquiétait les autres bûcherons. Parfois, alors que les meilleurs
bûcherons réussissaient à couper trois cordes de bois par jour, un des bûcherons du camp pouvait en couper deux fois plus.
Les autres ne le voyaient jamais aiguiser sa hache tandis qu'eux, ils devaient s'arrêter et l'aiguiser des dizaines de fois
par jour.

Enfin, on voyait cet homme cacher sa hache chaque soir afin que personne ne puisse l'examiner. Alors, on croyait que le
seul moyen d'obtenir la réputation de meilleur bûcheron était de faire un pacte avec le diable.

Faire un pacte, une entente avec le diable, c'était accepter d'aller en enfer après sa mort, donc de refuser d'aller au ciel en
échange d'un service immédiat. Les gens croyaient que le bûcheron qui paraissait ne jamais aiguiser sa hache tout en
bûchant très vite avait vendu son âme au diable pour obtenir une hache ensorcelée. On croyait donc que seul un homme
très méchant pouvait faire ce genre de marché.

Selon la légende, pour obtenir une hache ensorcelée, le bûcheron devait attraper une mouche à l'église pendant
une cérémonie religieuse. La bestiole était ensuite cachée dan le manche de la hache. Pour la cacher, on perçait le
bout du manche avec une mèche puis on y introduisait l'insecte. Le petit trou était ensuite fermé avec un minuscule
bâton de bois ».

Cette légende avait un fond de vérité. En effet, quelques bûcherons astucieux avaient découvert le moyen de rendre
la hache plus coupante sans être obligés de l'aiguiser toutes les demi-heures.

Il suffisait de percer un petit trou dans le manche de la hache et y verser de l'huile. « Le manche était ensuite suspendu
pendant quelques jours afin que l'huile pénètre graduellement toutes les fibres de bois » et atteigne même le métal. La
neige ne collait pas à la hache et celle-ci demeurait aiguisée plus longtemps. Les bûcherons pouvaient donc couper plus
d'arbres dans la journée.

Les bûcherons rapides gardaient bien leur secret. Et à l'époque, on croyait que le diable était responsable de tout ce qui
ne paraissait pas normal. Aussi, on a inventé cette légende pour expliquer pourquoi certaines haches coupaient mieux
que les autres.

 

 

 

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