Encore une histoire de crâne

   Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie 

Nous avons déjà à deux reprises évoqué les heurs et malheurs de crânes célèbres, d’une part celui du scientifique et philosophe René Descartes (1596-1650), d’autre part celui de Charlotte Corday, la meurtrière du révolutionnaire Jean-Paul Marat (1768-1793) ¹. Un troisième s’ajoute aujourd’hui à la liste : celui de l’empoisonneuse marquise de Brinvilliers.

Marie-Madeleine Anne Dreux d’Aubray

Marie-Madeleine Anne Dreux d’Aubray (1630-1676), devenue marquise de Brinvilliers en 1651 par son mariage avec Antoine Gobelin, est entrée dans l’Histoire par la porte du crime. Avec l’aide de son amant Jean-Baptiste Gaudier de Sainte-Croix, qui avait appris l’art de l’empoisonnement auprès de son codétenu italien Exili à la Bastille ², la marquise assassina son père et ses deux frères. Le 16 juillet 1676, elle fut condamnée à avoir la tête tranchée, son cadavre à être brûlé et ses cendres jetées au vent ³. L’article à elle consacré dans la Biographie universelle de Michaud nous apprenait qu’alors « on montr[ait] sa tête au Muséum de Versailles » ⁴. Mais s’agissait-il effectivement du crâne de la marquise?

Portrait de la marquise de Brinvilliers, le jour de son exécution, (dessin de Charles Le Brun, Paris, Musée du Louvre).

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À qui appartient ce crâne?

Alain Baraton fait remarquer que, dès que le bruit couru que la célèbre empoisonneuse avait son crâne à la bibliothèque-musée de Versailles, « il n’y eut jamais autant de monde à la bibliothèque » ⁵. Mais des doutes commencèrent à germer quant à l’identité de la relique. En 1835, le phrénologue J.-A. Leroy affirma que ce crâne n’était pas celui de la marquise de Brinvilliers ⁶: le crâne était celui d’une femme dans la trentaine (la marquise avait 46 ans lors de son exécution), il était assez volumineux (alors qu’elle était de petite taille), et, surtout, pourquoi le crâne aurait-il totalement échappé aux flammes du bûcher, contrairement aux autres os? Mais alors le crâne de qui?

Une notice extraite de la liste des objets conservés à la bibliothèque-musée de Versailles fait état de la tête d’une certaine madame Tiquet.

Née Angélique-Nicole Carlier (1657-1699), madame Tiquet fut condamnée à mort le 3 juin 1699 pour avoir, à plusieurs reprises et de plusieurs façons, tenté d’assassiner son mari ⁷. Or, « le moule du crâne de la dame Tiquet [fut] longtemps pris pour celui de la marquise de Brinvilliers » ⁸. C’est effectivement le crâne d’Angélique, et non celui de Marie-Madeleine, qui était exposé à la bibliothèque-musée de Versailles.

Comme toujours en ces temps, les exécutions publiques drainaient une foule de curieux. Le jour du supplice de la marquise de Brinvilliers, une autre femme célèbre assistait, de la fenêtre d’une des maisons du pont Notre-Dame, au spectacle. C’était Marie de Rabutin-Chantal, la fameuse madame de Sévigné.

Notes

1 Voir nos anecdotes no. 3 (Les pérégrinations du crâne de Descartes) et no. 42 (On ne peut pas tous être Roi de la Lune).

2 Cuvier G. (1841) Histoire des sciences naturelles, depuis leur origine jusqu’à nos jours, chez tous les peuples connus. Publiée par M. Magdelaine de Saint-Agy. Paris, Fortin, Masson et Cie, tome deuxième, p. 329.

3 Arrest de la cour de Parlement les Chambres assemblées, contre Dame Marie Marguerite Daubray, espouse du sieur Marquis de Brinvilliers (1676) Paris, Jacques Villery.

4 Cabanès A. (1977) Le prétendu crâne de la Brinvilliers. In : Les indiscrétions de l’Histoire. Genève, Éditions Famot, vol. 1, p. 193.

5 Baraton A. (2011) Vice et Versailles. Crimes, trahisons, et autres empoisonnements au palais du Roi-Soleil. Paris, Grasset & Fasquelle, chapitre 9.

6 Debout E. (1845) Esquisse de la Phrénologie et de ses applications exposées aux gens du monde. Paris, H. Lebrun, pp. 74-75.

7 Sanson H. (1862) Mémoires des Sanson. Paris, Dupray de la Mahérie, vol. 1, pp. 399-432.

8 Marinus J.-R. (Ed.) (1835) Encyclographie des Sciences médicales. Bruxelles, Établissement encyclographique, tome trente-huitième, p. 120.