Département d'anatomie
Anecdotes anatomiques

Mobile inconnu

Regis   Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie 

 

Malgré l’élimination théorique des éponymes dans la terminologie anatomique officielle, le conduit pancréatique demeure encore et toujours associé au nom de l’anatomiste d’origine bavaroise Johann Georg Wirsüng 1 : même la plus récente édition du Gray’s Anatomy n’a pu  s’empêcher d’ajouter entre parenthèses « (of Wirsung) » après « main pancreatic duct » 2. Anatomistes et historiens 3, 4, 5, 6 sont unanimes à reconnaître que Wirsüng a effectivement décrit — et probablement même découvert — ce conduit à Padoue en 1642. Mais faut-il y voir la cause probable de sa mort ?

 

Les circonstances de sa découverte

Wirsüng découvrit le conduit pancréatique le 2 mars 1642 en disséquant le cadavre d’un certain Zuane Viaro della Badia, assassin d’une trentaine d’années pendu la veille sur la piazza del Vin. La dissection ne se déroula pas dans le célèbre théâtre anatomique construit sous l’égide du médecin Girolamo Fabrici d’Acquapendente et du théologien Fra Paolo Sarpi 7, mais en privé, à l’Hôpital San Francesco. Deux jeunes étudiants, promis l’un comme l’autre à un bel avenir, assistaient Wirsüng : le danois Thomas Bartholin (1616-1680) et l’allemand Moritz Hoffmann (1622-1698).

Ignorant la nature du conduit qu’il venait de mettre à jour, Wirsüng en fit sept gravures sur cuivre qu’il adressa à de grands anatomistes pour solliciter leur opinion 8.

  

225 wirsung

Un des sept tirages originaux de la gravure sur cuivre, probablement effectuée par Wirsüng lui-même, montrant le conduit pancréatique (1642).

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Les circonstances de sa mort

Le 22 août 1643, en fin de soirée, Wirsüng bavardait avec des voisins sur le pas de sa porte lorsqu’un dénommé Jacques Cambier surgit et le tua d’un tir d’arquebuse à bout portant 9, 10, 11.

Que sait-on de l’assassin ? Jacques Cambier — c’est son nom — était étudiant en médecine, d’origine belge (et non pas italienne comme certains l’ont supposé 12), et peut-être connu de la victime car, si l’on en croît les Epistolae Anatomicae de Giovanni Battista Morgagni, Wirsüng se serait écroulé en disant : « Je suis mort, O Cambier, O Cambier ! ». Par ailleurs, l’assassin n’aurait pas agi seul : un certain Nicasius Cambier (frère de Jacques?) et un Dalmate dont l’histoire n’a pas retenu le nom furent semble-t-il impliqués dans le meurtre, mais nous ignorons comment.

Quant au mobile, il est encore totalement inconnu. Certes, nombre d’historiens regardèrent Jacques Cambier comme ce que l’on appellerait aujourd’hui un tueur à gage, commandité par un anatomiste jaloux de ne pas avoir été reconnu comme le vrai découvreur du conduit pancréatique : ce qui pourrait désigner Moritz Hoffmann, un des deux étudiants présents lors de la dissection effectuée par Wirsüng, car celui-ci affirma bien des années plus tard avoir découvert le conduit en question avant Wirsüng, précisément lors d’une autopsie au Liceo dei Veneziani en septembre 1641. Mais les preuves manquent.

D’autres attribuèrent le meurtre à une vengeance personnelle sans le moindre rapport avec la découverte du conduit pancréatique, mais ne purent préciser le mobile de cette vengeance.

 

Johann Georg Wirsüng fut inhumé le lendemain de sa mort dans le chœur du chapitre de la basilique Saint-Antoine de Padoue. Peut-être ignora-t-il lui-même le mobile de son assassin.

 

 

Notes

1 D’après une inscription autographe dans la Natio Germanica artistarum du 8 novembre 1629, il apparaît que le « u » de « Wirsung » s’accompagne effectivement d’un tréma.

2 Standring S. (Ed.) (2016) Gray’s Anatomy. The Anatomical Basis of Clinical Practice. N.p., Elsevier, forty-first edition, p. 1182.

3 Ionescu M. (1991) Dictionar de anatomisti. Bucuresti, Editura Litera, p. 373.

4 Hirsch A. (1888) Biographisches Lexikon der hervorragenden Aerzte aller Zeiten und Völker. Wien und Leipzig, Urban & Schwarzenberg, vol. 6, p. 303.

5 Kemper G.W.H. (1905) The World’s Anatomists. Philadelphia, P. Blakiston’s Son & Co., p. 74.

6 Haller A. von (1774) Bibliotheca anatomica. Tiguri, apud Orell, Gessner, Fuessli, et Socc., vol. 1, p. 415.

7 Pour un court historique de ce théâtre anatomique, voir Corsi P. (Ed.) (1989) Les siècles d’or de la médecine. Padoue XVe-XVIIIe siècles. Milano, Electa, pp. 106-109.

8 Ces sept anatomistes étaient Ole Worm, Marco Aurelio Severino, Jean Riolan, Kaspar Hoffmann, Paul Marquart Schlegel, Werner Rolfinck et Johann Georg Volckamer.

9 Howard J.M., Hess W., Traverso W. (1998) Johann Georg Wirsüng (1589-1643) and the Pancreatic Duct: The Prosector of Padua, Italy. Journal of the American College of Surgeons 187 (2): 201-211.

10 Bassi C., Malleo G. (2011) The unsolved mystery of Johann Georg Wirsung and of (his?) pancreatic duct. Surgery 149 (1): 153-155.

11 Morgenstern L. (1965) The murder of Johann Georg Wirsung. Surgery 57: 906-907.

12 Collectif (1783) Nouveau dictionnaire historique ; ou histoire abrégée de tous les Hommes qui se sont fait un nom par des Talens, des Vertus, des Forfaits, des Erreurs. Caen, G. Le Roy, vol. 8, p. 671.

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