Quelques mots sur la corne d’abondance

   Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie 

L’anatomie regorge de métaphores, entre autres mythologiques ¹ et zoologiques ². Une formation choroïdienne du quatrième ventricule porte le curieux nom de corne d’abondance. De quoi s’agit-il et d’où provient cette étrange comparaison?

François Magendie et Hubert von Luschka

Pour quitter le système ventriculaire et rejoindre les espaces subarachnoïdiens, le liquide cérébrospinal dispose de trois orifices de sortie du quatrième ventricule : une ouverture médiane (trou de Magendie) et deux ouvertures latérales (trous de Luschka). C’est en 1828 que le médecin et physiologiste français François Magendie (1783-1855) découvrit l’ouverture médiane du quatrième ventricule : « Je trouvai enfin une ouverture de deux ou trois lignes de diamètres, cachée complétement par un lobe du cervelet, et formant une véritable entrée du cerveau » ³. Vingt-sept ans plus tard, c’était au tour de l’anatomiste allemand Hubert von Luschka (1820-1875) de décrire ses ouvertures latérales : « nur eine enge Spalte übrig bleibt, welche aber völlig genügt, um Flüssigkeit […] an jener Stelle […] zum Vorscheine kommen zu lassen » (il ne subsiste qu’une mince fente, qui toutefois suffit totalement pour que du liquide […] apparaisse à ce niveau) ⁴.

Statuette d’un jeune garçon portant une corne d’abondance (Anvers, wikicommon)

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La corne d’abondance anatomique

La corne d’abondance est formée par la portion latérale des plexus choroïdes du quatrième ventricule lorsqu’elle émerge par les trous de Luschka au niveau de ses angles latéraux ⁵. En 1849, l’anatomiste d’origine tchèque Vincenz Alexander Bochdalek (1801-1883) comparait cette corne d’abondance à « un bouquet sortant d’un vase » ^{6, 7}.

La corne d’abondance mythologique

La corne d’abondance, ou cornu copia, fut décrite dans une Comédie de Plaute (ca. 254-184 av. J.-C.) : son traducteur, le moine bénédictin défroqué devenu écrivain Nicolas Gueudeville (1651-1721), écrivait en 1719 que, selon Plaute, une corne d’abondance était un objet « d’où sortait tout ce qu’on pouvait souhaiter » ⁸. C’est maintenant au tour de la mythologie de nous expliquer cette définition ⁹.

Achéloüs, fils de l’Océan et de Thétys, était amant de Déjanire. Hercule, qui voulait la lui ravir, engagea un combat et terrassa Achéloüs qui avait pourtant pris la forme d’un puissant taureau. Une de ses cornes, arrachée par Hercule, fut ramassée par les Naïades qui y plantèrent des fleurs; ainsi naquit la corne d’abondance.

La métaphore neuro-anatomique est donc de nature morphologique, mais nous ignorons totalement quand, où, et par qui elle fut utilisée pour la première fois.

Notes

1 Olry R., Haines D.E. (1998) Cerebral Mythology : A Skull Stuffed with Gods. Journal of the History of the Neurosciences 7 (1) : 82-83.

2 Olry R. (1991) Métaphores zoologiques au sein des ventricules latéraux du cerveau, ou l’imagination au service de la linguistique. Histoire des Sciences Médicales 25 (3) : 221-224.

3 Magendie F. (1828) Mémoire physiologique sur le cerveau. Mémoire lu dans la séance publique de l’Académie royale des Sciences le 16 juin 1828, p. 11.

4 Luschka H. (1855) Die Adergeflechte des menschlichen Gehirns. Berlin, Georg Reimer, pp. 27-28.

5 Roland J. (1990) Le système ventriculaire. In : Bossy J. (Ed.) Anatomie clinique. Neuroanatomie. Paris, Springer-Verlag, p. 249.

6 Dejerine J. (1901) Anatomie des centres nerveux. Paris, J. Rueff, vol. 2, pp. 502-503.

7 Töndury G., Kubik St. (1987) Gestalt und Gliederung des Gehirns. In : Leonhardt H., Töndury G., Zilles K. (Eds) Nervensystem, Sinnesorgane. Rauber/Kopsch Anatomie des Menschen. Stuttgart, New York, Georg Thieme Verlag, vol. 3, p. 135.

8 Gueudeville N. (1719) Les comédies de Plaute, nouvellement traduites en stile libre, naturel & naif. Leide, Pierre vander Aa, vol. 7, Acte second. Scène troisième. Pseudole, p. 88.

9 Commelin P. (1960) Mythologie grecque et romaine. Paris, Garnier frères, p. 154.