Département d'anatomie
Anecdotes anatomiques

Un peu de ménage dans la nomenclature anatomique

Regis   Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie 

 

Le célèbre naturaliste français Georges-Louis Leclerc, davantage connu sous le nom de Buffon (1707-1788), écrivait en 1761 : « Le vrai travail d’un nomenclateur ne consiste point […] à faire des recherches pour allonger sa liste, mais des comparaisons raisonnées pour la raccourcir » 1. Mais une science qui progresse — n’est-ce d’ailleurs pas là une condition sine qua non pour en mériter le nom? — multiplie ses découvertes et génère ainsi une inévitable inflation de son vocabulaire. Inflation aggravée encore par le nombre de langues ou dialectes — environ 15000 depuis que l’humain s’exprime 2 — dans lesquelles ce nouveau vocabulaire va parfois devoir être incorporé. Plus une science est ancienne, plus elle est naturellement confrontée à ce problème. L’anatomie en est donc un des exemples les plus éloquents.

 

Le pionnier Rufus d’Éphèse

On ne sait pas grand-chose de la vie du médecin Rufus d’Éphèse (ca. 70-ca. 110) 3, si ce n’est qu’il rédigea une des toutes premières ébauches de nomenclature anatomique sous le titre De partium corporis humani appellationibus. La plus ancienne version consultable à ce jour est probablement celle commentée en 1604 par le médecin italien Fabio Paolini (1535-1605), et reliée à la suite de la cinquième édition de l’Anatomia d’André Vésale 4.

  

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Portrait de Rufus d’Éphèse (Österreichische Nationalbibliothek).

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La première Nomina anatomica : Bâle, 1895

Dès son tout premier congrès (Leipzig, 1887), l’Anatomische Gesellschaft (Société Anatomique Allemande) avait proposé une nomenclature « officielle » : 20 fascicules totalisant 958 pages sur lesquelles s’égrainaient près de 30 000 termes. Bien trop volumineux pour convaincre la gent anatomique. C’est pourquoi les 62 membres de cette même Société présents lors de son 9e Congrès organisé à Bâle du 17 au 20 avril 1895, réduisirent cette liste à environ 5000 termes. Ainsi naquit la Baseler Nomina anatomica, (BNA) publiée in extenso et commentée par Wilhelm His (1831-1904) dans un numéro spécial des Archiv für Anatomie und Physiologie 5.

 

Une succession de mises à jour

La première révision de fond  de la Nomina anatomica eut lieu à Iena en 1935 : 1749 termes de la BNA (soit 34%) furent plus ou moins modifiés (670 disparitions, 498 nouveaux termes, 1105 modifications mineures, 146 majeures) 6. Cette nouvelle édition, la Jenaer Nomina anatomica (INA), fut publiée l’année suivante 7. D’autres versions suivirent, dont celle adoptée à Paris en 1955 à l’initiative du Comité International de Nomenclature Anatomique (PNA, Pariser Nomina anatomica) 8.

 

Encore un petit effort…

La liste des termes anatomique officiels à ce jour date de 1998 9. Malgré toutes les améliorations apportées régulièrement à cette liste depuis 1895, on y trouve encore et toujours quelques imperfections dont on conçoit difficilement qu’elles aient pu si longtemps passer inaperçues : le muscle omo-hyoïdien fait ostensiblement référence à une insertion sur l’omoplate alors que celle-ci est devenue scapula depuis 1895 : il faudrait donc le débaptiser en scapulo-hyoïdien. Alors que les synonymes sont supposés éliminés, le terme latin gluteus est encore traduit soit par glutéal (lignes glutéales de l’os coxal), soit par fessier (muscle grand fessier).

Au tout début du XIXème siècle, Xavier Bichat (1771-1802) a écrit : « Dans les sciences de description, attacher des images à chaque terme, enchaîner pour ainsi dire la mémoire à la nomenclature, exprimer beaucoup d’objets par un petit nombre de termes; voilà la perfection du langage » 10. Mais peut-être cette perfection n’est-elle qu’un idéal asymptotique…

 

 

Notes

1 Cité par Roger J. (1989) Buffon, un philosophe au Jardin du Roi. Paris, Fayard, p. 434.

2 J.R. Payne, cité par Saban R. (1993) Aux sources du langage articulé. Paris, Masson, p. 145.

3 Hirsch A. (1887) Biographisches Lexikon der hervorragenden Aerzte aller Zeiten und Völker. Wien und Leipzig, Urban & Schwarzenberg, vol. 5, p. 118.

4 Cockx-Indestege E. (1994) Andreas Vesalius. A Belgian Census. Contribution Towards a New Edition of H.W. Cushing’s Bibliography. Brussels, Monografieen van de Koninklijke Bibliotheek Albert I, no. 35, pp. 64-65.

5 His W. (1895) Die anatomische Nomenclatur, Nomina anatomica. Verzeichniss der von der Commission der anatomischen Gesellschaft festgestellten Namen, eingeleitet und im Einverstädniss mit dem Redactionsausschuss erläutert. Archiv für Anatomie und Physiologie, Anatomische Abtheilung (Supplement-Band), 183 pages, 27 figures dans le texte, 2 planches hors-texte.

6 Olry R. (1995) Sémantique anatomique. Un langage pour une science. Trois-Rivières, l’Auteur, p. 39.

7 Stieve H. (1936) Nomina Anatomica Jena, Verlag G. Fischer.

8 Pour une comparaison des BNA, INA et PNA, voir : Donáth T. (1960) Erläuterndes anatomisches Wörterbuch. Vergleichende Übersicht der Baseler, Jenaer und Pariser Nomenklaturen, gruppiert nach Organen. Terra Budapest, Verlag Medicina Budapest.

9 Federative Committee on Anatomical Terminology (1998) Terminologia Anatomica. International Anatomical Terminology. Stuttgart, New York, Thieme.

10 Bichat X. (1819) Traité d’anatomie descriptive. Paris, J.A. Brosson, Gabon, nouvelle édition, vol. 1, p. xxv.

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