Département d'anatomie
Anecdotes anatomiques

Gros cerveaux, petits cerveaux : et alors?

 

Regis   Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie 

 

Que ce soit dans la littérature ou au cinéma, un extraterrestre est invariablement représenté avec une tête énorme, stigmate obligé d’un cerveau lui aussi surdimensionné. D’où son extrême intelligence ─ mais y aurait-il effectivement un lien? ─ qui assure à sa civilisation des milliers d’années d’avances scientifique et technologique sur nous autres pauvres Terriens.

Occasion à réflexion anatomique sur la taille du cerveau humain.

  

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Premier de couverture de l’ouvrage de Mike Oram, (Does it Rain in Other Dimensions? Winchester, O. Books, 2007).

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Gros cerveaux, petits cerveaux

Curiosité légitime ou malsaine, l’anatomiste et l’anthropologue pèsent des cerveaux depuis des siècles, à la recherche d’on ne sait pas vraiment quoi 1, 2, 3. Quelques gros cerveaux : le physicien allemand Ernst-Werner von Siemens (1600 grammes), le médecin écossais John Abernethy (1785 grammes), le naturaliste français Georges Cuvier (1830 grammes), l’écrivain russe Ivan Sergiévitch Tourgueniev (2012 grammes), l’homme d’état anglais Richard Cromwell (2229 grammes) et, probablement au sommet de la pyramide, le poète anglais George Gordon alias Lord Byron (2238 grammes). Mais aussi quelques petits : l’écrivain écossais James Grant (1289 grammes), l’anatomiste allemand Friedrich Tiedemann (1254 grammes), l’homme d’état français Léon Gambetta (1246 grammes), le médecin allemand Emil Harless (1238 grammes), le phrénologiste Franz Joseph Gall (1198 grammes) et, tout en bas de l’échelle, l’écrivain français Anatole France (1000 grammes).

 

Comment peser un cerveau?

En 1970, le paléoanthropologue sud-africain Phillip Tobias (1925-2012) publia un article démontrant que le poids d’un cerveau dépendait d’au moins 14 paramètres 4 : le délai séparant le décès de la pesée, le choix du lieu précis de section entre moelle épinière et encéphale, le liquide dans lequel il aurait séjourné, la présence ou non des méninges, la température ambiante, etc. D’où les importantes différences observées entre les valeurs moyennes de poids d’un cerveau humain : de 1375 grammes 5 à 1530 grammes 6.

 

L’éternel débat : une relation entre volume cérébral et intelligence?

L’hypothèse n’est pas nouvelle et resurgit de temps à autre dans quelque média.

Au milieu du XIXe siècle, alors que certains estiment que l’intelligence ne peut apparaître en l’absence d’un poids minimal de tissu nerveux ─ 1133 grammes chez l’homme, 970 chez la femme 7  ─, le célèbre neuroscientifique Paul Broca (1824-1880) n’hésite pas à affirmer qu’« une personne éclairée ne peut pas songer à mesurer l’intelligence en mesurant le cerveau » 8. Une quarantaine d’années plus tard, le biologiste Jean-Louis-Armand de Quatrefages de Bréau (1810-1892) va dans le même sens en stigmatisant « le peu de rapport qui existe entre (…) les dimensions du cerveau et le développement intellectuel et social des races » 9.

 

Laissons le dernier (et bon) mot à l’auteur contemporain Michel Claessens : « Aussi bizarre que cela puisse paraître, c’est probablement au sujet de l’intelligence qu’a été raconté le plus grand nombre de bêtises… » 10. Qu’on se le tienne pour dit!

 

 

Notes

1 Topinard P. (1884) L’anthropologie. Paris, C. Reinwald, 4e édition, pp. 122-125.

2 Dejerine J. (1895) Anatomie des centres nerveux. Paris, Rueff et Cie, vol. 1, pp. 234-238.

3 Sperino G. (1900) L’encefalo dell’anatomico Carlo Giacomini. Torino, Unione tipografico-editrice.

4 Tobias P. (1970) Brain-size, grey matter and race – fact of fiction? American Journal of Physical Anthropology 32 (1) : 3-25.

5 Leonhardt H., Töndury G., Zilles K. (1987) Anatomie des Menschen. Band III. Nervensystem, Sinnesorgane. Stuttgart, New York, Georg Thieme, p. 120.

6 Cabanne F., Bonenfant J.L. (1986) Anatomie pathologique. Québec, Paris, Presses de l’Université Laval, Maloine S.A., 2e édition, p. 1446.

7 Mais où ont-ils allé chercher de telles valeurs?

8 Cité par Schiller F. (1990) Paul Broca. Explorateur du cerveau. Paris, Odile Jacob, p. 230.

9 Quatrefages A. de (ca. 1903) Introduction à l’étude des races humaines. Paris, C. Reinwald, Schleicher Frères et Cie, deuxième tirage, p. 193.

10 Claessens M. (1990) Les dessous de l’intelligence, ou l’illusion scientifique. Paris, Imago, p. 12.

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