Comment naissent les mots ?

(Origine du mot poupée)

 

Résumé :

À travers l'histoire du mot « poupée », on peut comprendre comment les mots évoluent dans le sens et dans la graphie.

Références :

BLOCK, O. et W.V. WARTBURG, Dictionnaire étymologique de la langue française, Paris, Presses Universitaires de
France, 1964.

GRANDSAINGNES D'HAUTERIVE, R., Dictionnaire des Racines des langues européennes, Paris, Librairie Larousse, 1948.

GUIRAUD, Pierre, Structures étymologiques du lexique français, Paris, Larousse, 1967.

LEBRUN et TOISOUL, Dictionnaire étymologique de la langue française, Paris, Librairie Nathan, 1937.

Glossaire du Parler français au Canada, Québec, Presses de l'Université Laval, 1968.

PICOCHE, Jacqueline, Dictionnaire étymologique du français, Paris, Le Robert, 1979, Coll. Les usuels du Robert.

Auteure :

Micheline Champoux

 

Les mots naissent et meurent comme les humains. Comme les gens aussi, ils voyagent d'une langue à une autre en
changeant de sens et d'orthographe. Ainsi beaucoup de mots fort différents les uns des autres font partie d'une même
famille, ont une même origine. Nous pouvons les classer et dresser, en quelque sorte, leur arbre généalogique. C'est ce
que nous ferons avec le vieux mot latin « puppa ».

Avant la naissance du français, le mot « puppa » (poupa) désignait familièrement une petite fille. Le mot pénètre
en France, en Espagne, en Angleterre et en Allemagne, en même temps que les Romains envahissent ces pays. Petit à petit,
le mot va se modifier dans sa prononciation et dans son orthographe et va prendre des sens assez différents d'une langue
à l'autre.

En France, le mot « puppa » conserve son sens original de « petite fille » jusqu'au 12e siècle. Il existe, en même temps,
un mot qui ressemble dans l'une des langues utilisées en France : le mot « pouper », qui signifie « téter », c'est-à-dire pomper
du lait de la mamelle. Les deux mots « puppa » et « pouper » vont se fusionner et donner un nouveau mot qui aura le
sens de bébé, c'est-à-dire d'enfant à la mamelle.

Mais comme les mots évoluent souvent de façon différente selon les régions, la fusion de « puppa » et de « pouper » va
aussi donner d'autres mots de sens un peu différents. Ainsi naît le mot « poupart » pour désigner un bébé. Le mot
« poupart » se transformera ensuite en « poupine » ou « poupin » au 15e siècle pour devenir « poupon » à partir du 16e siècle.

Cependant, dès le 12e ou le 13e siècle (les spécialistes ne sont pas tous du même avis), le mot « puppa » a évolué vers un
autre sens. À cette époque, on fabriquait, avec des chiffons, des jouets ayant l'apparence des poupons. Ces chiffons étaient
faits avec des fils de chanvre ; c'est pourquoi une poignée de fil de chanvre a pris le nom de « poupe ».

Le jouet de chiffon représentant un poupon s'est appelé une « poupée ». En outre, comme le chiffon servait à faire des
pansements, le mot « poupée » a aussi pris le sens d'un pansement autour d'un doigt blessé. Si le mot « poupée » a perdu
le sens de pansement dans le Québec moderne, il a, par contre, été remplacé par un mot synonyme dans le langage
familier : le mot « catin ».

Le mot « catin » est un vieux mot utilisé dans plusieurs dialectes du centre-ouest de la France pour désigner d'une part une
poupée de chiffon et, d'autre part, un pansement sur un doigt blessé. On peut supposer que les personnes qui venaient de
cette région ont apporté le mot « catin » au Québec alors que celles qui venaient de d'autres régions ont apporté le
mot « poupée ».

Les premiers Québécois avaient donc deux mots ayant les mêmes sens dans leur vocabulaire. Avec le temps, les deux mots
ont perdu un de leurs sens. Aujourd'hui, seules quelques personnes très vieilles disent « catin » lorsqu'elles parlent de poupée.
Mais, il y a encore beaucoup de personnes qui appellent « catin » un pansement de gaze stérile autour d'un doigt.

Si chacun des mots a un sens spécial, le mot « catin » a, en plus, un troisième sens. Il désigne aussi, dans la langue
populaire, une femme trop maquillée, habillée de façon voyante, afin d'attirer l'attention des hommes. Dans certains cas,
« catin » aura le sens de femme de mauvaise vie.

Pourtant, en ancien français, le mot « catin » était un terme affectueux. Un homme qui appelait une femme « ma catin »
lui montrait ainsi sa tendresse. Mais laissons ici le mot « catin » pour retourner à l'histoire du mot « puppa », devenu « poupée ».

Au sens figuré, une poupée désigne une fille qui ne songe qu'à sa toilette. On parlera encore de poupée de porcelaine
pour désigner une jeune fille qui fait la précieuse et qui refuse de travailler pour ne pas se blesser ou ne pas se salir. Cette
expression désigne aussi une fille qui se plaint avec exagération devant la moindre douleur.

Si nous avons couvert presque tous les sens du mot « poupée », il est intéressant de savoir que « puppa » est aussi à
l'origine du mot « pupille » (jeune orphelin sous la tutelle d'un adulte). « Puppa » s'est aussi développé différemment
dans les autres langues influencées par le latin.

En anglais, « puppa » (petite fille à la mamelle) est devenu « puppy » (petit chiot), « pupil » (écolier) et « puppet (marionnette).
Le mot espagnol « pupilo » et le mot italien « pupillo » signifient tous deux « pupille ». Enfin, en allemand, « puppe »
désigne tout simplement une poupée.

Nous aurions pu continuer cette histoire avec le verbe « pouper » dont il est question au 3e paragraphe. Nous aurions
alors découvert que « pouper » (téter le lait d'une mamelle) est à la source des mots « pomper, pompe, pompiste et pompier ».

Ces quelques exemples suffisent pour comprendre par quels mécanismes les mots évoluent dans leurs sens et dans leur
orthographe à travers les siècles et les différentes langues. Comme les humains, les mots font beaucoup de petits enfants
qui voyagent partout à travers le monde.

Les 6 textes qui suivent tentent de résumer les grandes étapes de l'évolution de la langue française depuis l'époque des
Gaulois jusqu'à l'arrivée des Français en Nouvelle-France.

 

 

 

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