Département d'anatomie
Anecdotes anatomiques

Pourquoi Brodmann et pas les autres?

 

Regis   Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie 

 

Dans la préface à leur ouvrage sur l’isocortex, les neuroscientifiques américains Percival Bailey (1892-1973) et Gerhardt von Bonin (1890-1979) faisaient remarquer: « [i]t is safe to say that interest in cortical architecture has not been widespread since the appearance of Brodmann’s Vergleichende Lokalisationslehre der Grosshirnrinde in 1909 » 1. À la fois exact et surprenant. Exact, car les études sur la cytoarchitectonie corticale se sont effectivement multipliées depuis cette date. Surprenant car, malgré cette effervescence, c’est encore et toujours la seule nomenclature de Brodmann, donc la plus ancienne, qui s’impose dans la pratique. Essayons de comprendre pourquoi.

 

Korbinian Brodmann

Korbinian Brodmann est né le 17 novembre 1868 dans le petit village allemand de Liggersdorf. Reçu docteur en médecine par l’Université de Fribourg-en-Brisgau le 21 février 1895, il se destinait à exercer la médecine praticienne à Wehr, en Forêt-Noire, quand la diphtérie le contraignit à s’orienter, temporairement pensait-il, vers une profession plus à même de lui faciliter sa convalescence. C’est ainsi qu’il embrassa une carrière universitaire en neurosciences qui lui permit de côtoyer les plus grands noms de l’époque : Otto Binswanger (1852-1929) à Jena, Aloïs Alzheimer (1864-1915) à Francfort-sur-le-Main, et les époux Oskar (1870-1959) et Cécile Vogt (1875-1962) à Berlin. En 1909, il publia l’ouvrage qui allait principalement le faire entrer dans l’Histoire de la neurologie 2, et accessoirement justifier la chronique d’aujourd’hui. Moins d’un an après s’être marié avec Anna Margarethe Franke, et à peine huit mois après être devenu père d’une petite Ilse Margarethe, Korbinian Brodmann décéda prématurément d’une septicémie le 22 août 1918 3.

  

202 Brodmann

Aires corticales chez l’humain (Brodmann, 1909, fig. 85, p. 131).

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Alors pourquoi Brodmann et pas les autres?

Dans la nomenclature proposée par Brodmann en 1909, les aires corticales sont simplement numérotées de 1 (area postcentralis intermedia) à 52 (area para-insularis) en chiffres arabes (le nombre total des aires n’est toutefois que de 44 car les nombres 13 à 16 et 48 à 51 n’ont pas été attribués). Pas d’exposant, pas d’indice, pas besoin de savoir lire le grec, l’hébreu, le chinois ou l’araméen : un nombre suffit. Ce qui n’est pas vraiment le cas dans les autres nomenclatures disponibles. Il existe en effet des aires 90aip et 90t10 dans celle de Gerhardt 4, et des aires i5aa, i4αβ et moipd dans celle de Brockhaus 5. Sans parler de la carte cytoarchitectonique des époux Oskar et Cécile Vogt qui comporte plus de 200 aires corticales identifiées 6.

Prenons l’exemple du cortex moteur primaire qui correspond sensiblement au gyrus préfrontal. Dans la nomenclature de Brodmann, elle s’appelle tout bonnement l’aire 4. Difficile de faire plus simple.  Comment la désignerait-on dans les autres nomenclatures? 23 + 24 + 29 +41 + 47 + 53 + 59 + 66 + 72 + 78 + 85 + 92 + 99 pour Exner 7, FAγ + FA + FBA + Faop pour Economo et Koskinas 8, 42d + 42e + 42f + 42k + 42l + 42h + 39c + 40γ  pour Ngowyang 9.

 

La simplicité a toujours meilleur goût. Voilà sans doute pourquoi Korbinian Brodmann aurait pu écrire, comme Victor Hugo concluant son Ultima verba le 2 décembre 1852: « Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là » 10.

 

 

Notes

1 Bailey P., von Bonin G. (1951) The Isocortex of Man. Urbana, University of Illinois Press, p. vii.

2 Brodmann K. (1909) Vergleichende Lokalisationslehre der Grosshirnrinde in ihren Prinzipien dargestellt auf Grund des Zellenbaues. Leipzig, Verlag von Johann Ambrosius Barth (la même maison d’édition en a publié une réimpression en 1985, avec des commentaires et une bibliographie par Ernst Winckelmann).

3 Olry R. (2010) Korbinian Brodmann (1868-1918). Journal of Neurology 257 (12) : 2112-2113.

4 Gerhardt E. (1940) Die Cytoarchitektonik des Isocortex parietalis beim Menschen. Journal für die Psychologie und die Neurologie 49 : 367-419.

5 Brockhaus H. (1940) Die Cyto- und Myeloarchitektonik des Cortex claustralis und des Claustrum beim Menschen. Journal für die Psychologie und die Neurologie 49 : 249-348.

6 Vogt C., Vogt O. (1919) Allgewmeinere Ergebnisse unserer Hirnforschung. Journal of Psychology and Neurology 25 : 279-461.

7 Exner S. (1881) Untersuchungen über die Localisation der Functionen in der Grosshirnrinde des Menschen. Vienna, Wilhelm Braumuller.

8 Economo C. von, Koskinas G.N. (1925) Die Cytoarchitektonik der Hirnrinde des erwachsenen Menschen. Berlin, Springer.

9 Ngowyang G. (1934) Die Cytoarchitektonik des menschlichen Stirnhirns. I. Teil. Cytoarchitektonische Felderung der Regio granularis  und Regio dysgranularis. Monogr. 7. National Research Institute of Psychology, Academia Sinica 1-54.

10 Olry R. Haines D.E. (2010) Korbinian Brodmann : The Victor Hugo of Cytoarchitectonic Brain Map. Journal of the History of the Neurosciences 19 (2) : 195-198.

 

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