Département d'anatomie
Anecdotes anatomiques

Violon d’Ingres de bourreau

 

Regis   Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie 

 

Une étrange profession a disparu le 14 juillet 1976 au Canada 1, le 10 octobre 1981 en France 2 : celle de bourreau. Assurément une figure qui suscite autant d’effroi que de curiosité, études biographiques et historiques en témoignent 3, 4, 5. Mais en cette fin de XXe siècle, toute forme de question préparatoire a été abolie depuis longtemps, et nous ne sommes plus à l’époque où quelque livre jugé dissident devait accompagner le condamné sur le bûcher et se consumer dans les mêmes flammes ; l’ultime mission du bourreau est donc celle de mettre à mort le condamné. La peine capitale venant d’être abolie, le bourreau se retrouve chômeur.

Par sa relation « privilégiée » avec celui ou celle qui venait tout juste de devenir cadavre, le bourreau, s’interrogeant sur la structure de ce corps, se mit à développer une curiosité toute anatomique.

 

La dynastie des Sanson

De 1635 à 1889, sept générations successives de Sanson occupèrent la fonction de bourreau de Paris, ce qui permit au dernier d’entre eux, Henri-Clément Sanson (1799-1889) de signer six volumes de Mémoires 7 riches d’enseignements.

  

204 Sanson

Portrait (imaginaire) du bourreau Charles-Henri Sanson (1739-1806) par l’illustrateur Eustache Lorsay (1822-1871).

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C’est probablement un point de droit criminel qui explique l’intérêt des bourreaux pour l’anatomie car, à Paris, ceux-ci avaient l’obligation d’amener chez eux le corps des suppliciés non réclamés par leur famille, et attendre que le clergé décide d’un lieu de sépulture. Source de curiosité « imposée » et de durée imprévisible, les bourreaux se procurèrent quelques planches d’anatomie et se mirent à étudier la structure de ces corps, ou plus souvent de ce qu’il en restait. On apprend ainsi que Charles-Jean-Baptiste Sanson (1719-1788) « s’adonnait avec passion aux études anatomiques que Sanson de Longval avait inaugurées » 8, et que « l’étude de l’anatomie et la manipulation de certains remèdes se sont, du reste, perpétuées dans ma famille. Aucun de nous ne s’en est abstenu » 9. Car pour le bourreau, l’anatomie doit aider à comprendre, pour finalement soulager, les maladies. À ceux qui se demanderaient comment concilier cette forme de sollicitude avec une profession qui consiste à exécuter des êtres humains, le bourreau Anatole Deibler (1863-1939) aurait répondu que « dans un pareil métier, c’est une tranquillité pour l’esprit que de refuser les questions » 10.

 

Un jour de 1844, James Rousseau, directeur de la Gazette des tribunaux, s’était étonné que Marie-Émilie, fille du bourreau Henri-Clément Sanson, ait épousé un chirurgien 11. Celui-là répliqua que les missions respectives du bourreau et du chirurgien étaient somme toute les mêmes : retirer, du corps ou de la société, un membre malade. Le journaliste ayant alors fait remarquer qu’il existait toutefois une singulière différence entre les deux professions, Henri-Clément Sanson répondit : « Seulement dans les dimensions du couteau » 12. Couteau ou, en l’occurrence, scalpel bien entendu.

 

 

Notes

1 Le premier projet de loi visant l’abolition de la peine de mort au Canada fut présenté en 1914 à la Chambre des Communes par le député Robert Bickerdike (1843-1928). Voir Boyer R. (1966) Les crimes et les châtiments au Canada français du XVIIe au XXe siècle. Montréal, Le Cercle du Livre de France, p. 150.

2 Loi no. 81-908 du 9 octobre 1981, entrée en vigueur dès le lendemain. Voir Badinter R. (2000) L’Abolition. Paris, Fayard.

3 Armand F. (2012) Les bourreaux en France. Du Moyen Âge à l’abolition de la peine de mort. Paris, Perrin.

4 Bastien P. (2011) Une histoire de la peine de mort. Bourreaux et supplices 1500-1800. Paris, Seuil.

5 Mortimer J.F. (1977) Les bourreaux. Montréal, Québec/Amérique.

6 Le 1er juillet 1766, le chevalier François-Jean Lefebvre de La Barre fut décapité puis brûlé avec un exemplaire du Dictionnaire philosophique de Voltaire cloué sur son torse.

7 Sanson H. (1862-1863) Sept générations d’exécuteurs 1688-1847. Mémoires des Sanson. Paris, Dupray de la Mahérie et Cie, 6 vols.

8 Ibid., vol. 3, p. 5.

9 Ibid., vol. 1, p. 385.

10 Foucart F. (1992) Anatole Deibler, profession bourreau 1863-1939. Paris, Plon, p. 190.

11 Ce chirurgien s’appelait Jean-Nicolas Jouënne et était lui-même fils du bourreau de Melun.

12 Levy B. (1976) Les Sanson. Une dynastie de bourreaux. Paris, Mercure de France, p. 260.

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