Département d'anatomie
Anecdotes anatomiques

Thénar, hypothénar et Cie

 

Regis   Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie 

 

Comme chacun sait, il existe deux reliefs à la face palmaire de la main 1 : une éminence thénar (latérale), formée à la base du pouce par les muscles intrinsèques de la main destinés à ce doigt, et une éminence hypothénar (médiale), moins marquée, formée à la base du cinquième doigt par ceux à lui destinés. Mais que signifie le terme de thénar, auquel s’adjoignirent, çà et là et avec plus ou moins de pertinence, les préfixes hypo, para, méso, anti, et même opistho?

  

214 main

Muscles de la main

(Jean Marc Bourgery et Nicolas Henri Jacob, Atlas d’anatomie humaine et de chirurgie. Hong Kong, Taschen Reprints, 2008, Vol. 2, Pl. 120).

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Thénar : un relief, un creux, ou les deux à la fois?

Thénar n’est ni un nom propre ─ car il faudrait alors parler d’éminence de Thénar ─, ni un adjectif ─ ce qui imposerait de l’accorder et donc écrire éminence thénare avec un « e » final. Thénar est en fait un nom commun dont la (probable) première apparition se trouve dans la version grecque de l’Iliade d’Homère, (Chant V, hexamètre dactylique 339) : prumnòn upèr thénaros, ce qui signifie « près du poignet » selon Eugène Bareste 2, ou plus précisément « au-dessus du poignet » (mais dans quel sens?) selon Robert Flacelière 3. En 1752, le célèbre anatomiste Jacques-Bénigne Winslow (1669-1760) nous explique que le terme thénar « est tiré d’un mot Grec qui signifie frapper » 4, ce que confirment les lexicographes de l’anatomie: « On entend aussi par thénar, les éminences de la paume de la main, du G[rec] teinein, frapper, parce que, lorsque nous frappons sur un plan égal, ce sont les éminences du pouce & celle qui répond au petit doigt qui portent & frappent » 5. Thénar désignerait donc les reliefs de la paume formés par les muscles du pouce d’un côté, ceux du petit doigt de l’autre.

Mais l’incontournable linguiste Pierre Chantraine (1899-1974) soulève une autre interprétation : thénar ferait référence non à des reliefs mais à un creux : « paume de la main, plante du pied, par métaphore creux dans l’autel où sont déposées les offrandes, fond de la mer » 6. Thénar s’appliquerait donc à la portion creuse de la paume, c’est-à-dire entre les actuelles éminences thénar et hypothénar.

Autre conception enfin que celle d’Aristote qui nomme thenar sarcodes (du grec sarx, chair) toute la face antérieure (charnue, car musculaire) de la main, par opposition à sa face postérieure, plus dure car dénuée de muscles, et que le philologue grec Julius Pollux (mort en 238) nommera opisthenar (du grec opisthen, derrière, en arrière) 8.

 

Quand Thénar s’enrichit de préfixes

Pour Jean Riolan (ca. 1580-1657), les muscles annexés au pouce s’appellent thénar, antithénar, et hypothénar 9. Mêmes thénar et antithénar pour François-Michel Disdier (1708-1781) chez qui, toutefois, le muscle hypothénar est maintenant annexé au cinquième doigt 10. Deux muscles parathénars, un grand et un petit, sont mentionnés par Winslow 11: ils correspondent respectivement aux muscles abducteur et court fléchisseur du cinquième orteil. Quant à Paul de Terra, il nous rappelle que le  muscle adducteur du pouce fut parfois nommé mésothénar 12.

 

Seuls les termes thénar et hypothénar ont été conservés dans la nomenclature anatomique. Décision éclairée, car ce sont les seuls clairement et simplement définis.

 

 

Notes

1 Barone R. (1977) Atlas d’Anatomie Humaine. Tome 4. Nomenclature anatomique française. Paris, Maloine S.A., p. xv. Ces deux termes sont conservés dans la nomenclature officielle : Federative Committee on Anatomical Terminology (1998) Terminologia Anatomica. International Anatomical Terminology. Stuttgart, New York, Thieme, p. 5.

3 Homère (1843) Iliade. Traduction nouvelle. Paris, Lavigne, p. 108.

4 Homère (1955) Iliade. Odyssée. Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, p. 172.

5 Winslow J.-B. (1752) Exposition anatomique de la structure du corps humain. Amsterdam, Emanuel Tourneisen, nouvelle édition, vol. 2, p. 96.

6 Allouel M. (1776) Explication des mots d’usage en anatomie et en chirurgie. Paris, Rémont, pp. 43-44.

7 Chantraine P. (2009) Dictionnaire étymologique de la langue grecque. Histoire des mots. Paris, Klincksieck, nouvelle edition, pp. 412 et 1306.

8 Hyrtl J. (1880) Onomatologia anatomica. Geschichte und Kritik der anatomischen Sprache der Gegenwart, mit besonderer Berücksichtigung ihrer Barbarismen, Widersinnigkeiten, Tropen, und grammatikalischen Fehler. Wien, Wilhelm Braumüller, pp. 541-543.

9 Riolan J. (1672) Manuel anatomique et pathologique. Lyon, Antoine Laurens, pp. 537-542.

10 Disdier F.-M. (1753) Sarcologie; ou traité des parties molles. Paris, pp. 80-85.

11 Winslow, op. cit., pp. 387-389.

12 Terra P. de (1913) Vademecum anatomicum. Jena, Gustav Fischer, p. 274.

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